Autour de l’accord UE-Ukraine : désordre et fantasy-narrative

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Autour de l’accord UE-Ukraine : désordre et fantasy-narrative

Vendredi 12 septembre, les négociations entre l’UE (Commissaire au Commerce Karel De Gucht) et l’Ukraine (ministre des affaires étrangères Pavel Klimkine) pour l’application de leur accord commercial récemment signé ont abouti à une surprise remarquable. La mise en œuvre de cet accord est retardée du 1er novembre 2014 au 31 décembre 2015. Cette décision est présentée comme un avantage incontestable pour l’Ukraine par De Gucht, en raison de la situation économique “très difficile de l’Ukraine”.

«[De Gucht] also said it is “advantageous to your country [Ukraine]” because the EU will extend its low tariff regime for Ukrainian exports while Ukraine can continue to impose tariffs on EU goods.” He said the decision was made due to the “very difficult economic situation in Ukraine”.»

Ces remarques sont rapportées par un article de Andrew Rettman, de EUObserver, le 12 septembre 2014, – un article sur lequel nous revenons en détails plus loin. Le même 12 septembre 2014, Russia Today présente l’accord comme un “succès diplomatique majeur” pour la Russie, parce qu’il laisse beaucoup de temps aux divers partenaires, et notamment à l’Ukraine, de reconsidérer certaines orientations qui semblaient inéluctables avec l’accord UE-Ukraine. Les Russes espèrent notamment convaincre l’Ukraine, et éventuellement l’UE, de rechercher une formule où elle (l’Ukraine) pourrait trouver un moyen, même si elle établit des liens avec l’UE, de conserver des liens commerciaux avec la Russie dans le cadre de l’Union douanière eurasienne qu’a lancée la Russie.

«Moscow scored a major diplomatic coup after Kiev agreed to postpone the enforcement of its Association Agreement with EU until the end of next year, following three-way talks between Russia, Ukraine and European Union officials in Brussels... [...]

»Russia's chief negotiator in Brussels, economic development minister Aleksey Ulyukaev, said that Moscow, which is in the process of creating its own free trade zone with former Soviet states, hadn't given up its hope of attracting Kiev into its economic sphere. “We will use the next fifteen months to continue our dialogue with the Ukrainian side. We will present our arguments, and the Ukrainian side will reply with theirs,” said the Russian official.»

Maintenant, revenons à l’article de EUObserver, qui représente un très court et percutant archétype du fonctionnement de la presse-Système devant des événements contradictoires et pleins de désordre, qu’elle ne comprend pas parce qu’elle ne peut comprendre ; qu’elle présente en respectant ce désordre comme s’il s’agissait d’une vertu cardinale ; qu’elle pimente en y ajoutant quelques éléments de communication générale relevant de la pure fantasy-narrative, qui est cette sorte d’hyper-narrative spécialement développée par le bloc BAO pour l’Ukraine.

• Comme on l’a donc vu, cet aboutissement des négociations reportant l’application de l’accord du 1er novembre 2014 au 31 décembre 2015 est une complète surprise : avantageux pour l’Ukraine, qui est dans une très mauvaise situation économique, et aussi, toujours selon De Gucht, «part and parcel of the comprehensive peace process in Ukraine». Enfin, le Commissaire européen a argumenté, d’une manière évidente, que la décision ne désavantageait en rien la Russie et repoussait d’autant (au moins treize mois) la possibilité de sanctions russes contre l’Ukraine.

• Pourtant le même vendredi, dans la matinée, le président de la Commission européenne également en visite à Kiev, confirmait, en même temps que Porochenko, que le traité, qui devrait être ratifié demain par la Rada de Kiev, serait effectivement en application le 1er novembre. Le journaliste Andrew Rettman note qu’une de ses sources à Kiev, un diplomate européen, lui avait dit après l’annonce du résultat des négociations, que la décision de De Gucht avait causé “un choc et de l’étonnement”...

