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1467On commencera par en conclure, – façon originale de débuter un travail, – qu’il est bien dommage que les Grecs, en plus de types comme Parménide et Platon, n’aient pas eu la CIA. Ils auraient complètement réussi leur démocratie et auraient pu alors justement prétendre au statut de modèle de civilisation. Tandis que ce n’est pas le cas, puisque ce statut est réservé aux États-Unis d’Amérique, n’est-ce pas, – qui d’autre ?
Dans une étude dont il faut sans aucune hésitation dire d’elle combien elle est remarquable, le site WSWS.org montre comment la CIA, et plus généralement les grandes agences et ministères de la communauté de sécurité nationale, sont en train d’investir complètement le parti démocrate. (Donc, lorsqu’on parle de “CIA” dans ce texte, on embrasse plus que la CIA tout en ayant à l’esprit que c’est elle qui se taille une part importante dans cette opération et, surtout, qui en est selon notre jugement et notre perception métahistorique l’inspiratrice symbolique en tant qu’organisation mythique si complètement exemplaire du Système.)
Il ne s’agit pas d’une opération secrète, d’une vaste corruption organisée des cadres du parti (c’est déjà fait), d’une opération d’infiltration savamment orchestrée mais masquée et fausse-barbée comme l’Agence en a l’habitude ; au contraire, opération très franche, à ciel ouvert, que tout le monde peut constater et comptabiliser si l’on juge que la chose a quelque intérêt suffisant pour être portée à la connaissance du public... Cet investissement se fera sentir dès les élections de novembre prochain, car nombre de candidats démocrates, qui seront probablement élus, viennent des rangs de la CIA & Cie. Bien entendu, ces officiers & autres ont quitté le service, mais l’on sait qu’une fois passé par la CIA on reste lié à une sorte de confrérie ; tous ces candidats ont donc quitté le service mais ils restent, disons, en service commandé. Il faut noter que cette expression que nous employons (“service commandé”) n’implique pas que nous croyons à une opération mûrement réfléchie et minutieusement préparée et exécutée, mais simplement à une dérive normale du processus de décadence-effondrement du Système dans la logique de l’évolution de la situation telle qu’elle est décrite dans l’article ci-dessous de WSWS.org.
(L’étude de WSWS.org comprend trois articles séparés, qui détaillent les circonstances et les détails de cet investissement, avec différents profils et biographies de candidats venant des “services”, etc., tout cela en date des 7 mars 2018, 8 mars 2018 et 9 mars 2018. Un dernier article, en date du 13 mars 2018, achève et conclut la série, en dégageant ce que le site estime en être les enseignements politiques, et la prospective que l’on peut envisager. C’est cet article, dans sa traduction française, que l’on trouve ci-dessous.)
La question centrale qui se pose dès lors semble paradoxale ou extraordinaire, et pourtant elle répond au simple bon sens raisonnablement bien informé : cette opération va-t-elle changer quelque chose à l’orientation des USA ? Qui plus est, elle se prolonge d’une autre question, plus précise : cette opération ne va-t-elle pas aggraver les choses pour l’américanisme, pour le Système, c’est-à-dire obtenir le résultat inverse à celui recherché ?
Bien entendu, WSWS.org présente le phénomène selon ses conceptions : une aggravation de la mainmise d’une élite corrompue, tyrannique, quasiment esclavagiste de la population entière ; là-dessus s’ajoute la complainte habituelle sur l’aspect évidemment “réactionnaire“, sur les “masses laborieuses” et opprimées qui doivent se regrouper en puissantes organisations de très-à-gauche et de vraie-gauche, c’est-à-dire trotskistes. Laissons dire et écrire, car ce n’est certes pas, ni l’essentiel ni l’important.
Le fait qu’il faut plutôt retenir à partir du constat que le texte ci-dessous alimente d’ailleurs indirectement, c’est que la transformation et l’accélération de l’interventionnisme de la CIA avec des moyens de plus en plus considérables, et sans plus se dissimuler de rien ni être inquiétée en rien, aboutit depuis 9/11 à une impressionnante série d’échecs, de catastrophes, d’absurdités, de ratages exceptionnels et ainsi de suite. La fantastique puissante montante sinon exclusive de la CIA accompagne sinon accélère et même accouche elle-même complètement du processus de décadence et d’effondrement de l’américanisme et du Système. La façon dont la CIA a totalement raté, presque jusqu’à une sorte de perfection, l’évolution de la puissance militaire russe symbolisée par le discours du 1er mars de Poutine, constitue une démonstration convaincante de l’aveuglement de l’Agence, de son impuissance, de son incohérence, et par-dessus tout cela de sa complète bêtise générée par son arrogance et son hybris. La CIA est illégale, cruelle, massacreuse, manipulatrice, corruptrice, déconstructrice, et par-dessus tout cela elle est d’une bêtise qui passe tout ce qu’on aurait pu imaginer.
