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796Dans un texte du 16 février sur le site Russia Insider, le commentateur et chroniqueur Alexander Mercouris, réputé sérieux et couvrant largement les politiques anglo-saxonnes vis-à-vis de la Russie, s’intéresse à un article de la version imprimée de l’Evening Standard de Londres, une tribune de l’ambassadeur russe à Londres, Alexander Yakovenko. Mercouris, s’arrêtant à un passage du texte de l’ambassadeur, s’interroge sur le fait de savoir comment une telle affirmation aussi extraordinaire, que celle-ci, ait put passer inaperçue ; mais quoi, écrit Mercouris, le fait est que Yakovenko nous dit bien : « L’été dernier, nos “partenaires occidentaux” nous dirent qu’ils prévoyaient que Damas tomberait aux mains de Daesh en octobre [2015]. Nous ne savons pas ce qu’ils [nos “partenaires”] prévoyaient de faire d’autre. Sans doute auraient-ils fini par peindre tous ces extrémistes “en chevaliers blancs” et les auraient-ils acceptés comme un grand État sunnite englobant la Syrie et l’Irak... »
L’extrait concerné, dans un contexte plus large, de l’article de l’Evening Standard (du 15 février) dit ceci : « ...To have an idea of the sheer challenge facing the international community, one has to look back at how the Syrian situation has evolved over the past four years. We witnessed the process of radicalisation on the opposition side. Many Syrian groups became involved with foreign terrorist organisations which were well supplied and financed by various regional players, who in turn projected their domestic political agendas onto the Syrian battleground.
» It came to the point when the Americans gave up on finding people they could trust among the rebel groups fighting the Syrian government. We were told by our British colleagues a few months ago that the situation in Syria was a complete mess. The situation was further complicated by the emergence of IS, an explosive mix of religious fanatics and the rump of the Iraqi Ba’athist regime, including Saddam Hussein’s officer corps.
» In the meantime the US assembled its anti-IS coalition of about 70 members, which delivered ineffective airstrikes at IS targets for more than a year before Russia had to intervene at the request of the Syrian government with its air force. Last summer we were told by our Western partners that in October Damascus would fall to IS. What they were planning to do next we don’t know. Probably, they would have ended up painting the extremists white and accepting them as a Sunni state straddling Iraq and Syria. »
La présentation de Yakovenko s’insère, comme on le comprend évidemment, dans un plaidoyer justifiant fortement l’intervention russe en Syrie. Elle tend évidemment à placer la décision de cette intervention dans la logique, notamment, de cette affirmation : ce serait principalement pour éviter la prise de Damas par Daesh et la conquête totale de la Syrie, non comme une possibilité mais quasiment comme une certitude si personne n'intervenait, que la Russie serait, elle, intervenue.
A cette époque, à l’été 2015, la situation en Syrie était très critique pour le régime Assad. Daesh venait de prendre Palmyre, notamment pour redessiner les traces des origines de la civilisation, l’armée syrienne venait de subir des défaites sévères et se repliaient sur le périmètre de la région autour de Damas. D’autre part, les USA discutaient avec leurs divers “alliés” de rencontre et de fortune de l’installation d’une “no-fly zone” en Syrie, adossée à la Turquie, ce qui constituait le rêve ouvertement proclamé du Turc Erdogan lui permettant une annexion de facto de cette zone ; mais aussi cela qui aurait permis, selon l’interprétation de Mercouris, de mener une campagne de bombardement contre Assad sous prétexte d’“intervention humanitaire”, ouvrant effectivement la voie de Damas à Daesh.
Après avoir rappelé toutes ces circonstances, Mercouris résume effectivement son hypothèse selon l’idée que « [c]e que Yakovenko nous dit en réalité est que les USA planifiaient à l’été 2015 une campagne de bombardement [sous le couvert de l’installation d’une “no-fly-zone”] pour aider au renversement du gouvernement syrien en sachant que cela [aiderait] à la conquête de Damas par Daesh et à la victoire des islamistes en octobre... » Puis il discute de la validité de l’affirmation de Yakovenko selon divers points de vue.
• Yakovenko pouvait-il être au courant d’une information de cette importance par rapport à sa position dans la hiérarchie du pouvoir russe ? La réponse de Mercouris est positive, sans hésitation, vu le rang du diplomate et le poste qu’il occupait. (« Though London is no longer the most important diplomatic posting for a Russian ambassador in Western Europe, it remains an important posting, and any official appointed to be Russia’s ambassador to Britain is by definition a senior official whom Moscow will ensure is kept well-informed. ») Pour notre part, nous observerions que le canal que représente Yakovenko et l’article qu’il écrit est typique d’une méthode assez employée par les Russes pour diffuser publiquement mais discrètement une information très importante, d'autant plus que ce même Yakovenko présente l’information qui met Mercouris en émoi d’une façon si naturelle, comme s’il s’agissait d’un échange d’informations courant, où la partie US (nous mettrions les Britanniques et le reste du bloc-BAO à part) se contenterait d’afficher son impuissance en même temps qu’elle donnerait une information qui pourrait paraître comme un encouragement donné aux Russes d’intervenir. Nous pourrions aller jusqu’à penser que les Russes voulaient, avec cette intervention de Yakovenko, faire savoir publiquement ce qu’ils savaient sans pour autant provoquer un effet de communication important...
