Un discours bien de son temps

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Un discours bien de son temps

Qui tient qui à la Maison-Blanche ? John Laughland commence son texte d’analyse du discours du président Trump par la phrase qui a fait fureur chez les tweeteurs, accompagnant les photos de cet auditeur parmi les officiels qui paraît effondré à l’audition du discours : « Nous sommes tous John Kelly. » Et il termine le paragraphe par cette question qu’il laisse sans réponse : « Le chef de cabinet du président américain ignorait-il ce que les plumes présidentielles avaient préparé ? »

En d’autres mots, sempiternelle question : qui contrôle le président Donald Trump ? Ou encore : quelqu’un contrôle-t-il le président Trump ? Cette question à double détente vaut d’être posé, puisqu’on nous dit tant que Kelly, l’un des trois généraux de l’administration (avec Mattis et McMaster), a été mis à ce poste pour contrôler Trump, parce que les militaires constituent la force d’influence la plus puissante dans cette administration et qu’ils entendent modérer d’éventuelles ardeurs guerrières du président. Nous répondrons donc, selon notre habitude, que cette question est à peu près aussi incontrôlable que le président lui-même, et que nous serions conduits à penser que tout est possible, y compris que John Bolton ait enfin réussi à contacter le président...

Le 1er septembre 2017, Breitbart.News rapportait ceci, à propos de l’ambassadeur Bolton : « Former U.N. Ambassador John Bolton said on Monday [28 Augustthat “staff changes at the White House” have made it impossible for him to see President Donald Trump to present his plan for withdrawing from the Iran nuclear deal. Bolton published his five-page plan in its entirety at National Review, offering it as what he described as a “public service,” because he can no longer secure a meeting with the president. » On observera que le même Bolton n’a pu cacher sa joie après l’audition du discours de “son” président, en lançant une initiative de soutien à un retrait des USA du traité nucléaire avec l’Iran. (45 anciens diplomates ont signé cette lettre ouverte. (Et l'on ajoutera que l'idée d'un Bolton inspirateur maximaliste de Trump n'enchante certainement pas les généraux de la Maison-Blanche, Kelly en tête.)

Quoi qu’il en soit et Bolton ou pas, le discours de Trump est parfaitement de son temps, de même que les menaces de Trump contre la Corée du Nord et l’Iran, de même que Donald Trump lui-même, – “brutal et incohérent”... « Things fall apart; the centre cannot hold;/Mere anarchy is loosed upon the world », écrit W.B. Yeats dans son poème le plus fameux (The second Coming).

Laughland le dit très justement : le contraste est extrême entre l’énormité sans équivalent pour la tribune de l’ONU du propos menaçant un pays de destruction totale, et l’extrême banalité du propos parcouru de concepts et de mots qui parsèment la “pensée stratégique” de présidents successifs. On dirait que Trump les a tous rassemblés pour faire cette offrande à l’ONU, cette gerbe catastrophique nous promettant l’apocalypse d’une façon ou d’une autre. Un “style” parfaitement d’époque, ce mariage du quantitatif gigantesque et du qualitatif réduit à sa plus simple expression.

(Le texte de Laughland est sur RT, le 21 septembre 2017.)

dde.org

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Un discours aussi brutal qu'incohérent

«Nous sommes tous John Kelly», ont tweeté les adeptes des réseaux sociaux après avoir vu les images du chef de cabinet de la Maison Blanche écoutant la harangue de son patron aux Nations unies le 19 septembre. Le mouvement involontaire de recul de Kelly, qui enfouit sa tête dans ses mains, semblait traduire son choc face au discours de Donald Trump, discours d'une virulence sans précédent. Le chef de cabinet du président américain ignorait-il ce que les plumes présidentielles avaient préparé ? 

Le discours du président américain a choqué par son style, son incohérence et son contenu. Jamais, en effet, depuis la création des Nation unies en 1945, aucun orateur n'a préconisé la «destruction totale» d'un autre pays membre, comme le fit Trump à l'encontre de la Corée du Nord. Les appels au génocide sont rares, heureusement, devant l'Assemblée générale. A côté de l'agressivité monotone de Trump, qui n'a fait que lire son texte, les discours hauts en couleur d'un Fidel Castro ou d'un Nikita Khrouchtchev à l'ONU sont de beaux exemples de rhétorique. Trump semblait vouloir imiter son prédécesseur George W. Bush, qui lui aussi prononça un discours devant l'Assemblée générale, en septembre 2002, pour annoncer une guerre, celle qu'il mènera contre l'Irak en mars de l'année suivante. Mais quant à leur façon de parler, Bush fils paraît aujourd'hui, à côté de son successeur, comme un homme mesuré et plein de bon sens.

