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1915Commençons par quelque chose de tout à fait différent de ce qu’annonce précisément les titres et sous-titres. Sur le blog de Jacques Sapir, sur Marianne2, on trouve la vidéo d’un débat du site Arrêt sur image, entre Jacques Sapir et Jean-Luc Mélenchon, le 5 juillet 2013. Le sujet était la question de la sortie de l’euro. Mais arrêtez-vous sur les 5 premières minutes qui concernent un commentaire sur les événements d’actualité, où les deux hommes sont appelés à commenter l’attitude française lors de l’incident du vol du président bolivien Morales (voir le 3 juillet 2013). Comme on le sait, cette circonstance fut, à notre sens et selon notre opinion mais en considérant objectivement la matière, honteuse et indigne à la fois, sans précédent dans le sens de l’illégalité et de la forfaiture internationale. Ces jugements reviennent, mot pour mot ou selon d’autres expressions du même sens, dans leur chef à eux deux. L’accord entre les deux hommes est complet, leur indignation furieuse, leur condamnation absolue et méprisante du régime du président-poire d’une intensité égale, portant sur la servilité pro-américaniste de la chose et sa façon de cochonner, voire d’ignorer par inculture, comme un barbare postmoderne, tous les principes, – bref, la chose-Système et rien d’autre. Ensuite vient le débat sur l’euro, où les deux hommes, bien qu’ils aient une position différente (Sapir : “sortie immédiate” ; Mélenchon : “d’abord on essaie d’y rester à nos conditions, et si ça ne marche pas, on sort”), qui se tutoient en bons copains qui travaillent ensemble et s’estiment, où les deux hommes sont finalement d’accord sur “les fondamentaux” qui sont subversifs de l’ordre-Système... Passons à autre chose : Sapir est un modèle de politique économique souverainiste souvent cité par Marine Le Pen, ce que l’intéressé ne repousse absolument pas, bien au contraire (voir le 2 juillet 2013, où Ambrose Evans-Pritchard précise que les plans de Marine Le Pen sont basés «on a study by economists from l'École des Hautes Études in Paris led by Professor Jacques Sapir») ; Mélenchon, c’est bien connu, ne cesse du vitupérer contre Marine Le Pen, qui lui répond à mesure... Question : où se situe l’essentiel et où trouve-t-on l’accessoire ? S’il y a vraiment une crise de régime du président-poire, c’est-à-dire une crise du régime-poire en phase ultime de blétitude (mot peu conventionnel mais utilisé, et dans ce cas splendidement bienvenu et merveilleusement à sa place) (*), il est urgent que ces divers extrêmes souverainistes, antiSystème pour les grands problèmes de fond, et qui échangent des anathèmes sur les problèmes “sociétaux” qui sont l’attrape-mouche du Système, il est urgent que ces différentes tendances antiSystème fassent le ménage et séparent l’accessoire de l’essentiel. Cet avis est particulièrement destiné à Mélenchon, et l’accord explicite et plein d’estime entre lui et Sapir montre que la chose peut et doit se faire...
Cette entrée en matière ménagée pour suggérer l’essentiel par un biais d’occasion, passons à notre sujet précisément qui aborde également l’essentiel, mais pas un biais différent de celui du sort de l’euro. Sapir fait un commentaire le 15 juillet 2013 sur les événements du 14 ; non pas sur la grotesque caricature de défilé du 14 juillet 2013 où l’on avait du mal à distinguer des soldats français, mais sur les sifflets qu’on a entendus, adressés au président français. Pour Sapir, c’est un événement sans précédent.
«Ainsi, François Hollande, président de la République, a-t-il été sifflé ce 14 juillet 2013 sur le parcours du défilé célébrant la fête nationale. Qu’un président soit sifflé ou hué lors d’un déplacement en province ou lors d’une réunion publique, cela s’est déjà vu. Mais, qu’un président soit sifflé lors du 14 juillet, moment éminemment symbolique où ce n’est pas sa personne privée qui est mise en avant mais sa fonction publique, témoigne de ce que nous avons progressé dans la crise de régime...»
Sapir détaille ensuite les divers sujets de mécontentement qui, l’un ou l’autre, ont sans doute été la cause de ces sifflets. Il les détaille puis les écarte d’un revers de plume. Là n’est pas l’essentiel, décrète-t-il, et aucune de ces causes ne justifie ces sifflets dans leur dimension fondamentalement rupturielle, – y compris les causes dites de “droit naturel”, comme le “mariage gay”, qui n’ont pas leur justification dans ce cas. Ce qui importe, ce ne sont pas les siffleurs mais les sifflets... (Nous nous permettons de souligner en gras, ici et là, sur la fin, les mots qui nous paraissent essentiels pour ce qui est de la situation française.)