• Mercouris remarque que personne n’a réagi, certainement pas du côté officiel, du côté des gouvernements britannique et US, dans les journaux porte-drapeaux anglo-saxons du Système, etc. Il suppose qu’il s’agit de “la politique du silence” comme nous la rencontrons souvent, ce qui est effectivement une possibilité/une probabilité. (« It is not difficult to see why the British and US governments might think that in light of the incendiary nature of what Yakovenko is saying denying it would simply give his comments more publicity if they denied them and that the better approach is silence. ») Encore faut-il voir de quelle duplicité ce “silence” est la marque : est-ce la marque d’une confusion devant cette révélation qui mettrait en cause leur machiavélisme nihiliste (laisser faire Daesh en l’aidant indirectement mais puissamment), ou devant cette révélation qui mettrait en évidence leur impuissance de nihiliste (observer les intentions et les capacités de Daesh qu’ils ont tant contribué à éclore et à faire venir à maturité sans pouvoir rien faire contre cela) ?
• Enfin, le plus important dans les supputations de Mercouris est de comprendre pourquoi les Anglo-Saxons auraient pu donner une telle information aux Russes, au risque de provoquer ce qui est arrivé, savoir leur intervention. L’explication que donne Mercouris est à moitié convaincante : il avance l’hypothèse que les USA, et leurs amis britanniques notamment, ont agi de cette façon pour effrayer les Russes devant la perspective de la prise du pouvoir par Daesh et les forcer à eux-mêmes forcer Assad à quitter le pouvoir, comme les Anglo-US et le bloc-BAO (et Daesh d’ailleurs, et le diable et son train) le veulent depuis si longtemps : « No-one in the early summer thought there was any likelihood the Russians would intervene militarily in Syria. The US probably thought it was not risking anything by telling Moscow its military plans and what their likely consequences would be. Probably what the US expected was that the threat of a bombing campaign leading to the seizure of Damascus by the Islamic State would terrify Moscow and persuade the Russians to force Assad to stand down, which has been the US objective all along... »
C’est là le passage le plus intéressant dans l’hypothèse, ou l’interprétation de Mercouris de la révélation de Yakovenko. Pour nous, et puisqu’il est évident qu’il y a eu une communication du côté anglo-saxon, et l’on dira plutôt du côté US tout simplement, vers la Russie, il nous paraît extrêmement probable que cette communication ne représentait en rien une politique intégrée et contrôlée de Washington, – cette chose, “une politique intégrée et contrôlée” n’existant d’ailleurs pas à Washington, – mais bien une action d’une fraction du pouvoir US ; et nous pensons aussitôt aux militaires, qui sont bien entendu les premiers informés d’une telle prospective puisqu’ils en sont eux-mêmes, au sein du pouvoir US, la source et l’outil...
Nous pensons aux militaires, bien entendu parce qu’on connaît suffisamment la situation à cet égard à Washington, notamment entre le Pentagone (les militaires) et la Maison-Blanche, – telle que nous l’avons rappelée récemment en en présentant une synthèse générale. Il y a eu assez de bruits, d’interventions et d’indications ces derniers temps sur la position de groupes importants parmi eux qui s’opposent à la politique-Système de déstructuration et de regime change, alors que nous vivons au milieu d’affirmations circonstanciées selon lesquelles des informations ont été passées par ces militaires (le général Dempsey notamment, selon Seymour Hersh) vers les Russes. Il serait tout à fait logique sinon impératif, dans ce climat et dans cette occurrence, que ces mêmes militaires aient informé les Russes d’une telle possibilité (Daesh pouvant prendre Damas, avec l’aide plus ou moins affichée de Washington au niveau du pouvoir civil, c’est-à-dire par exemple de la factions R2P du pouvoir civil qui se trouve à la Maison-Blanche “autour” du président Obama) ; il serait également tout à fait logique que ces mêmes militaires US aient éventuellement fortement encouragé les Russes à agir eux-mêmes pour contrer ces plans... Peut-être cette hypothèse éclairerait-elle d’une lumière nouvelle certains comportements (du côté des militaires US) sur le terrain en Moyen-Orient, à propos de l’intervention russe plutôt que “face à” elle.
