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986Les Britanniques votent le mois prochain. La campagne électorale bat son plein et une caractéristique de plus en plus dominante apparaît (dans les sondages autant que dans le “climat”). Il ne s’agit nullement de la débâcle des travaillistes au profit des conservateurs, comme on l’attend depuis au moins deux ans, mais d’une colère générale des électeurs contre le monde politique.
Le Times de Londres de ce 14 avril 2010 publie un sondage à ce propos, révélateur, avec les commentaires dans ce sens.
«A new Populus poll for The Times reveals deep disenchantment with the campaign so far and high levels of scepticism about manifesto pledges and the parties’ honesty. More voters are now hoping for a hung Parliament than either a Tory or a Labour outright victory.
»Conservative support has slipped by three points over the past week to 36 per cent, while Labour is a point up at 33 per cent. The Liberal Democrats are unchanged on 21 per cent. The Tories remain well short of the 40 per cent level where they might hope for an overall majority, although Tory strategists will hope for a boost from yesterday’s manifesto launch.
»The parties will decamp to Manchester for tomorrow night’s debate, with senior figures admitting that they are struggling to break through to a public turned off by the campaign.
»A senior Tory told The Times: “This is a phoney war right now, but that’s not because of any lack of fighting. It’s because they think we’re all fakes.” Lord Gould of Brookwood, Tony Blair’s pollster who has returned to the fray for this election, used an interview with Progress magazine to suggest that the real division was no longer between Labour and the Conservatives. “It’s between politics and anti-politics. The dominant mood is anti-political. That is what runs over everything.”
»The poll shows that 32 per cent of the public hope for a hung Parliament, against 28 per cent who want a Tory majority and 22 per cent a Labour one. Lib Dem voters prefer a deal with Labour in a hung Parliament.
»Populus also underlines the extent of disenchantment: a mere 4 per cent think that the parties are being completely honest with voters about their tax plans and only 6 per cent about their approaches to cutting the deficit.»
@PAYANT … Belle phrase : “C’est une drôle de guerre, jusqu’à maintenant. Mais ce n’est pas par manque d’esprit combatifs chez les politiques. C’est parce que les électeurs pensent que tous les politiques sont bidon” («This is a phoney war right now, but that’s not because of any lack of fighting. It’s because they think we’re all fakes.») Ou bien, encore: “La division n’est plus entre travaillistes et conservateurs mais entre politiques et anti-politiques. L’esprit qui domine est anti-politique. Cela détermine tout”. Certes, on a rarement vu un tel état d’esprit au Royaume-Uni, si ordonné lorsqu’il s’agit d’affirmer les structures immémoriales du pays, – un tel état d’esprit qui rappelle celui qui règne aujourd’hui aux USA, ou en France dans un autre genre. Il n’y a donc rien là de spécifique au Royaume-Uni mais une référence à la crise générale; néanmoins, que l’effet touche le Royaume-Uni à ce point représente une indication particulièrement impressionnante.
Ce désir d’un “hung Parliament” (“Parlement sans majorité”, voire “Parlement paralysé”) est encore plus extraordinaire pour les Britanniques que la mépris et la colère des électeurs pour les hommes politiques. Il constitue un bras d’honneur monumental à l’une des principales vertus du système britannique, dont le mécanisme électoral (qui se fait au détriment de bien des aspects démocratiques) dégage presque automatiquement une majorité massive pour le parti vainqueur, assurant sa capacité de gouverner. Les électeurs pensent donc que les hommes politiques ne méritent même plus d’avoir les moyens de gouverner, que l’absence d’outils puissants de l’exercice du pouvoir est préférable par conséquent. Non seulement ils pensent que le pouvoir politique est impuissant mais ils vont jusqu’à juger qu’il est préférable qu’il ne puisse même pas tenter de s’exercer d'une façon convenable.
Bien entendu, ce phénomène est spécifiquement britannique et il est en même temps à dimension transversale et internationale, comme transcription britannique de la crise générale du système. Il montre combien les peuples, les électeurs, les administrés, etc., refusent de cautionner le système, – ou, plutôt, sont de plus en plus psychologiquement atteints pour accepter encore de le cautionner. En effet, c’eût été encore “cautionner le système” que sanctionner les travaillistes au profit des conservateurs, comme les sondages le laissèrent prévoir pendant assez longtemps. Il se serait agi alors du désaveu d’une formation politique, ou, disons, du désaveu de l’“‘aile’ centre-gauche du parti unique”, le parti unique restant en place. Au contraire, cette préférence pour un pouvoir politique paralysé, même si elle n’apparaît pas “constructive” du point de vue des analystes raisonnables et à la bouche pincée du système, présente une certaine cohérence. Il s’agit du rejet du système dans son ensemble, en prononçant le souhait, littéralement et dit crûment, de “les foutre dans leur merde” (les hommes politiques, serviteurs du système). Il s’agit d’une pression, d’un désir de désordre contre une caste et un système dont l’effet de l’exercice du pouvoir a été d’installer l’immense désordre de la crise derrière les discours et les promesses; désordre contre désordre, c’est-à-dire une réaction structurante par contradiction d’un système en essence déstructurant.
On ignore, bien entendu, si le souhait manifesté par ce sondage se manifestera, puisque, notamment, sa réalisation ne dépend pas du seul vote de l’électeur qui exprime ce désir mais du rapport des votes de tous les électeurs. Mais sa seule expression constitue déjà un furieux avertissement. Si, finalement, un “hung Parliament” sortait des urnes, la classe politique britannique se trouverait devant une situation extrêmement difficile. Nous ne voulons pas parler du seul point technico-politique de constituer une majorité à deux parties (les libéraux-démocrates disent déjà qu’ils seraient prêts à s’allier aux travaillistes). Ce résultat constituerait véritablement, parce qu’il serait perçu comme tel, un défi lancé par l’électorat à la classe politique, un ultime avertissement, une mise sous surveillance avec la menace de la possibilité de prolongements plus graves, comme des manifestations de colère publique. Dans tous les cas, les hommes politiques britanniques percevraient ce résultat dans ce sens. Ils se verraient alors aussi bien sous la surveillance de l’éventuelle colère publique que sous la surveillance de la City. A ce point d’exacerbation, c’est un rude dilemme.
Mis en ligne le 14 avril 2010 à 10H05