«Mais, si François Hollande n’a pas violé un “droit naturel” dans l’exercice de ses fonctions, d’où peut provenir sa perte de légitimité qui justifierait les sifflets dont il fut l’objet en ce 14 juillet ?
»Si nous admettons l’inanité de tout “droit naturel”, il nous faut penser à quel ordre nous devons rattacher la République et son droit. L’ordre démocratique apparaît comme le seul capable de fonder dans les principes du droit le régime républicain. L’ordre démocratique oppose ainsi la notion de construction de l’égalité à celle de l’égalité originelle. Il se refuse à d’homogénéiser de force une réalité hétérogène. La grande erreur du libéralisme politique fut d’avoir confondu le couple construction formelle/état de nature et le couple construction formelle/état réel de la société. Les individus sont divers et hétérogènes; pour autant s’ils ne peuvent également participer à l’élaboration des diverses formes de coordination, locales et globales, c’est la communauté dans sa totalité qui sera lésée. Reconnaître les différences ce n’est pas éterniser ces différences mais au contraire se donner les moyens de penser la construction des convergences et des règles communes qui doivent permettre la participation de tous aux activités concernant tous. L’hétérogénéité sociale ex-ante fixe donc comme objectif à l’ordre démocratique la construction d’une homogénéité politique ex-post, et ce dans des sociétés traversées d’intérêts contraires.
»Dès lors, l’intérêt public n’est plus la condition permissive de la démocratie, mais au contraire l’ordre démocratique est la procédure qui permet la constitution d’une représentation de l’intérêt public. Il n’y a donc pas, comme le croyaient les pères fondateurs des régimes démocratiques au XVIIIème siècle un intérêt public “évident” et donc naturellement partagé par tous. Mais, parce que nous sommes dans des sociétés dominées à la fois par la décentralisation et par l’interdépendance, nous avons besoin d’un intérêt public comme norme de référence pour combattre les tendances spontanées à l’anomie et à la défection. L’ordre démocratique est donc aux antipodes de la vision idéaliste de la démocratie qui croit voir dans cet intérêt public le produit d’un ordre naturel; il ne peut, en réalité, qu’être une construction sociale.
»Or, cet ordre démocratique se construit à l’intérieur de principes fondateurs. L’un d’entre eux est que nul ne peut prétendre au contrôle sans endosser une responsabilité des actes issus de son contrôle. Dès lors nulle société régie par l’ordre démocratique ne peut dévolure ses pouvoirs à un cadre supérieur qui serait moins démocratique. C’est là que se trouve le “crime” de François Hollande. En acceptant le « pacte budgétaire européen » que l’on appelle traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et qui confère un droit de regard sur les décisions prises par le Parlement français, il a – à l’évidence – violé l’un des principes de l’ordre démocratique dans l’exercice de ses fonctions.
»Telle est la seule raison qui peut justifier les sifflets dont il fut l’objet en ce 14 juillet. Toutes les autres explications tombent soit dans la puérilité soit dans le sectarisme religieux. Mais, si l’on veut affirmer par cette manifestation bruyante que ce président est illégitime, il faut savoir ce que cela implique. Un président illégitime est un tyran, soit un être avec lequel aucun compromis n’est possible. Sans vouloir réécrire le Vindiciae contra tyrannos (ou Revendications contre les tyrans), pamphlet fameux qui fut publié à Bâle en 1579, il est clair que nous entrons dans une logique de guerre civile. Il n’est pas sûr que les quelques centaines de personnes qui ont sifflé le chef de l’État aient bien mesuré la portée de leur acte. Mais il est clair que quelque chose de fondamental s’est publiquement rompu ce 14 juillet. Par ce geste en ce moment hautement symbolique ils ont témoigné que nous avons pénétré dans une nouvelle phase de la crise de régime aujourd’hui manifeste et dont nul ne peut savoir quel sera le dénouement.»
Il n’est pas temps ici de discuter, d’ailleurs pour la renforcer, la base de réflexion de Sapir, en l’occurrence extrêmement axée sur la question du droit pris comme valeur supérieure, fondatrice et principielle. Il est question d’envisager sa conclusion, qui est de même ordre (celui des valeurs supérieures, fondatrices et principielles), selon laquelle le symbole de ces sifflets du 14 juillet entérine bruyamment l’événement fondamental de la légitimité perdue du président-poire. Là-dessus, Mélenchon ne sera certainement pas en désaccord avec son ami Sapir, et Marine Le Pen pas moins, certes... Et, par parenthèses, nous non plus, certes : oui, Hollande n’a plus aucune légitimité, et, selon nous, encore plus qu’à cause des sifflets, à cause de sa politique, de sa conception du monde, de sa façon d’être en en jugeant, qui escamote la partie fondamentale de la situation du monde, son rapport avec les principes. C’est, par conséquent sinon par évidence, une trahison directe de tous les principes qui fondent une nation, et particulièrement la nation française, la Grande Nation par excellence.
