Anatomie d’une déstructuration

Ouverture libre

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

Anatomie d’une déstructuration

• Une vision qui place Israël et ses actes furieux et sanglants  de guerre annexionniste au centre de la GrandeCrise, par la rupture de l’alliance judéo-chrétienne. • C’est la perspective qu’offre Constantin von Hoffmeister, documenté par Jeffrey Sachs et John Kiriakou, ancien officier de la CIA. • Il est sans aucun doute certain qu’Israël joue quitte ou double depuis le 7 octobre 2023 et que son destin constituera un facteur de bouleversement pour ce qui reste de fragile équilibre dans les relations internationales. • Le torrent poursuit sa course.

_________________________


18 septembre 2025 à 14H30 – L’excellent commentateur Constantin von Hoffmeister s’attache au thème d’une « fracture de l'ordre judéo-chrétien », que nous pourrions aisément qualifier de “déstructuration” pour en revenir à notre famille favorite de termes applicables à l’ actuelle dynamique de destruction. Sa thèse est centrée autour du sort de l’État d’Israël désormais lancé dans l’annexion de Gaza sans la moindre restriction, semble-t-il, de la part de l’administration Trump.

Hoffmeister juge qu’il s’agit là d’un coup mortel porté à ce qu’on nommait « l’ordre judéo-chrétien », c’est-à-dire, semble-t-il, notre civilisation telle qu’elle a été organisée, dirigée et orientée par la monde anglo-saxon ces trois derniers siècles.

Responsabilité de l’anglosphère, selon Sachs

Il est intéressant de s’arrêter à ce membre de phrase : “organisée, dirigée et orientée par la monde anglo-saxon ces trois derniers siècles”. Il n’est pas gratuit, mais au contraire placé ici pour introduire un jugement de Jeffrey Sachs que l’on peut juger assez original pour un intellectuel de sa stature et de sa culture, juif de surcroît (de nationalité américaine) mais qui prend très fermement ses distances de l’actuelle politique israélienne, voire d’Israël lui-même.

Très récemment, dans une interview avec Mohamed Hashem, sur ‘Middle East Eyes’, le 29 août 2025, Sachs parlait essentiellement d’Israël et de Gaza, mais abordait dans le contexte le monde du bloc anglo-saxon (l’“anglosphère”). Ici, on donne un passage où Sachs juge de la responsabilité générale de ce monde anglo-saxon dans la situation de GrandeCrise que nous connaissons, et notamment autour d’Israël, à propos de l’annonce de la possible décision de l’Australie, du Canada et de la Grande-Bretagne en faveur de la solution “en deux États” de la crise actuelle.

« Eh bien, permettez-moi de dire que certaines de ces annonces sont vraiment surprenantes et doivent être considérées comme telles. Le monde anglo-saxon domine le monde depuis 200 ans. La Grande-Bretagne, je pense, est encore pire que les États-Unis dans son comportement historique.

» J'ai une théorie selon laquelle tous les problèmes du monde sont imputables aux Britanniques. Je suis donc totalement insensible à la cruauté et aux illusions qui dominent encore la pensée du gouvernement britannique, d'ailleurs aussi en Ukraine, le MI6. C'est horrible. Il a une très longue et fructueuse tradition. Et nous avons ici les pays anglo-saxons, car il ne s'agit pas seulement d'un groupe de pays. Ce sont les pays anglo-saxons. Ce sont les ‘Five Eyes’. Il s'agit du réseau d'espionnage américain, ou du réseau d'espionnage de la CIA et du MI6, qui disent qu'il faut changer les actions d'Israël. Ce n'est donc pas rien que le Canada, l'Australie et la Grande-Bretagne se mobilisent. Il reste un pays anglo-saxon à conquérir. C'est le mien : les États-Unis. On s'en rapproche. Et croyez-moi, le Canada, l'Australie et la Grande-Bretagne doivent se séparer de la politique étrangère américaine. N'oubliez pas que la politique étrangère est dirigée par la CIA et le MI6, qui constituent le noyau dur de la politique étrangère anglo-saxonne et, en fait, occidentale. »

Perspectives israéliennes

Vue comme la voit Sachs, la situation n’est pas absolument mauvaise dans ses perspectives puisqu’il pourrait y avoir une possibilité d’éclatement de l’anglosphère dans cette question centrale d’Israël qui fournit réellement l’oxygène stratégique et de pression conformiste (jusqu’il y a peu, dictature de l’antisémitisme) de la susdite anglosphère. Il n’est pas “absolument mauvais”, pour nous s’entend, que s’ouvre une perspective d’un tel éclatement, qui serait un bon début d’une déstructuration intelligente du Système.