Mais au-delà du ton, il y a l'incohérence.  Il ne faudrait pas s'attarder sur le fait que Trump a affirmé avoir visité l'Arabie saoudite «au début de l'an dernier», c'est-à-dire en 2016, alors que sa visite eut lieu en mai de cette année. En 2016, il n'était pas encore président des Etats Unis ! Les vraies incohérences sont plus graves encore.  Dans un discours dont une large partie était consacrée à la défense de la souveraineté nationale comme principe fondateur des relations internationales, il était parfaitement contradictoire, comme le fit Trump, de se lancer dans des condamnations sans appel de la politique intérieure de pays comme le Venezuela ou l'Iran.

Mais, malgré la violence inédite de son débit, peut-être l'aspect le plus désolant de la diatribe de Donald Trump était sa profonde banalité. Nous avions déjà tout entendu mille fois dans la bouche d'autres présidents. Trump a dénoncé avec fureur les «régimes voyous», concept inventé en 1985 par Ronald Reagan qui s'en prit aux «Etats hors la loi». En 1994, Bill Clinton fit du concept d'«Etats voyous» la pierre angulaire de sa politique hautement interventionniste, à l'instar de son Conseiller pour la sécurité nationale, Anthony Lake, qui formula l'expression en mars 1994. George W. Bush, le successeur de Bill Clinton, imita son rival démocrate et porta le concept à un niveau supérieur avec le concept d'«axe du mal». 

Les deux présidents, Clinton et Bush, ont donc véhiculé pendant seize ans exactement la même vision du monde : une Amérique bienveillante et généreuse au centre du monde, entourée par ses alliés comme une planète par ses satellites, et, dans les ténèbres extérieures, les Etats voyous qui, eux, tentaient de résister à la loi de la gravité édictée à Washington. Si Barack Obama semblait mettre un peu d'eau dans son vin, au moins sur le plan de la rhétorique, son administration a néanmoins pleinement participé à l'opération de changement de régime en Libye en 2011. Après tout, il avait nommé Hilary Clinton, ardent défenseur du concept d'Etats voyous, secrétaire d'Etat pendant son premier mandat.

Nous voici donc, plus de trente ans après l'invention du concept par Reagan, et presque tout a changé dans le monde... sauf la politique américaine. Même la liste des Etats voyous en question n'a pas évolué – la Corée du Nord, la Syrie et l'Iran furent dénoncés par Trump avec la même virulence que par Clinton dans les années quatre-vingt dix. Il est vrai que l'Irak n'est plus un état voyou, étant occupé par les troupes américaines, et que la menace socialiste à Cuba a été remplacée par la menace socialiste au Venezuela. Mais le président américain, qui se veut iconoclaste et grand trouble-fête de l'échiquier politique, ne fait en réalité que répéter des vieilles platitudes usées de ses prédécesseurs. Et, au centre de tout, le même insupportable complexe de supériorité qui voudrait voir en les Etats-Unis la nation bénie de la planète alors que ce pays est, en fait, la risée du monde. 

Qui, en effet, peut prendre le locataire de la Maison Blanche au sérieux quand il accuse l'Iran de soutenir le terrorisme et loue l'Arabie saoudite de le combattre ? L'alignement inconditionnel de Trump sur la politique la plus dure du Likoud, et en particulier du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, est tellement patent que ce n'est guère une boutade de dire que celui-ci aurait pu écrire le discours du président américain. Cet homme, véritable volcan de suffisance et de mégalomanie, se comporte en réalité comme une marionnette, croyant sans doute que cette grandiloquence est la sienne, alors qu'il ne fait que répéter ce que lui disent ses conseillers. Et que dire de son affirmation selon laquelle les forces américaines auraient vaincu l'Etat islamique, alors que chacun sait le rôle décisif qu'a joué la Russie en Syrie ?

Certes, l'appel à la «destruction totale» de la Corée du Nord est choquant. Mais peut-être que les attaques du président américain contre l'Iran sont plus sinistres encore. Donald Trump veut-il peut-être vraiment imiter George Bush, George W. Bush et Barack Obama, se lançant dans une énième guerre américaine contre un pays musulman ? Le trublion décoiffant deviendrait ainsi instantanément le héros de l'establishment américain, brisant ainsi tout soupçon d'un quelconque alignement sur Moscou. Après de longues décennies de récidivisme américain – Panama en 1989, Irak en 1991, Yougoslavie en 1999, Afghanistan en 2001, Irak en 2003 et Libye en 2011 – rien ne devrait plus nous surprendre.  Car avec Trump comme avec Emmanuel Macron, il faut décidément que tout change pour que rien ne change.

John Laughland