C'est pas d'jeu

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4 novembre 2002

On savait que la France pouvait être donquichottesque, on ignorait que les USA pussent être moulin-à-ventesques. (On n'invente rien sinon l'un ou l'autre néologisme, si l'on consulte le titre : «  France as Quixote, tilting at American windmills. ») C'est la thèse implicite de Robert Kagan, vexé, furieux, thèse qui vous est expédiée en quelques lignes à prendre ou à laisser, dans l'International Herald Tribune et le Washington Post de ce jour.

On attendait les réactions de Robert Kagan devant les événements qui se passent à l'ONU. On pensait cette réaction inévitable tant, pour l'Europe, la politique américaine est représentée par ses écrits. Kagan ne pouvait plus ne pas réagir, d'autant qu'il est mis en cause, et pas par les Français. (Pour rappel, pour la troisième fois sur ce site, cette citation de David Ignatius dont on comprend qu'elle n'ait pas plus du tout à Robert Kagan : « Six months ago, when analysts such as Robert Kagan were celebrating America's cult of military strength, the common view was that the Europeans were powerless to stop Washington. It turns out that's not exactly true. The Europeans are discovering that they can use institutions such as the United Nations as a brake against what they consider America's “hyper-power.” ») Kagan a donc réagi.

Déception à la mesure de notre attente. Le court texte de Kagan est un étonnant reflet, — étonnant dans le sens où l'homme aurait pu songer à farder ses réactions — d'une rancoeur et d'une colère sans autre perspective que de s'exprimer à la façon dont font les jeunes âmes, dans les cours de récréation, lorsqu'ils s'aperçoivent que quelque force extérieure à leur rêverie vient interrompre le cours de celle-ci, et sans jouer leur jeu.


«  Seen through French eyes, the world is suddenly a wonderful place. There is the United States, the rogue colossus. There is Tony Blair, America's poodle. There is Gerhard Schröder, impaled upon his unilateralist, “German way” pacifism. And then there is France, tougher-minded than the Germans, prouder and more independent than the British and, because of its seat on the Security Council, the only modern, civilized power in the world able to tame and civilize the American beast. It is a mission worthy of a great country. Who would ever want to wake from such a dream? »


Kagan nous dira-t-il un mot de la stupidité foncière de la manoeuvre américaine consistant à venir s'exposer à l'ONU aux coups de ceux qui n'aiment pas sa politique ? Dira-t-il un mot de la réalité des sentiments des autres pays (Rest Of the World), accueillant avec un étonnement ravi, puis avec enthousiasme, l'initiative française face à l'Amérique ? Un mot des Russes de Poutine, des Mexicains de Fox ? Il s'en garde. Pour lui, et en un sens les Français le prendront comme un compliment du type “noblesse oblige”, il n'y a que la France. Ce n'est pas loin d'être vrai, d'ailleurs. Il faut savoir monter Rossinante et savoir ferrailler dur pour jouer au Don Quichotte ; tandis que les gros moulins qui tournent, bof ...

A partir de là, le reste est écrit :

• Les Français sont désormais responsables du terrorisme dans le monde puisqu'ils ont interrompu l'action des USA, éclairée et si efficace avant et après le 11 septembre, comme chacun sait. («  The real world of terrorists, tyrannical aggressors and weapons of mass destruction is a much less accommodating world for France than the legalistic, one-country, one-vote world of the Security Council or the postmodern paradise of the European Union. »)

• S'il y a tout de même la guerre contre l'Irak, eh bien les Français n'y participeront pas ou bien ils y participeront, et alors, ils riront beaucoup moins, ces femmelettes qui ne supportent pas la moindre perte, qui ont inventé pour cela la doctrine du zéro-mort. (« If the United States ever does invade Iraq, the French must either stand by helplessly or take their place by America's side, and that is not nearly as enjoyable. It's more fun to play Don Quixote, tilting at American windmills. »)

• Ah, quatrième temps de ce court texte, pour terminer, le temps de la prudence pour l'expert prévisionniste ... Prudent, Kagan, on ne sait jamais, il faut tout prévoir pour ne pas être pris, une fois de plus, sur les terres de l'incompétence. Alors il prévoit le pire (pas de guerre) et il prévoit encore plus, et il annonce par avance que le véritable inspirateur de Saddam-Hitler qui s'en sortirait, ce n'est rien d'autre que la France ; Saddam-Hitler grâce à Chirac-Pétain, en un sens. (« And who knows? If France can prolong the game for a few more months, George W. Bush's chance to remove Saddam Hussein will have passed and the Iraqi leader will be safe again. What a triumph that will be for France's vision of a just international order. »)

Ceci, pour terminer : de citation en citation, nous découvrons que nous avons tout le court texte de Kagan. Tant pis pour les droits d'auteur : c'est pas d'jeu, le court texte était encore plus court que ça.