Bagdad-Omnibus

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Bagdad-Omnibus


20 novembre 2002 — Trois jours que l'ONU est à Bagdad, déjà apparaît l'extraordinaire complexité du jeu qui va accompagner la mission des inspecteurs de l'ONU. Qu'on en juge :

• Les Américains ont reculé dans leur exigence que tout tir irakien contre leurs avions évoluant dans la “no-fly zone” doit être considéré comme un casus belli. C'est ce que le Washington Times du 19 novembre désigne assez rageusement comme ceci : « “Zero tolerance” suffers its first weakening ». (“Zero tolerance”, doctrine officielle du gouvernement US, de n'accepter aucune démarche irakienne pouvant être jugée comme violant la résolution 1441.) Le ton qu'implique cet énoncé du titre, le ton de l'article, montre qu'une certaine amertume commence à envahir l'état d'esprit de la droite radicale qui soutient GW et recommande une guerre contre l'Irak. (Sans être absolument aligné sur ces thèses radicales, le Washington Times en est un bon relais.)

• Dans cette affaire, les Britanniques ont préféré choisir une position d'“opposition désolée”, c'est-à-dire de manifester au nom de la raison leur désaccord à leur allié américain. Les Britanniques savent que le projet des divers super-faucons de considérer un tir contre les avions évoluant dans la “no-fly zone” comme un casus belli n'a aucune chance de convaincre un seul membre du Conseil de sécurité. Dans ce commentaire d'une source britannique à l'OTAN, on sent une certaine exaspération : « Les cow-boys du Pentagone auraient dû comprendre que pas un non-US n'achèterait cette explication. Tout le monde au Conseil de Sécurité est persuadé que ces vols sur l'Irak servent à 150% pour des provocations du Pentagone contre les Irakiens. »

• Kofi Annan lui-même en rajoute en déclarant publiquement, et d'une façon qui est assurée de lui attirer bien des reproches du côté US : « I don't think that the council will say this is in contravention of the resolution of the Security Council. »

• ... Enfin, les Irakiens eux-mêmes s'y mettent. Ils assurent l'ONU de leur coopération totale, montrant par là que, peut-être, après 12 ans de crise, Saddam a compris comment ils pouvaient espérer figurer dans le jeu diplomatique autour de son pays.

Face à l'échec de l'affaire de la “no-fly zone”, les Américains ont une attitude singulière. Ils continuent à considérer (ce qu'on peut comprendre), et à le dire de façon ouverte (ce qu'on comprend moins), que la résolution 1441 est une sorte de champ d'exploitation pour trouver un argument justifiant une guerre. On le voit dans le commentaire ci-dessus (de l'article du Washington Times :


« In New York, however, a U.S. official indicated that the American position has so little support in the Security Council that it was unlikely to become the basis of any military attack.

» “There is open disagreement” on the legality of the patrols, said the official, who spoke on the condition he not be identified. ”It wouldn't be our strong suit if we brought that back into the council.”

» “We and the Russians and others note that there is differing interpretation over [whether the Iraqi attacks violate the latest resolution] and we, both of us, decided not to highlight that.”

» The official added there was “other useful material” in the resolution that could be used to justify an attack “such as protecting inspectors and those who are working with them.” »


D'après les contacts que nous avons eus auprès de sources diplomatiques, à Bruxelles, avec elles-mêmes des contacts suivis actuellement avec l'ONU, on peut conclure ceci :

• Les Américains se trompent sur le climat qui règne à l'ONU. Ils croient que c'est un climat qui leur redeviendra favorable lorsqu'ils le voudront, à cause de leur puissance, alors que ce qui s'est passé avec la ”no-fly zone” tend à montrer le contraire. Plus encore, le fait que les USA reconnaissent qu'ils sont sensibles à cette opposition, renforce évidemment celle-ci. « Les Américains ne mesurent pas le poids de leurs paroles, dit une de ces sources. Ils disent qu'ils seront soutenus quand ils le voudront sur tel ou tel point, alors qu'ils reconnaissent l'instant d'avant qu'on ne les a pas soutenus sur l'affaire de la “no-fly zone”, malgré les pressions qu'ils avaient commencé à exercer. Ils sont incapables de faire un rapport entre ceci et cela. »

• L'attitude ingénument cynique des Américains leur fait un tort considérable, comme cette attitude consistant à dire qu'il y a, dans 1441, «  other useful material » pouvant justifier une attaque. Une de nos sources : « >MI>Ils ne comprennent absolument pas que le Conseil n'a pas voté 1441 pour leur offrir un catalogue d'éventuels argument officiels pour justifier une attaque. Ils ne comprennent absolument pas qu'il y a des gens qui sont attachés à la légalité internationale. »

D'une façon générale, notre appréciation est que ce jeu en Irak va se compliquer, les Américains eux-mêmes réagissant différemment au sein de l'administration. Nous devons avoir à l'esprit que l'administration GW n'a aucune direction, aucune autorité centrale, la politique étant déterminée par des jeux d'influences des différents groupes de pression à l'intérieur de l'administration. C'est ce que Woodward désigne dans sa série d'articles sur les coulisses de la crise à Washington : « To win the heart and the mind of the Président.

Il y a moins de nécessité qu'on croit en général, chez les Américains, de ne pas perdre la face face à l'extérieur, parce que chaque faction est d'abord préoccupée de maintenir sa position au sein du pouvoir et considère son influence sur la politique, et cette politique elle-même, en fonction de ce but. (C'est une réelle décadence des capacités politiques de la direction américaine, due au fractionnement grandissant dans cette direction.) C'est-à-dire que les Américains peuvent céder sans avoir l'impression d'avoir fait montre de faiblesse, comme dans l'affaire de la “no-fly zone” ; mais, pour les autres, les non-Américains, l'impression est forte et subsiste, selon laquelle les USA ont effectivement fait montre de faiblesse.

La dernière observation à relever est que les Américains semblent maintenant bien verrouillés au processus ONU (ils l'ont été sans vraiment s'en apercevoir). Il ne semble plus guère question pour eux, désormais, de se passer d'un accord au moins tacite de l'ONU pour lancer une attaque. Le terrain perdu par les Américains depuis le mois d'août dernier, derrière les rodomontades alimentées par les compte-rendus de presse, apparaîtra impressionnant lorsqu'on embrassera toute la crise.

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