«One Ukraine-based EU diplomat told EUobserver the De Gucht news caused “shock, astonishment”. He noted that European Commission head Jose Manuel Barroso and Ukraine president Petro Poroshenko had earlier the same day in Kiev spoken of ratifying the treaty on 16 September and implementing it on 1 November.

»Barroso has on several occasions said Russia cannot have a veto on EU-Ukraine ties.»

• Qu’à cela ne tienne, Barroso et Porochenko entérinaient en fin d’après-midi la décision de De Gucht. Barroso, l’homme qui ne supporte pas un veto russe, appréciait aussitôt en fin diplomate que cette décision allait apaiser certaines préoccupations russes. Porochenko prenait à son compte cette décision des négociateurs de Bruxelles, tout en précisant que pas une ligne ne serait changé, ni aujourd’hui, ni le 31 décembre 2015, au texte du traité entre l’UE et l’Ukraine.

«Referring to the De Gucht talks on Friday, [Barroso] said they will “hopefully, [be] meeting some Russian concerns”. Poroshenko said he had asked the EU to “defer” the lifting of Ukrainian import tariffs on EU goods and compliance with EU food safety standards. He ruled out changing the content of the text, however.»

• L’affirmation de Porochenko (on ne changera pas une ligne du traité d’ici le 31 décembre 2015) a évidemment pour but de montrer que l’Ukraine n’entend pas une seconde envisager le moindre changement qui la rapprocherait de Moscou, comme les Russes l’espèrent, en même temps qu’elle s’amarrerait à l’UE. Là-dessus, une déclaration de De Gucht va exactement au contraire, affirmant que tout ce qui est en cause dans cette affaire peut être modifié d’ici le 31 décembre 2015 («When asked if the content of the EU trade treaty can be changed in the run-up to December next year, [De Gucht] replied: “We will discuss everything that is brought to the table”.»)

• Pendant ce temps où l’un (un Commissaire européen) faisait des gracieusetés aux Russes tandis que l’autre (son président) l’ignorait, l’Union Européenne s’occupait, dans d’autres services et d’autres réunions, de confirmer et d’activer les nouvelles sanctions antirusses dont on avait dit qu’on s’abstiendrait de les appliquer si le cessez-le-feu en Ukraine marchait, alors que le cessez-le-feu en Ukraine semble effectivement marcher (c'est-à-dire, selon la narrative officielle)... Qu’en dit De Gucht, l’homme qui vient d’arranger un accord qui plaît tellement aux Russes et ne semble donc nullement correspondre à l’“esprit des sanctions jusqu'à le contredire ? Rien, puisque ce n’est pas son affaire au sein de la bureaucratie de l’Europe-Bruxelles où chacun s’occupe de ses affaires sans chercher la moindre coordination politique...

«The EU earlier on Friday imposed economic sanctions on Russia over its invasion of east Ukraine, with Russia threatening to retaliate with “asymmetric” measures. But De Gucht said he did not discuss the sanctions with the Russian minister because they are “out of my remit”.»

• Enfin, on notera au milieu du texte de l'article cité une irruption autoritaire de la fantasy-narrative type-Spécial-Ukraine. Deux phrases foudroyantes et fantasmagoriques à la fois pour rappeler les conditions politiques auxquelles est soumise la malheureuse Ukraine. Nous restituons cette irruption, précédée et suivie de membres de phrases sur la rapport de l’événement lui-même.

»...The trade pact is 5kg of technical documents, but it has symbolic value in Ukraine.

»Hundreds of people died in the “Euromaidan” revolution in February when Ukraine’s former leader decided not to sign it. Thousands more died after Russia attacked Ukraine to stop it joining Western blocs.

»One Ukraine-based EU diplomat told EUobserver the De Gucht news caused “shock, astonishment...»

