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7524Voici un texte qui a les vertus de la netteté et de la concision. L’auteur est au-dessus de tout soupçon par rapport à nos agitations antiSystème un peu désordonnées. Le Dr. Stephen Davies est un homme du sérail, un universitaire et un scientifique raisonnablement couvert d’honneurs et d’éloges, par définition insoupçonnable (“au-dessus de tout soupçon”, disions-nous)... Aujourd’hui Head of Education à l’Institute of Economic Affairs de Londreset Senior Fellow à l’American Institute for Economic Research, il a enseigné pendant trente années l’histoire et l’histoire de l’économie à la Metropolitan University de Manchester, où il vit présentement. Outre d’être un fervent supporteur de l’équipe de football de Manchester, il est l’auteur notamment de Empiricism and History et de The Wealth Explosion: The Nature and Origins of Modernity ; ce dernier livre où il met opportunément en regard de correspondance intime la modernité et l’explosion des richesses inégalitaires (les “hyper-riches” et le reste).
Très brièvement mais, nous le répétons, d’une façon éclairante par sa netteté et sa brièveté, le professeur Davies situe la pandémie Covid-19 dans le flux des pandémies au long de l’histoire, sa signification à la lumière de cette histoire, et par conséquent pour ce qui est des affaires en cours ce qu’on en peut attendre dans sa signification historique par rapport aux autres événements que nous vivons (pour nous, par rapport aux temps crisiques que nous vivons). Il ne s’agit ni d’une appréciation sanitaire, ni d’une appréciation statistique, mais d’une appréciation historique, psychologique et culturelle.
Une pandémie (le terme est explicitement employé dans le sens d’une épidémie qui sort de sa zone de développement) est quelque chose qui se produit régulièrement dans l’histoire, mais également quelque chose qui n’est pas dû au hasard ni même à un accident biologique ou à un caprice d’envergure de telle ou telle espèce animale porteuse. A lire le professeur Davies, on comprend que c’est un fait de civilisation, et il est bon que cet auteur dispose à la fois d’une connaissance de l’histoire en tant que telle et d’une connaissance de l’histoire de l’économie.
Brièvement, que nous dit-il ?
• Une épidémie est en général très précisément liée à ce que l’auteur désigne comme un écoumène, c’est-à-dire « une partie du monde qui a une économie intégrée et une division du travail, maintenue ensemble et produite par le commerce et l'échange » Notre écoumène est global (le globalisation), la pandémie Covid-19 est donc elle-même globale, et elle l’est d’un point de vue sanitaire comme de beaucoup d’autres points de vue ;
• en général, une pandémie a tendance à se produire à la fin de l’histoire de l’écoumène dont elle est issue, puisqu’en effet l’histoire générale « montre que les pandémies arrêtent et retardent, voire inversent, le processus d'intégration économique ». Il est donc très probable que c’est ce que nous allons connaître, d’ailleurs dans un environnement où déjà se multiplient les signes de cette fin (repli sur les nations, contraction des échanges du global au régional, résurgences des frontières, sentiment général d’insatisfaction voire de révolte, etc.) ;
• l’effet des pandémies est une accélération des divergences et des spécificités, avec de très forts répercussions psychologiques et culturelles, qui sont objectivement d’une considérable importance : Covid-19 « aura des effets et des conséquences sur le comportement des gens à l'avenir, et ces effets et ces conséquences pourraient être plus importants et avoir des répercussions plus durables que celles de la pandémie elle-même ».
Ces observations d’ordre historique renforcent considérablement le jugement d’un lien étroit entre Covid-19 et le Système, dans le sens de l’accélération de la crise du Système, ou Grande Crise d’Effondrement du Système (GCES). Le langage du professeur Davies est certes celui d’un universitaire et d’un scientifique et il est, par définition, prudent et mesuré ; ses conclusions sont par conséquent d’autant plus impressionnantes.
Pour notre part et conformément à ce constat, nous nous jugeons d’autant plus fondés à considérer que les conclusions du professeur Davies doivent être considérées avec infiniment plus de force du fait que la perception de la pandémie a été colossalement puissante par rapport à tout ce qui a précédé, à cause d’un système de la communication d’une puissance effectivement colossale. La puissance quantitative de l’événement dans la perception, donc pour la psychologie encore plus que pour la situation sanitaire, est telle qu’une mutation qualitative est alors envisageable.
C’est dire combien et avec quelle force nous répétons que cette pandémie Covid-19, avec déjà toutes les conséquences crisiques “collatérales” qui l’accompagnent, doit être placée directement dans l’équation de la GCES, par ses effets absolument destructeurs sur la globalisation et par conséquent sur toutes les conceptions morales et “philosophiques“ qui accompagnent la globalisation. La puissance dite “choc & effroi” peut effectivement susciter le passage d’une société matérialiste enfermée dans la perversion doucereuse et hystérique d’un simulacre hyper-sécurisé, adorateur de la fortune, festif et d’expansion progressiste effrénée, à une société ouvertement confrontée à un monde tragique sinon héroïque, et elle-même conduite à embrasser la tragédie par le nécessité d’une conduite héroïque, où la démarche spirituelle viendrait coiffer la seule dimension matérialiste pervertie par le simulacre, pour la purger de cette perversion.
C’est évidemment dans ce sens que l’on peut juger que la colossale puissance quantitative de la communication autour de Covid-19 peut susciter une transmutation qualitative, retrouvant ainsi parfaitement la remarque du professeur Davies selon laquelle les répercussions (indirectes par définition) des changements culturels et psychologiques du fait des effets et des conséquences de Covid-19, dépassent largement les seuls effets et conséquences directs de Covid-19.