Et elle n’est pas prête de changer, au contraire elle va accélérer encore et encore dans ce sens. La nomination comme directrice de l’Agence de la tortionnaire-en-chef, dite “la grand’mère de la torture”, la Gina Haspel, va encore accentuer la brutalité cruelle et bornée qui est la mère nourricière de l’idiotie-turbo de la chose. La Haspel n’imagine pas une seconde qu’un service de renseignement puisse servir justement au renseignement, notamment stratégique et notamment dans une mesure de prospective. Bien entendu, cette évolution depuis 9/11 et en complète accélération se répercute sur les officiers, agents et tortionnaires, exécuteurs, etc., de l’entité. On recrute dans ce sens, et qui se ressemble s’assemble illico presto.
(Il est d’ailleurs, – remarque en passant pour marquer notre sollicitude pour débusquer le moindre signe d’irresponsabilité qui vaudrait au suspect la clémence du tribunal, – il est tout à fait remarquable qu’au moment où les grands chefs des puissantes forces armées US proclament que la “guerre contre la terreur” est finie [et gagnée, sacrebleu !] et qu’il faut en revenir aux bonnes vieilles recettes des ennemis à mesure, ditto la Chine et la Russie, on choisisse pour conduire l’Agence, après la retentissante réussite du suivi de l’évolution de la Russie, une hyper-spécialiste du traitement humanitariste des suspects de “la guerre contre la terreur” qu’est notre “grand’mère de la torture”.)
C’est dans ce sens qu’il faut juger la grande offensive démocratique d’investissement du parti démocrate par la CIA. Dieu sait si l’actuel personnel exécute bien les consignes : un Congrès belliciste contre tous et n’importe qui, antirussiste jusqu’à l’extase, votant des chèques en blanc mais nullement en bois au Pentagone et à la CIA, cherchant partout du regime change, et ainsi de suite. Que peuvent apporter de plus les nouveaux démocrates-CIA, sinon prêter le flanc à d’éventuelles remarques, critiques, etc., de la part d’antiSystème en mal de cibles nouvelles ? Mais la bureaucratie et le Système sont ainsi faits : ils ne peuvent croire qu’on puisse faire aussi bien qu’eux, sinon mieux parfois, dans le sens de l’infamie et de l’idiotie.
Les nouveaux parlementaires démocrates-CIA qui vont faire irruption en novembre prochain ne pourront faire qu’aggraver la situation du Congrès, des élites, du Système, par rapport à des événements qu’ils favorisent et qui ne cessent de tourbillonner en catastrophes toujours plus graves. Ils sont la marque de l’aggravation incessante de l’état du Système, et nullement un échelon de plus dans le domaine d’une oppression qui a dépassé à la fois sa raison d’être et son savoir-faire. Prétendant au renforcement de l’ordre du Système, ils ne feront qu’aggraver le désordre qui en découle naturellement.
Ainsi nous réjouissons-nous de cet incontestable renforcement de la bêtise courante du Système. Ainsi sommes-nous loin de partager les préoccupations de WSWS.org, tout en reconnaissant l’excellence de leur travail dont ce texte du 13 mars 2018 rend compte de l’essentiel.
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Dans une série de trois articles (en anglais) publié la semaine dernière, le World Socialist Web Site a documenté un afflux sans précédent d’agents des services de renseignement et de l’armée dans le Parti démocrate. Plus de 50 de ces candidats du milieu militaires et du renseignement demandent l’investiture démocrate dans les 102 circonscriptions identifiées par le Comité démocrate de campagne pour le Congrès comme cibles en vue des élections en 2018. Il s’agit à la fois de sièges vacants et ceux où les élus républicains sont considérés comme vulnérables dans l’hypothèse d’un retour d’opinion publique favorable aux démocrates.
Si le 6 novembre (date des élections), le Parti démocrate obtient les 24 sièges nécessaires pour prendre le contrôle de la Chambre des représentants, les anciens agents de la CIA, les commandants militaires et les fonctionnaires du département d’État fourniront la marge de victoire au Congrès et détiendront la clé pour y assurer une majorité. La présence de tant de représentants de l’appareil de renseignement et de l’armée à la législature est une situation sans précédent dans l’histoire des États-Unis.
