Tourbillon transatlantique

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Tourbillon transatlantique

L’arrivée de Macron a correspondu au “déploiement des ailes” de la présidence Trump comme une sorte d’entité capable de semer le désordre dans ce qui semblait aux esprits simples et adeptes des rangements une ligne fondamentale et immuable d’affirmation de l’hégémonie US, et de la vassalisation des autres pays du bloc-BAO, l’Europe principalement, directement sous la forme de l’appartenance à l’OTAN, indirectement sous la forme de l’UE. Nous avons systématiquement combattu la thèse soutenant cette schématisation-là depuis 2008-2010, depuis précisément la constitution de ce que nous nommons “bloc-BAO” qui pérennise notre conception.

Un simple passage qui vient du dde.crisis du 10 juin 2012 (voir le 12 juin 2012), repris dans le Glossaire.dde du 12 décembre 2012, résume cette conception. Compte tenu de la personnalité et de la position de Trump, cette conception implique  non seulement la possibilité mais l’inéluctabilité des foucades, mésententes, tractations boiteuses et querelles feutrées auxquelles on assiste, notamment pour le cas qui nous occupe présentement, notamment entre la France (Macron), l’Allemagne (Merkel), les USA (Trump), et avec la Russie (Poutine) en “spectateur-acteur” :

« Désormais, tous les pays du bloc BAO au travers de leurs élites et des psychologies terrorisées de ces élites, se perçoivent égalitairement, c’est-à-dire essentiellement libérés des liens de domination et de sujétion entre les USA et les autres... Cela ne signifie nullement la fin de la corruption et de l’influence US, comme par le passé, mais, contrairement au passé, cette corruption et cette influence s’exerçant à l’avantage de tous et apparaissant de plus en plus invertébrées, de moins en moins spécifiques. De même observe-t-on une homogénéisation des conceptions et des politiques, simplement par disparition de la substance au profit de l’apparence et de l’image. On serait conduit à observer qu’il s’agit là de ce fameux phénomène d’entropisation, qui est le but poursuivi par le Système ; but au moins atteint avec les psychologies de ces élites, mais de plus en plus sûrement d’une façon contre-productive... »

Cette relativisation des positions et cette fragilité des pseudo-hiérarchies expliquent pour une bonne part qu’après l’arrivée de Trump, disons après les trois-quatre premiers de sa présidence qui ont montré que cette installation n’interrompait ni la guerre civile interne, ni le haine entre les factions aux USA, de nouvelles positions d’ailleurs incertaines et en aucun cas fixées sont apparues. De ce point de vue, l’arrivée de Macron s’est faite selon une étonnante mécanique d’enchaînement : un nouveau président français qui prend des positions spécifiques et remarquables en matière de politique étrangère. “Ce n’est que de la communication”, dit-on aussitôt, ce qui est parfaitement vrai et conduit aussitôt à l’inévitable question : “Et alors ?”. Aujourd’hui, et certainement pour ce qui concerne le bloc-BAO, particulièrement pour les relations des pays le composant, 90% des politiques, des “actes politiques” des dirigeants sont d’abord de pure communication et, à ce niveau, provoquent autant d’effets que s’ils étaient des actes effectifs. Ce n’est certainement pas Trump qui nous démentira, lui qui parvient à faire tirer des missiles de croisière contre la Syrie dans des conditions invraisemblables pour la cause, et qui, malgré ce que cet acte a de concret, parvient à rester dans le domaine de la communication. Cela conduit à conclure que, “certainement pour ce qui concerne le bloc-BAO, particulièrement pour les relations des pays le composant”, la communication suffit effectivement à “faire” la politique dans 90% et plus des cas.

Ainsi, assiste-t-on, depuis l’arrivée de Macron à cause de sa position dans la “mécanique d’enchaînement”, à une étonnant évolution des relations internes dans le bloc-BAO, qui sont de pure communication, qui vont dans tous les sens, qui sont sujettes à toutes les interprétations comme tout ce qui est communication, et qui sont pourtant dans le cas du “tout se passe comme s’il s’agissait d’actes politiques”. Cela est déjà largement le cas avec Macron comme on l’a déjà vu à plusieurs reprises, et cette fois avec le cas de son invitation de Trump au défilé du 14 juillet. Pour évaluer cet acte, – c’en est un cette fois, même s’il est symbolique et reste si proche du domaine de la communication, – on doit impérativement commencer toute évaluation par cette interrogation générale faite de plusieurs questions pour une interprétation pleine de variables étranges et sans réelles possibilité d’une réponse nette : en invitant Trump, qui invitez-vous ? Le président des USA lui-même, c’est-à-dire le représentant de cette puissance sur laquelle on vous accusera évidemment de vous aligner, sinon de vous soumettre ? Ou bien, l’homme que le Deep State, cette entité maîtresse incontestée de la ligne atlantiste et globaliste, et de la politiqueSystème, essaie à tout prix d’abattre ? Dans ce second cas, vous accueillez un rebelle et vous affirmez votre indépendance vis-à-vis du Deep State, rien de moins...  (Appréciez en plus qu'il accepte de venir à Paris en même temps qu'il annule sa visite à Londres : chez les cousins britanniques, Trump ne tenait pas à subir les quoliberts des violentes manifestations anti-Trump annoncées, tandis que tout paraît calme sur le front français, tout comme il y a un siècle.)