L’intérêt de cette situation de délégitimation, certes, c’est que le symbole des sifflets du 14 juillet, ou des sifflets considérés comme symbole comme fait Sapir, actent et exposent en pleine lumière cette délégitimation. Le président-poire est, à cet égard, nu comme un ver. Ainsi apparaît avec tout son poids, toute sa force, la dernière phrase de Sapir qui nous importe : «Par ce geste en ce moment hautement symbolique [les siffleurs] ont témoigné que nous avons pénétré dans une nouvelle phase de la crise de régime aujourd’hui manifeste et dont nul ne peut savoir quel sera le dénouement.» “Nouvelle phase de la crise de régime“, cela signifie en fait : nous sommes entrés dans la phase terminale de la crise de régime en France, – et certes, “nul ne peut savoir quel en sera le dénouement”, – sauf que, dans la logique de l’exposé, de l’analyse, etc., voilà qu’apparaît pour la première fois, par la force écrasante du symbole, la possibilité que cette “crise du régime” se solde par l’effondrement du régime tel qu’il a été conduit à sa situation-Système de complète inversion du véritable destin français (Sarkhollande ont, à eux deux, réussi cet exploit).
Sapir ne fait pas la pluie et le beau temps. Mais sa pensée compte, et elle compte d’autant plus qu’on constate qu’il y a une convergence de soutien de cette pensée sur l’essentiel de deux forces d’extrêmes différents qui, officiellement, se haïssent et s’insupportent. Il y a donc, dans ce cas, une responsabilité fondamentale qui s’esquisse : il faut qu’une force antiSystème cohérente, par le rapprochement des antiSystème de tous bords, qui sont aussi souverainistes par lutte contre le Système représenté dans ce cas par l’Europe telle qu’elle est, se mettent à hauteur de cette situation nouvelle. La crise de régime est passée dans sa phase active en France, il faut envisager le pire qui est la chute du régime, et il faut parallèlement et activement rechercher une solution décisivement rupturielle mais structurante qui fera de cette chute du régime un changement total de régime, une transmutation vertueuse des valeurs vers un retour à la Tradition de la Grande Nation, passant nécessairement par la liquidation du régime-poire. C’est ce qu’implicitement Sapir nous dit et ce qui, explicitement nous conduit à dire que ceux qui l’écoutent et l’entendent lui-même, doivent commencer à entendre pour leur propre réflexion. La France est entrée dans une phase révolutionnaire (“subversive“ dirait Mélanchon) dans la façon postmoderniste de la chose (émeutes inefficaces si on les prend comme un aboutissement décisif, nécessité d’une rupture principielle par la voie du symbole et de la communication, – auxquels des émeutes de démonstration participent, – se terminant éventuellement par les urnes). La France doit préparer l’alternative au régime-poire, qui présente tous les signes de la “blétitude” signalé plus haut (le mot a également, dans sa signification opérationnelle, la vertu de nous faire sentir combien les employés-Système sont matière pure en état de putréfaction) ; c’est-à-dire, régime et président correspondant au fruit avarié ... Le régime-poire est entré en état de blétitude, le président-poire est de plus en plus avarié, avancé, de plus en plus mol par la pourriture qui a pris ses quartiers d’invasion générale, – et sifflé par conséquent, un 14 juillet. Avant que les arbres ne puissent envisager de faire du nouveau, ils perdent leurs fruits avariés.
Mis en ligne le 16 juillet 2013 à 07H36
Updated (comme ils disent) ... (*) Le mot “blétitude” ayant soulevé quelque incertitude, nous précisons qu'on en trouve l'emploi dans l'un ou l'autre cas qui n'est pas nécessairement une référence sacrée mais qui nous décharge de la tâche ardue de faire dans le néologisme. (Jean-François Kahn l'emploie dans son livre Dernières salves.) Il s'agit de “l'état d'être blète” dans un emploi particulier qui nous vient des souvenirs d'une province lointaine, en plus de désigner une plante potagère. L'“état d'être blète” se dit d'une pomme ou d'une poire lorsqu'elle est trop mûre, déjà gâtée, molle par la pourriture qui gagne paisiblement son intérieur. La sonorité du mot, la mollesse de son phrasé nous paraissent correspondre parfaitement à la chose, ou aux choses auxquelles nous l'accolons. Quoi qu'il en soit, tant pis pour l'Académie Française et nous arguons du privilège de l'écrivain d'employer des mots, voire d'en créer, selon une signification et une situation qu'il perçoit.
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