L’on observera effectivement et comme nous faisions l'hypothèse plus haut que, dans ce cas, il serait tout à fait logique que les Russes fassent savoir à Washington, éventuellement au pouvoir civil type-Maison-Blanche/R2P, avec la discrétion d’une précision placée presque innocemment au milieu d’un texte d’argumentaire courant, qu’ils ont effectivement des canaux d’information washingtoniens concernant des cas d’une telle importance. Nous pensons que l’interprétation de Mercouris (de la précision donnée par Yakovenko, moins du comportement US) peut être envisagée d’une façon très acceptable de ce point de vue qui mettrait en avant les militaires US. Elle correspond parfaitement au désordre extraordinaire qui règne dans les directions diverses, à Washington comme d’ailleurs dans le reste du bloc-BAO. (A cette lumière, on comprend également d’autant mieux qu’Erdogan, qui a du mal à contenir son tempérament explosif, ait commis cette effarante sottise d’abattre le Su-24 russe le 24 novembre, pat simple esprit de dépit et, par exemple, avec cette sorte de calcul absurde qui peut naître du dépit de croire qu’il provoquerait ainsi un embrasement général impliquant directement l’OTAN contre la Russie.)
Nous reproduisons ci-dessous l’essentiel du texte du 16 février de Mercouris. Nous avons raccourci le titre initial (« Russian Diplomat Drops a Bombshell: US Expected ISIS to Seize Damascus by October ») pour des raisons techniques.
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Alexander Yakovenko, Russia’s ambassador to Britain, dropped something of a bombshell on Monday, though one that has gone completely unnoticed. In a piece in the print edition of the London Evening Standard defending Russian policy in Syria he made the following extraordinary disclosure:
“Last summer we were told by our Western partners that in October Damascus would fall to IS (ie. the Islamic State - AM). What they were planning to do next we don’t know. Probably, they would have ended up painting the extremists white and accepting them as a Sunni state straddling Iraq and Syria”.
The summer – when these conversations between the Western powers and the Russians allegedly took place – was the time when the US was in discussions with Turkey and Jordan about setting up a no-fly zone and safe havens in Syria. I discussed in this article how “no-fly zone” is today simply a euphemism for a US bombing campaign.
What Yakovenko is therefore in effect saying is that the US was planning in the summer to start a bombing campaign to overthrow the government of Syria in the knowledge that this would result by October in the victory of the Islamic State and its capture of Damascus. Russia Insider has previously explained that it was to stop the US proclaiming a no-fly zone - i.e. commencing a bombing campaign aimed at overthrowing the Syrian government - that Russia intervened in Syria.
The fact Yakovenko says the US told the Russians this would result in the Islamic State capturing Damascus by October explains why the Russians felt they had to act as they did.
Is Yakovenko however telling the truth?
The first thing to say is that the British and US governments have not denied what he is saying. That however is not conclusive. It is not difficult to see why the British and US governments might think that in light of the incendiary nature of what Yakovenko is saying denying it would simply give his comments more publicity if they denied them and that the better approach is silence. If so, then the fact Yakovenko’s comments have been almost entirely ignored shows this approach has worked.
Is Yakovenko however senior enough to know the details of the discussions that took place in the summer between the Russians and the Western powers as he says? The answer to that question is almost certainly yes. Though London is no longer the most important diplomatic posting for a Russian ambassador in Western Europe, it remains an important posting, and any official appointed to be Russia’s ambassador to Britain is by definition a senior official whom Moscow will ensure is kept well-informed. If there were discussions of the sort Yakovenko says, he would almost certainly have been fully briefed about them.
What Yakovenko says is also consistent with things we know. In the summer – having just captured Palmyra — the Islamic State was on a roll, making it not implausible that it might reach Damascus by the autumn. The Syrian army in the meantime had suffered a succession of heavy defeats, and had been forced to withdraw from Idlib province. In light of all this, in the context of a US bombing campaign, it is not implausible the US was telling the Russians in the summer that the Islamic State would seize Damascus by October. As for the US’s discussions about setting up a no-fly zone and safe havens, there was nothing secret about those, and they were openly acknowledged.
Why however would the US tell the Russians that they expected the Islamic State to seize Damascus by October? That is not a difficult question to answer.
No-one in the early summer thought there was any likelihood the Russians would intervene militarily in Syria. The US probably thought it was not risking anything by telling Moscow its military plans and what their likely consequences would be. Probably what the US expected was that the threat of a bombing campaign leading to the seizure of Damascus by the Islamic State would terrify Moscow and persuade the Russians to force Assad to stand down, which has been the US objective all along. In that case the US seriously underestimated the Russians' resolve and their willingness to act to prevent what the US was threatening from coming to pass.
Overall Yakovenko’s disclosure makes sense, and is therefore probably true. What it shows is how reckless the US’s Syrian policy had become. At the very time the US was pretending to fight the Islamic State it was in fact preparing steps that it knew would facilitate its victory. Even if this was intended as a diplomatic play it was an extraordinary thing to do...
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