Cry For You, United States

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Cry For You, United States

5 juillet 2017 – Nous ferions bien et bien mieux d’envisager cette question, dont la réponse est loin d’être simple et proche d’être apocalyptique : “Que ferons-nous sans l’Amérique, c’est-à-dire sans l’American Dream, nous qui semblons ne plus avoir le courage d’exister par nous-mêmes ?” J'ai employé à dessein le futur (“que ferons-nous ?”) et nullement le conditionnel (“que ferions-nous ?”) comme il aurait été de bon ton de faire dans le monde des prévisionnistes rationnels.

En effet, c’est bien le cas ....  Lire le même jour, – et quel jour, le 4 juillet, la Fête Nationale des États-Unis d’Amérique, qui est le jour où l’on a coutume de célébrer la Grande République, – deux textes écrits par deux grands esprits de la politique aux USA, deux vieux sages, peut-être les deux seules voix de vieux sages existant encore dans la Grande République... Le premier s’intitule, et c’est une question dont on serait si tenté de répondre “poser la question, c’est...” : « Is America Still a Nation ? » ; et le deuxième s’intitule, et c’est évidemment la réponse à la question : « We Must Declare Independence ». La question était de Patrick Buchanan, la réponse de Ron Paul. Les deux hommes, c’est visible, c’est lisible, c’est sensible, cela n’a nul besoin de traduction, les deux hommes ne supportent plus ce qu’est devenu leur pays et qui, par conséquent, n’est plus leur pays. Ils représentent la tradition qui condamne irrémédiablement ce cloaque infâme en quoi la modernité a transformé leur pays.

La question de Buchanan résonne comme celle d’un vieil Américain qui avait coutume, dans les moments d’abandon, de se tourner vers les Pères Fondateurs pour y trouver le réconfort. Il n’y trouve plus que matière à transformer son abandon en dégoût, tant les Pères Fondateurs parlent d’une nation qui n’existe plus. (Au reste, l’on pourrait même dire : “qui n’a peut-être jamais existé”. Après tout, c’est bien ce que semblait suggérer le secrétaire d’État Jefferson, lorsqu’il écrivait au président Washington, en mai 1791, sa déploration que le Congrès fût devenu le lieu de toutes les compromissions, de toutes les corruptions, où l’argent et la cupidité réglaient tout... Mais l’on sait que Jefferson n’est plus “politiquement correct”, lui qui eut des esclaves. On lui préfère les voix vertueuses des Clinton, de leurs discours à $500.000 chez Goldman Sachs et de leur Fondation à vocation globale.)

La réponse de Ron Paul sonne comme celle d’un vieux Sudiste, libertarien et ennemi du “centre”, et qui se tourne d’instinct vers ce qui devient son véritable American Dream, – par inversion, The un-American Dream : casser, briser cette Amérique devenue monstrueuse et insupportable, qui tient tout sous le joug d’une puissance satanique qui n’a d’autre voie à proposer que le nihilisme de la déconstruction ; qui tient sous le joug ses citoyens et leurs États trompés par l’Union et mis en faillite ; qui tient sous le joug le reste du monde soumis au traitement d’une force illégale, entropique, aveugle et déchaînée. La réponse du vieux Ron Paul, c’est ce qui n’a jamais pu être réduit dans le Sud, malgré l’humanisme tant célébré par nos professeurs de vertu, de Lincoln-Spielberg au général Sherman : la sécession...

Buchanan et Paul sont de très vielles personnes, qui ont commencé leurs activités politiques dans les années 1970. On dira : ils parlent comme des vieux, nostalgiques d’un temps passé qui a fait son temps. C’est à peine vrai dans l’apparence du simulacre, mais sur le fond des choses l’on sent bien qu’ils sont les seules voix qui ont encore quelque chose de la grandeur passé, les seules voix de la sagesse. Aujourd’hui, dans le désert intellectuel et moral qu’est Washington D.C., dans cette crise sans exemple ni précédent qu’est “le centre” plongé dans la fusion de la haine et de la démence, les quelques esprits qui se rapprochent de ces voix de la sagesse, qui pourraient être considérées comme du même métal et du même feu, iraient dans le même sens, bien entendu. L’on citera, pour illustration et par évidence maintes fois répétée sur ce site, Rand Paul, sénateur et fils de Ron, et la flamboyante Tulsi Gabbard...

C’était le 4 juillet. Buchanan termine, sarcastique, après avoir consulté Ernest Renan pour rappeler ce qu’est une nation : « Happy Fourth. And God bless the USA. » Ron Paul, lui, est plus scolaire, plus rationnel, pour terminer par ce paradoxe, ce raccourci historique étonnant, qu’aujourd’hui le “centre” washingtonien est beaucoup, beaucoup plus l’ennemi du citoyen des États-Unis que ne l’était l’Angleterre des colons d’Amérique en 1776. Personne ne leur portera la contradiction, parce qu’il n’y a guère de contradiction possible et que l’on est bien occupé par ailleurs à entretenir joyeusement les feux de la postmodernité en célébrant une Amérique où tout le monde se trouve n’importe où sans savoir où il se trouve, où toutes les voix déclinent n’importe quoi sans s’inquiéter ni du “n'importe” ni du “quoi”, où l’histoire elle-même est arrangée “au goût du jour”, comme l’on mâche un chewing gum, pour qu'un passé rétroactivement inventé et fantasmagorique corresponde au “présent éternel” et catastrophique, et le justifie.

Moi-même, qui n’ait jamais manqué une seule occasion de critiquer cette Amérique immensément critiquable puisqu’elle est la porteuse du poison de la modernité, qui n’ai jamais reculé devant les condamnations les plus sévères de ce qui fut le véhicule consentant de toutes les manigances du Diable, moi-même, ému par tant de sentiments si fortement venus du fond de l’âme, j’irais jusqu’à joindre ma voix à la leur et à exprimer toute ma peine devant ce qui est devenu une catastrophe de civilisation et la tromperie achevée, le simulacre satanique d’une entreprise à laquelle tant d’âmes avaient mis leur croyance : “Je pleure pour Toi, Amérique”...