Le texte du professeur Stephen Davies est publié le 16 mars 2020 sur le site Alarabiya.net de la chaîne de télévision du même nom. Le titre original est « What history teaches us about the coronavirus pandemic ».
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Actuellement, il y a un grand débat sur le type de politique le plus approprié pour faire face à l'épidémie de coronavirus. Nous sommes confrontés à une véritable pandémie, et ce depuis que l'on a confirmé que le virus s'était propagé à tous les continents au début du mois de février. Elle ne sera pas terminée d’ici à l’été et se poursuivra par une série d'épisodes pendant environ dix-huit mois. Le virus présente une combinaison destructrice de caractères dans la mesure où il est hautement infectieux avec des effets graves et un taux de mortalité non négligeable dans une partie appréciable des cas, alors qu’une grande partie des personnes infectées ne présente aucun symptôme. Il convient de réfléchir aux résultats probables à long terme et, à cet égard, l'histoire est le meilleur guide.
Les pandémies et les grandes épidémies sont une caractéristique récurrente de l’histoire de l'humanité. Une véritable pandémie est mondiale, mais le terme est également utilisé pour toute épidémie qui se propage largement au-delà de son point d'origine géographique. Dans ce cas, elle est propagée par l’homme, par ses déplacements et par ceux des animaux qui nous sont associés, comme les rats et les poux. Les pandémies sont des épidémies qui se propagent dans ce que nous pouvons appeler un écoumène, une partie du monde qui a une économie intégrée et une division du travail, maintenue ensemble et produite par le commerce et l'échange. Nous disposons aujourd'hui d’un véritable écoumène mondiale. Si nous examinons l'histoire des pandémies, elles ont tendance à se produire à la fin d'une période d'intégration commerciale et économique croissante sur une grande partie de la surface de la planète. En effet, ces processus ont des effets, tels qu’un accroissement des mouvements humains et une urbanisation accrue, qui rendent les grandes épidémies plus probables. Historiquement, les pandémies se sont propagées le long des routes commerciales et d'échange. Plusieurs caractéristiques de notre mode de vie actuel rendent une grave pandémie plus probable, en particulier les niveaux plus élevés de globalisation et l’élevage intensif moderne en raison de la façon dont il conduit à l’émergence de nouveaux agents pathogènes chez les animaux, puis à l'apparition d'espèces sautantes. Les scientifiques s’en inquiètent depuis un certain temps et des plans d'urgence ont été élaborés, qui sont actuellement testés.
Quels seront les résultats de cette pandémie ? L'histoire montre que les pandémies arrêtent et retardent, voire inversent, le processus d'intégration économique. C'est ce que nous allons probablement constater maintenant. Les chaînes d'approvisionnement à longue distance seront gravement perturbées, ce qui poussera beaucoup de personnes à se tourner vers des fournisseurs plus locaux et, par conséquent, à moins intégrer les économies à longue distance. Cela commençait déjà avant l'épidémie. Nous assistons également à un renforcement des contrôles sur les mouvements, non seulement aux frontières nationales, mais aussi à l'intérieurde celles-ci. Il est peu probable que cette tendance s'inverse complètement, de sorte que nous assisterons à un durcissement des frontières et à une diminutiondes voyages internationaux et à longue distance. La pandémie aura peut-être aussi des répercussions politiques importantes. Historiquement, les épidémies affaiblissent la légitimité des États et des dirigeants et coïncident souvent avec des troubles populaires. Elles affaiblissent également les élites parce que ces élites sont proportionnellement plus susceptibles d'attraper des maladies infectieuses, parce qu'elles voyagent davantage et vivent dans de grandes métropoles qui sont les plaques tournantes des systèmes commerciaux et, dans le monde d'aujourd'hui, sont généralement plus âgées que la moyenne. Une autre épidémie majeure et plus étendue en Chine pourrait avoir de graves conséquences, en particulier si le parti communiste est considéré comme ayant perdu le “mandat du ciel” à cause de cela. En outre, cette épidémie particulière pourrait bien s'ajouter à d'autres pressions exercées sur un système financier et monétaire mondial fragile et déclencher une chute brutale de la valeur des actifs qui anéantira une grande partie de la richesse des ultra-riches. Comme l'affirme Walter Scheidel dans ‘The Great Leveller’, ce sont les grandes catastrophes telles que les guerres et les pandémies qui entraînent généralement une forte réduction des inégalités.
Enfin, et de manière plus spéculative, les pandémies ont souvent des effets psychologiques et culturels importants. Elles sont souvent associées à une recrudescence des religions millénaristes, avec l'idée que la fin du monde est imminente à moins que nous ne modifiions radicalement nos comportements condamnables. Ce type de croyance quasi religieuse a déjà trouvé son expression dans des mouvements comme Extinction Rebellion et cela est susceptible de se renforcer, avec des résultats politiques et culturels imprévisibles. En revanche, beaucoup de gens réagissent en pensant que si la vie est précaire, autant vivre pour l’instant et ne pas retenir ses désirs. Certaines personnes voient leur confiance dans les experts restaurée ou renforcée, mais beaucoup perdent le peu de confiance qu’elles avaient et se tournent vers des idées marginales, – un processus qui était déjà en cours.
La pandémie que le monde connaît va passer mais ce ne sera pas la dernière. En outre, quelle que soit sa gravité, l’histoire montre qu’elle aura des effets et des conséquences sur le comportement des gens à l'avenir, et ces effets et ces conséquences pourraient être plus importants et avoir des répercussions plus durables que celles de la pandémie elle-même.
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