Le problème est qu’il faut pour cela qu’Israël ait un sort qui la prive de ses capacités stupéfiantes pour sa taille de puissance impérialiste et d’influence globale (antisémitisme abusivement impliqué par l’antisionisme). Certains, comme Hoffmeister, pourraient estimer que le processus est en route. Mais on oppose à cette perspective des réflexes catastrophiques de défense d’Israël,, – bien dans les conceptions eschatologiques présentes très fortement dans la région, – notamment avec son redoutable arsenal nucléaire.

On lit (et on écoute) ce passage d’une interview de John Kiriakou, ancien officier de la CIA passé à la dissidence et membre du groupe central des dissidents du renseignement, de VIPS, avec des gens comme Lary Johnson et Scott Ritter. L’intérêt de Kiriakou, dans notre cas, est qu’il a travaillé pendant cinq ans avec le Mossad. Ici, c’est un extrait d’une interview sur ‘Dialogue Works’, la chaîne de Nima Alkhorshid, le 13 septembre

Nima R. Alkhorshid : « Je pense John que tu as mentionné avoir travaillé avec tu sais le Mossad, tu sais Israël. Comment ça fonctionne ? Penses-tu qu'il existe une alternative en Israël pour remplacer le gouvernement, le premier ministre actuel d'Israël qui apporterait un certain changement ? Parce que nous avons entendu Naftali Benet exprimer le même genre d'état d'esprit. Qui est l'alternative en Israël ? Qui va faire la paix ? Qui va changer la direction en Israël ? »

John Kiriakou : « Je ne pense pas que la paix soit possible et je vais vous expliquer pourquoi. Le parti travailliste en Israël, pour ainsi dire, n'existe plus. Il a dirigé Israël pendant des décennies et maintenant il n'a plus que cinq ou six membres à la Knesset. À partir de la toute fin des années 1980, Israël a connu un afflux massif de juifs venus de Russie et d'Ukraine. Et ces juifs avaient tendance à être beaucoup plus conservateurs que les générations précédentes de juifs qui étaient venus en Israël après la Seconde Guerre mondiale. Donc je ne pense pas qu'il y ait de voix pour la paix en Israël. S'il y en a, elles sont réduites au silence. Je pense que si l'on peut dire, du moins dans le gouvernement israélien actuel et je vais sourire en le disant parce que cela paraît tellement ridicule, mais Benjamin Netanyahou est probablement le membre le plus libéral du gouvernement israélien actuel. Voilà à quel point ce gouvernement en Israël est outrageusement de droite, dangereusement de droite quand Benjamin Netanyahou est le plus à gauche. Et l'autre chose aussi, c'est que supposons que l'opinion publique change vraiment.

» Supposons qu'un miracle se produise et que les États-Unis décident de ne plus soutenir Israël, qu'il coupent l'aide à Israël, qu'il coupe l'aide militaire à Israël et que l'Europe de l'Ouest coupe aussi l'aide militaire à Israël. Les Israéliens ne vont pas simplement abandonner et partir. Ils ne vont pas se laisser couler et disparaître. Ils possèdent plus de 200 armes nucléaires et ils ont dit qu'ils s'en serviraient.

» Donc, je ne suis en aucun cas optimiste quant à la paix. Je ne pense pas qu'il existe actuellement une personnalité politique israélienne qui soit sérieuse à propos de la paix. »

L’avenir d’une illusion

Cette situation peu encourageante ne contredit pas le sens du texte de Constantin von Hoffmeister mais il le rend évidemment infiniment plus tragique. Cette perspective n’a rien de surprenant : personne n’a pu douter un instant que le basculement en cours, cette rupture de déstructuration colossale, se ferait dans l’ordre er la paix. Au contraire, ce processus ne peut pas aller sans explosion, – en espérant tout de même que cela ne soit pas nucléaire...

L’intérêt de ce texte est de placer, d’un point de vue symbolique cette fois en plus des points de vue stratégique et de communication (d’influence), Israël comme nœud de cette rupture de déstructuration. Peut-être peut-on justifier une telle prévision en observant que la création d’Israël s’est faite sur des données contestables et dans des conditions qui ne pouvaient que générer des affrontements. D’autre part, le facteur religieux renforce terriblement cet aspect du symbolisme.