A tout seigneur, tout honneur : les mots en gras sont ceux qui, on l’aura compris, composent la fantasy-narrative. Ils prétendent ici nous “rappeler” 1) que la révolution-Maidan (non, “EuroMaidan”, nuance) a eu lieu en février (le 21-22), “quand [Ianoukovitch] décida de ne pas signer l’accord-ultimatum que lui présentait l’UE”, alors que ce refus date du 18 novembre 2013, trois mois plus tôt. Entre les deux dates, nombre d’événements se sont passés, des manipulations de Pravy Sektor aux hamburgers distribués à Kiev par Victoria Nuland-fuck entre deux coups de téléphone, aux diverses interventions du FMI. Le lien de cause à effet direct jusqu’à constituer un nœud fermé entre le refus de Ianoukovitch de novembre 2013 et EuroMaidan de février 2014 (plus les “centaines de victimes” implicitement attribués à qui l’on sait à la lumière de ce que l’on sait vraiment) représente un extraordinaire désintérêt pour le seul rapport de la vérité de la situation avec une réalité concevable. 2) Les “milliers de morts après l’attaque de l’Ukraine par la Russie” relève du même réflexe pavlovien exécuté par un camarade-dyslexique schizophrène. On sait ce qu’est “l’attaque” (l’affaire de Crimée, où 25 000 soldats russes étaient stationnés et libres de leurs mouvements par traité, où le référendum organisé par les autorités criméennes a donné une écrasante victoire pour demander le rattachement à la Russie, dans des conditions de régularité qui repoussent loin derrière, par exemple, l’élection d’un président des USA en 2000, confiée aux manipulations d’un État [la Floride] et à la décision d’une Cour Suprême donnant la victoire à celui qui avait le moins de votes populaires). Le contraste entre les énoncés télégraphiques, ou fantasy-narrative télégraphique, constitue un archétype acceptable du comportement dyslexique-schizophrène de la presse-Système.

... Mais voilà que cet élément, qui semblerait un exercice de mise en ordre-Système, s’inscrit au milieu d’une situation d’un désordre complet, caractérisée par l’improvisions, la non-coordination, la contradiction, l’absence de communication, etc., des deux partenaires UE et Ukraine, et cela sous le regard un tantinet ironique des Russes qui, dans ce cas, ramassent la mise ... Les Russes n’ont rien vu venir dans cette affaire, bien qu’ils plaidassent ce qu’on a finalement accepté. Ils prennent donc la mise avec satisfaction mais n’en sont pas plus éclairés sur les pratiques étranges du bloc BAO, section-UE. Essayons de le faire (les éclairer) avec nos hypothèses.

L’épisode de vendredi est, par son incohérence où l’on voit les directions diverses de l’UE se contredisant quasiment côte-à-côte, une remarquable démonstration de l’absence totale de stratégie de l’UE (avec l’Ukraine suivant au petit bonheur la chance, simplement en tentant de durcir dans un sens antirusse chaque tournant qu’elle est obligée d’effectuer, même lorsqu’il est avantageux pour les Russes). On voit confirmée l’absence totale de véritable politique (y compris celle de l’expansion colonisatrice) de l’Europe-Bruxelles, ou la “politique” réduite aux acquêts d’une “idéologisation”-Système à-la-Barroso, donc elle-même réduite à l’énoncé psalmodié des “valeurs” droitdel’hommesques et sociétales proposées par le bloc BAO au nom du Système, avec bien entendu le magnétisme absolu de la religion hyperlibéraliste. Tout cela ne devrait pas être une surprise, sauf, peut-être et une fois de plus, pour ceux qui prêtent à ce bloc bureaucratique de l’Europe-Bruxelles où chaque direction a sa “politique” une cohésion et un machiavélisme qu’il n’eut jamais. Nous le notions déjà (le 2 juin 2014) à propos de l’éclat initial de la séquence, la rupture UE-Ianoukovitch de novembre 2013, – et nous-mêmes ajoutant ici un souligné de gras pour attirer l’attention sur ce qui nous importe de faire observer :

