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La méfiance stratégique et l’effondrement de la légitimité occidentale
En juin 2025, alors que les négociations indirectes entre l’Iran et les États-Unis étaient toujours en cours, Israël suivi rapidement par les États-Unis a lancé une attaque militaire contre le territoire iranien. Cette agression, à laquelle Téhéran a répondu par douze jours d’opérations coordonnées et dissuasives, a non seulement ravivé les tensions régionales, mais aussi mis à nu une faille profonde dans l’ordre international et dans la crédibilité du système occidental.
Ce qui frappe le plus, ce n’est pas tant la dimension militaire de l’attaque, mais son timing : elle a eu lieu alors que le dialogue diplomatique était toujours vivant. Les canaux de communication restaient ouverts, des discussions sur un éventuel allègement des sanctions étaient en cours. Dans ce contexte, cette agression ne constitue pas seulement une violation de la souveraineté iranienne, mais un acte qui réduit à néant l’idée même qu’un dialogue sincère avec l’Occident est encore possible. C’est la preuve que ni la loi, ni l’éthique, ni la diplomatie ne limitent les impératifs de la puissance dans l’imaginaire géopolitique occidental.
Dans cette optique, la perspective d’une réactivation du fameux « mécanisme de déclenchement automatique » (snapback), prévue pour octobre 2025, prend une tournure cynique. Ce mécanisme, conçu dans le cadre du JCPOA pour restaurer les sanctions de l’ONU en cas de non-respect par l’Iran, se voulait à l’origine un outil de dernier recours. Mais à présent, après une attaque militaire préventive, avant même toute violation formelle, quelle légitimité conserve-t-il ?
Sur le plan juridique, il est devenu obsolète. Stratégiquement, il est sans effet. Mais sur le plan psychologique et politique, il expose l’effondrement profond du système. S’il venait à être invoqué de nouveau, cela enverrait un message glaçant à l’ensemble du Sud global : même si vous négociez, même si vous acceptez des compromis, votre souveraineté n’est jamais garantie.
C’est là que s’effondre la confiance structurelle, non pas entre deux États, mais entre deux conceptions du monde.
L’expérience iranienne ne fait que suivre une logique bien connue. En Libye, Mouammar Kadhafi a démantelé son programme nucléaire, cherché une réconciliation avec l’Occident, et a fini lynché dans les rues de Syrte. En Syrie, des ouvertures limitées ont été suivies d’années de guerre par procuration et de violations de la souveraineté territoriale. En revanche, la Corée du Nord, en choisissant la voie de la dissuasion nucléaire, a évité toute invasion depuis. Le message est limpide : la soumission ne protège pas, elle fragilise.
Certains diront : l’Iran n’avait-il pas prévu cela ? Pourquoi reprendre les négociations ?
En réalité, Téhéran savait parfaitement à quoi s’en tenir. Mais l’objectif était ailleurs : non pas obtenir un résultat, mais retirer tout prétexte à l’ennemi. En réengageant les discussions, l’Iran s’est positionné en acteur rationnel. Et pourtant, l’agression a eu lieu.
Ce paradoxe a transformé la donne. Pour la première fois depuis des décennies, une puissance régionale a été attaquée en pleine négociation diplomatique non pas pour avoir provoqué, mais malgré sa volonté d’apaisement. Le résultat est la délégitimation flagrante du système dit « fondé sur des règles » que l’Occident prétend incarner.
Dans ce climat, toute invocation future d’outils juridiques comme le snapback ne rétablira pas l’ordre, elle nourrira le cynisme. Pour les pays des BRICS, et bien d’autres, l’épisode iranien devient une leçon fondatrice : la puissance hors du système occidental est une nécessité existentielle. La sécurité, la souveraineté, l’autonomie stratégique ne peuvent se négocier dans un cadre pensé pour maintenir une hégémonie unilatérale.
L’Iran a payé un prix militaire. Mais il a également franchi un cap : en douze jours, il a démontré sa capacité de dissuasion et sa maturité stratégique. Alors que les médias occidentaux tentaient de minimiser la portée de la riposte iranienne, les faits, notamment les soutiens symboliques et parfois concrets venus d’Asie, ont montré que Téhéran n’était plus seul.
De plus, sa place au sein des institutions multipolaires comme les BRICS n’a cessé de se renforcer. Si l’Occident s’obstine à réactiver ses mécanismes punitifs, il ne fera qu’accélérer le basculement mondial vers ces nouvelles plateformes. Chaque échec diplomatique, chaque sanction illégitime, chaque agression illégale rend la multipolarité non seulement souhaitable, mais vitale.
Le véritable enseignement de cette guerre n’est ni militaire, ni diplomatique. Il est géopolitique. Il s’adresse aux élites du Sud global, aux intellectuels qui espèrent encore un dialogue sincère avec l’Occident. Il rappelle que l’ordre international actuel ne repose ni sur la confiance, ni sur le droit, mais sur la force brute.
Peut-être que le mécanisme de snapback sera relancé.
Mais ce qui a déjà été déclenché et ne sera pas désactivé c’est la prise de conscience historique des peuples face à la nature réelle de cet ordre mondial.