Quoi qu’il en  soit, il nous semble que le sort d’Israël, celui de la domination de l’anglosphère, voire celui des composants de l’anglosphère sont intimement liés. De quelque côté qu’on se tourne, décidément, – Israël comme l’Ukraine, l’OTAN et l’UE face à la puissance montante des BRICS et de l’OCS, – c’est la même perspective de déconstruction brutale qui s’offre à nous. A cet égard, on peut suivre l’exposé de Hoffmeister, qui expose ses vues sans dissimuler l’influence que Spengler exerce sur lui.

L’article de Constantin von Hoffmeister ; d’abord publié sur son site, l’est en traduction française sur ‘euro-synergies.hautetfort.com’ le 18 septembre 2025.

dedefensa.org

_________________________

 

 

La fracture de l'ordre judéo-chrétien

Constantin von Hoffmeister affirme que la consolidation des positions d'Israël à Gaza et en Syrie, combiné à l'effondrement du soutien de l'opinion publique américaine, annonce une rupture de l'alliance judéo-chrétienne et l'avènement d'une multipolarité de nature darwinienne.

Israël se trouve à l'aube d'une nouvelle réalité. Ses dirigeants parlent ouvertement de l'occupation permanente de Gaza et même de certaines parties du sud de la Syrie. Netanyahou a averti que le pays devait se préparer à l'isolement, à une économie de siège, à des industries qui produisent tout à l'intérieur même de la forteresse. Il ne s'agit pas de rhétorique, mais d'une préparation à un monde où les sanctions pourraient venir non pas des États arabes, longtemps écartés, mais de l'Occident même qui a autrefois assuré la survie d'Israël.

Les manœuvres sur le mont Hermon, le plus haut sommet du Levant à la frontière entre la Syrie et le Liban, l'annexion du plateau du Golan, une plaine fertile conquise sur la Syrie en 1967, annexion reconnue par Washington en 2019, les alliances avec les conseils locaux de Soueida, une province à majorité druze du sud de la Syrie, et la perspective d'un corridor traversant Deraa, la province voisine connue pour être le berceau du soulèvement syrien de 2011, montrent une tendance claire: prendre, tenir, normaliser. Israël ne cache plus ses intentions. Le territoire devient théologie, les montagnes deviennent des alliances, et la géographie fusionne avec l'idéologie. Ce qui était autrefois considéré comme une défense temporaire se transforme désormais en permanence.

Ce changement coïncide avec une profonde fracture au sein même de l'Occident. L'ordre établi après 1945 s'effondre sous nos yeux. Dans le même temps, le cadre moral de la solidarité « judéo-chrétienne » qui liait Israël à l'Occident commence à se fissurer. Les sondages aux États-Unis montrent que le soutien à Israël s'effondre: selon Gallup, seuls 32% des Américains approuvent les actions d'Israël à Gaza, tandis que 60% les désapprouvent. Un sondage Quinnipiac révèle que 60% des Américains s'opposent à l'envoi d'une aide militaire supplémentaire, contre seulement 32% qui y sont favorables. Cette érosion est la plus forte chez les jeunes et les indépendants, des groupes qui façonneront l'électorat futur.

C'est là que réside le sens profond de la mutation à l'œuvre sous nos yeux. L'alliance était fondée non seulement sur une stratégie, mais aussi sur une identité commune. Israël était présenté comme l'avant-poste vivant d'une civilisation “judéo-chrétienne”. Les églises, les synagogues et les tribunes politiques soutenaient toutes cette vision. Aujourd'hui, cette vision s'estompe. Les images des bombardements l'emportent sur la teneur des sermons. L'alliance se dissout dans la conscience publique. Pour la première fois, l'opinion publique occidentale se demande si les actions d'Israël sont conformes aux valeurs que ses dirigeants ont autrefois proclamées.

C'est là la marque d'une multipolarité darwinienne en advenance. Le pouvoir appartient désormais à ceux qui s'adaptent, qui allient force et crédibilité. Les frontières changent à nouveau, les alliances se transforment et les symboles perdent leur force automatique. Israël peut encore agir, occuper et se retrancher, mais il ne peut plus compter sur le même bouclier moral de la part de l'Occident. Une fracture s'ouvre au cœur de l'alliance, et à travers elle, l'ancien ordre mondial s'effrite.

L'avenir ne s'écrira pas dans des traités ou des sermons, mais dans la force, dans la perception publique, dans les changements d'allégeances. L'étiquette « judéo-chrétienne » qui a uni l'Occident et Israël pendant des générations s'affaiblit. Ce qui viendra après sera plus dur, façonné uniquement par la puissance.

Constantin von Hoffmeister