Depuis sa création en 1947, sous le gouvernement du président démocrate Harry Truman, la CIA s’est vue interdire juridiquement de mener aux États-Unis les activités qui étaient sa mission à l’étranger : espionnage, infiltration, provocation politique, assassinat. Le respect de ces interdictions n’avait pas cours dans la pratique.
Dans la foulée de la crise du Watergate et de la démission forcée du président Richard Nixon, le journaliste Seymour Hersh publia la première révélation dévastatrice de l’espionnage de la CIA à l’intérieur des frontières du pays dans un reportage d’investigation du New York Times du 22 décembre 1974. Ce reportage fit déclencher la mise en place de la Commission Rockefeller, une tentative par la Maison Blanche de limiter les retombées, et des commissions spéciales du Sénat et de la Chambre, nommés d’après leurs présidents, le sénateur Frank Church et le représentant Otis Pike, qui ont mené des audiences et fait des enquêtes sérieuses sur les crimes de la CIA, du FBI et de la NSA.
La commission de Church a notamment mis en lumière les complots d’assassinats de la CIA contre des dirigeants étrangers comme Fidel Castro, Patrice Lumumba au Congo, le Général René Schneider au Chili et bien d’autres. D’autres horreurs ont été révélées : le programme MK-Ultra, dans lequel la CIA soumettait secrètement des victimes involontaires à l’expérimentation de drogues comme le LSD ; l’Opération Mockingbird, dans laquelle la CIA a recruté des journalistes pour fabriquer des histoires et dénigrer des opposants ; l’Opération Chaos, un effort pour espionner le mouvement anti-guerre et semer la discorde ; l’Opération Shamrock, dans le cadre de laquelle les entreprises de télécommunications ont partagé leur trafic d’informations avec la NSA pendant plus d’un quart de siècle.
Les commissions Church et Pike, malgré leurs limites, ont eu un effet politique dévastateur. La CIA et ses organisations de renseignement conjointes au Pentagone et à la NSA sont devenues des parias politiques, détestées comme les ennemis des droits démocratiques. La CIA en particulier était largement considérée comme la “Murder Incorporated” (société anonyme d’assassinat).
Durant cette période, il aurait été impensable que des douzaines d’« anciens » agents du renseignement et de l’armée participent ouvertement à la vie politique, ou qu’ils soient accueillis et même recrutés par les deux partis contrôlés par les grandes entreprises. Les démocrates et les républicains gardaient leurs distances, au moins de façade, pour les relations publiques, de l’appareil d’espionnage, tandis que la CIA déclarait publiquement qu’elle ne recruterait plus ou ne paierait plus de journalistes américains pour publier des informations provenant de Langley en Virginie (le siège de la CIA). Même dans les années 1980, le scandale Iran-Contra aboutit à la révélation publique des opérations illégales du directeur de la CIA de l’administration Reagan, William Casey.
Comme les temps ont changé. L’une des principales fonctions de la « guerre contre le terrorisme », lancée à la suite des attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et le Pentagone, a été de réhabiliter l’appareil d’espionnage américain et de redorer son image auprès du public comme le supposé protecteur du peuple américain contre le terrorisme.
Cela signifiait ignorer les liens bien connus entre Oussama ben Laden, et d’autres dirigeants d’Al Qaïda, et la CIA, que cette dernière avait recrutés pour la guérilla antisoviétique en Afghanistan, menée de 1979 à 1989, ainsi que le rôle encore inexpliqué des services de renseignement des États-Unis qui ont facilité eux-mêmes les attaques du 11 septembre.
Les 15 dernières années ont vu une expansion massive de la CIA et d’autres agences de renseignement, soutenues par une avalanche de propagande médiatique, avec des programmes télévisés sans fin et des films glorifiant les espions et les assassins américains (24 heures, Homeland, Zero Dark Thirty, etc.)
Les médias américains ont été directement recrutés pour cet effort. Judith Miller du New York Times, avec ses reportages sur les « armes de destruction massive » en Irak, n’est que la plus connue de l’écurie de journalistes lié au renseignement « établis » au Times, au Washington Post et aux chaînes de télévision. Plus récemment, le Times a installé comme rédacteur en chef James Bennet, frère d’un sénateur démocrate et fils de l’ancien administrateur de l’Agence pour le développement international (USAID), qui a été accusée de servir d’écran pour les opérations de la CIA.