«Il est assuré que la crise ukrainienne dans sa phase active présente commence à la mi-novembre 2013 avec la rupture des négociations entre l’Ukraine et l’UE. Nous avons déjà signalé la pression considérable, quasiment impérialiste, qu’a exercé la Commission Européenne sur le gouvernement Ianoukovitch, et cela suivant une dynamique-Système de la bureaucratie, sans dessein politique avéré, sans consigne particulière du centre (la direction de la Commission), mais simplement en suivant la dynamique bureaucratique. (On peut citer notre texte du 31 mai 2014: “Il faut entendre du dedans, c’est-à-dire chez certains fonctionnaires de cette direction qui y furent directement impliqués, le récit de la circonstance initiale de novembre 2013 qui déclencha la crise ukrainienne, l’extraordinaire intransigeance du Commissaire à l’Elargissement de la Commission, tchèque de nationalité, qui mena les négociations et refusa la moindre concession à Ianoukovitch, ne lui laissant d’autre choix que de refuser, – et ainsi pourra-t-on mieux comprendre cette crise-là...”)»

Ce qui fait bien entendu le sel de l’épisode de vendredi, accentué par une Commission en fin de mandat où les tendances sectorielles de la bureaucratie s’affirment encore plus, c’est bien entendu qu’on voit se côtoyer des affirmations d’intransigeance antirusses sans aucune cause stratégique, – l’activation des sanctions, bien entendu, en plus des rodomontades roucoulantes de Barroso, – avec une recherche d’un compromis avec la Russie, pour tenter d’éviter l’effondrement ukrainien, – l’accord négocié par De Gucht. Il est inutile de chercher le moindre enseignement politique de tout cela, à moins que le constat du désordre complet dont l’Europe-Bruxelles est un exemplaire remarquable puisse être qualifié de “politique”. Il est inutile d’épiloguer à propos de ce qui serait une “politique russe” de l’UE, avec des tactiques subtilement préparées pour une stratégie superbement dissimulée, là où il n’y a que les heurts incohérents des dynamiques différentes de compères embarqués dans la même galère folle.

Pour couronner le tout et ajouter un constat sur le système de la communication et la presse-Système, il y a l’article qui nous rapporte tout cela, puisé aux meilleures sources il n’en faut pas douter, et qu’il faut considérer comme exemplaire de la démarche générale de la presse-Système. L’auteur de l’article décrit le désordre sans rien expliquer ni rien y comprendre, et n’expliquant rien puisqu’il n’y comprend rien, – sans se douter, d’ailleurs, qu’il n’y a rien à comprendre et que c’est là tout le sel de ce qui devrait être son commentaire. Ainsi la cerise sur le gâteau du rappel en deux phrases de l’historique “politique” en fantasy-narrative de la crise ukrainienne scintille-t-elle avec bien plus de mille feux, jusqu’à croire qu’il s’agit d’un véritable diamant (ou disons un rubis). Cela s’appelle “information” dans nos démocraties exemplaires, et cela serait pathétique si ce n’était aussi dérisoire.

Là-dessus, on conclura par conséquent que nous voyons plus que jamais la politique du bloc BAO dont l’UE est un des éléments-clef réduite (ou haussée, pour ceux qui ne raisonnent qu’en termes quantitatifs de surpuissance) au développement aveugle de la politique-Système, mais avec de plus en plus d’incohérences, de collisions, de contradictions, à mesure que les sujets traités deviennent plus complexes, – et Dieu sait si c’est le cas avec la crise ukrainienne et les relations Russie-UE (Russie-bloc BAO) en pleine crise du fait de l’intransigeance absolue imposée par le Système. On arrive de plus en plus aisément à des situations de contradiction où les éléments les plus fidèles au Système finissent, selon les circonstances et les relativités d’occasion, par défendre des actes qui se transforment complètement dans le sens antiSystème. Avec l’arrivée du “dictateur” Juncker en remplacement de l’insignifiant Barroso, on va voir ce désordre exacerbé par la tendance qu’aura Juncker à vouloir tout contrôler politiquement, alors que les bureaucraties respectives du monstre qu’est l’Europe-Bruxelles, par ailleurs renforcées par la tendance dictatoriale de leur président, entendront affirmer de plus en plus leurs programmes et leurs “politiques” au risque multiplié à l’infini de chocs et de tensions contradictoires à l’intérieur de lui-même (du monstre).


Mis en ligne le 15 septembre 2014 à 07H05

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