La campagne médiatique qui allègue l’intervention russe dans les élections américaines de 2016 est entièrement basée sur les dires de la CIA, de la NSA et du FBI, communiqués par des journalistes qui sont soit des comparses inconscients, soit des agents attitrés de l’appareil de renseignement et de l’armée. Cela a été accompagné par le recrutement d’une série de hauts responsables de la CIA et de l’armée pour servir d’experts et d’analystes grassement rémunérés pour le compte des réseaux de télévision (article en anglais).
En concentrant son opposition à Trump sur les fausses allégations d’ingérence russe, en ignorant essentiellement les attaques de Trump contre les immigrés et les droits démocratiques, son alignement sur les groupes d’extrême droite et suprémacistes blancs, ses attaques contre les aides sociales comme Medicaid et les bons alimentaires, son militarisme et les menaces de guerre nucléaire, le Parti démocrate a épousé la politique de l’appareil de renseignement et de l’armée et a cherché à devenir sa principale voix politique.
Ce processus était bien entamé pendant le mandat de Barack Obama, qui a approuvé et étendu les diverses opérations des agences de renseignement à l’étranger et aux États-Unis. Le successeur promu par Obama, Hillary Clinton, s’est présentée ouvertement comme la candidate préférée du Pentagone et de la CIA, vantant sa dureté en tant que futur commandant en chef et s’engageant à intensifier le face-à-face avec la Russie, en Syrie et en Ukraine.
La CIA a mené la campagne anti-Russie contre Trump en grande partie à cause du ressentiment occasionné par le dérangement de ses opérations en Syrie, et elle a utilisé avec succès la campagne pour forcer un changement dans la politique de l’administration Trump sur ce point. Un chœur de partisans des médias – Nicholas Kristof et Roger Cohen du New York Times, l’ensemble du comité de rédaction du Washington Post, et la plupart des chaînes de télévision – participent à la campagne visant à polluer l’opinion publique et mobiliser un soutien au motif de la défense des « droits de l’Homme » pour une expansion de la guerre américaine en Syrie.
La campagne électorale de 2018 marque une nouvelle étape : pour la première fois, les agents des services de renseignements et de l’armée se préparent en grand nombre pour prendre le contrôle d’un parti politique et jouer un rôle majeur au Congrès. Les douzaines de vétérans de la CIA et de l’armée qui courent dans les primaires du Parti démocrate sont des « anciens » agents de l’appareil de renseignement et de l’armée. Ce statut de « retraité » est cependant de pure forme. Rejoindre la CIA ou les forces spéciales des Army Rangers ou les Navy SEALs, c’est comme rejoindre la Mafia : personne ne s’en va jamais ; ils passent juste à de nouvelles affectations.
L’opération de la CIA en 2018 est différente de ses activités à l’étranger à un égard majeur : elle n’est pas secrète. Au contraire, les agents des services de renseignements et de l’armée se présentant dans les primaires démocrates se vantent de leur carrière d’espions et de guerriers des opérations spéciales. Ceux qui ont connu le combat sur le terrain posent invariablement pour des photos en treillis dans le désert ou d’autres uniformes sur leurs sites Web. Et ils sont accueillis et reçoivent des positions privilégiées par les responsables du Parti démocrate qui dégagent le terrain pour faciliter leurs candidatures.
La classe ouvrière est face à une situation politique extraordinaire. D’une part, le gouvernement républicain de Trump a plus de généraux aux postes clés que tout autre gouvernement précédent. D’autre part, le Parti démocrate a ouvert ses portes à une « OPA amicale » des agences de renseignement.
L’incroyable pouvoir des agences de renseignement et de l’armée sur l’ensemble du gouvernement est une expression de l’effondrement de la démocratie américaine. La cause centrale de cette rupture est l’extrême concentration de la richesse entre les mains d’une minuscule élite, dont les intérêts sont protégés par l’appareil d’État et ses « corps armés ». Face à une classe ouvrière en colère et hostile, la classe dirigeante a de plus en plus recours à des formes de pouvoirs autoritaires.
De millions de travailleurs veulent combattre le gouvernement Trump et ses politiques d’extrême droite. Mais il est impossible de mener ce combat par l’intermédiaire de « l’axe du mal » qui relie le Parti démocrate, la majeure partie des médias du grand patronat et la CIA. L’afflux de candidats des services de renseignement met à mal le mythe de longue date, véhiculé par les syndicats et les groupes de pseudo-gauches, que les démocrates représenteraient un « moindre mal ». Au contraire, les travailleurs doivent faire face au fait qu’au sein du système bipartite contrôlé par le grand patronat, ils ont affaire à deux maux tout aussi réactionnaire l’un que l’autre.