• ... Par conséquent cette invitation de Trump au défilé du 14 juillet à Paris est non seulement l’occasion mais la cause de spéculations sur la situation politique à l’intérieur du boc-BAO qui prennent l’apparence de réelles et importantes évolutions politiques. Voici donc WSWS.org qui, s’appuyant sur des sources certes incertaines, – mais qui peut se targuer d’avoir une “source sûre » en l’occurrence ? – interprète cette invitation comme « une escalade du militarisme » qui, d’un côté implique une affirmation européenne (UE) contre les USA, et d’un autre côté une affirmation française s’appuyant sur les USA pour mieux contester le leadership européen de l’Allemagne. (On peut aussi mentionner, à partir d’une interview de Le Drian au Monde interprétée par WSWS.org, des bruits plus que douteux sur des projets France-USA d’intervention contre la Syrie à l’occasion d’une attaque chimique qu’on annonce désormais par avance, puis qui semble s’évanouir dans la nature avant de resurgir ici ou là ; et, dans le même temps, on affirme des projets français de médiation en Syrie, et de coopération avec la Russie en Syrie ; les contradictions et la confusion, lorsqu’il s’agit de la Syrie, n’effraient personne...).

Un extrait du texte de WSWS.org : « Mais si l’Allemagne, la France et l’Italie en particulier organisent une politique militaire commune opposée aux Etats-Unis elles ont des intérêts antagonistes en Europe comme dans le monde. Les puissances impérialistes qui sont en train d’intervenir à nouveau dans leurs anciennes colonies, entrent aussi en compétition les unes avec les autres.

» Certains commentateurs ont ainsi pointé le fait qu‘en invitant Trump, Macron essayait de prendre l‘ avantage politique vis-à-vis des autres pouvoirs européens de l‘OTAN. “Emmanuel Macron semble vouloir combler un vide temporaire du leadership en Europe: Theresa May a été affaiblie par sa victoire de justesse aux élections britanniques et sa gestion du Brexit, Angela Merkel doit affronter des législatives en septembre. Le président français cherche donc à profiter du moment pour s'affirmer en Europe”, écrit le site web d‘Europe 1. L’invitation suit la décision de Trump de ne pas aller à Londres à cause des manifestations prévues, hostiles à son égard.

» Les préparatifs de la bourgeoisie allemande pour redevenir une puissance militaire au niveau mondial et son affirmation du leadership militaire en Europe surtout fait s’agiter Paris. Le site Web Atlantico écrit: “L’invitation du président-séducteur-stratège Macron – encore plus audacieux que Nicolas Sarkozy dans la poursuite d’un leadership européen et ‘global’ – permet… de prendre une sorte de leadership stratégique de l’Union européenne dans une concurrence claire avec l’Allemagne de Merkel (qui tente trop de sortir de son leadership économique).”

» La transformation des rapports de pouvoir au sein de l’impérialisme, le réarmement de l’Allemagne et son retour au militarisme mettent de plus en plus la France dans une position similaire à celle déjà connue au 20e siècle: un impérialisme pris en étau entre les Etats-Unis et l’Allemagne dans le conflit opposant l’Europe à l’Amérique. Suite à l’offensive allemande pour devenir la nouvelle puissance dominante en Europe, au Brexit et à l’élection de Trump, Paris essaie de se ménager un espace entre les deux camps. Macron a invité Trump et celui-ci a accepté au motif qu’il s’agissait de commémorer l’entrée des Etats-Unis dans la Première Guerre mondiale en 1917 aux côtés de la France, contre l'Allemagne. »

• Du côté allemand, la situation est également fort complexe, à partir de la prise de position brutale de la chancelière Merkel à la fin mai. Le président Trump, de son côté, ne l’a pas épargnée, dans tous les cas l’Allemagne, avec ses divers tweets où il attaque constamment ce pays pour son déséquilibre commercial avec les USA qui, chez lui, semble se transformer en l’équivalent d’une agression déloyale contre les USA, presque un état d’hostilité. Une rencontre courant juin à Berlin entre Merkel et Barack Obama, – justement de passage, comme ça se trouve, – n’a pas arrangé les choses. Les observateurs, qui observent et prennent des notes, notent donc que Merkel ne parle plus des USA comme de “l’ami le plus important de l’Allemagne”, mais comme d’un “partenaire”, – le même mot que les dirigeants russes, Poutine et Lavrov notamment, s’entêtent à employer pour désigner les pays du bloc BAO, et donc les USA (“nos partenaires”).

Puisqu’on parle de la Russie, on ne sera pas surpris d’apprendre, si les relations de Merkel et de Trump ne s’améliorent pas, que l'on entend évoquer la possibilité d’un rapprochement de l'Allemagne avec la Russie, comme on voit régulièrement réapparaître l'aimable monstre du loch Ness. Il y aura foule de ce côté, puisqu’on sait que les Français, depuis Macron, sont sur le coup. L’on remarque alors que ce n’est pas “en couple”(France-Allemagne) que la France et l’Allemagne chercheraient un rapprochement avec la Russie, mais plutôt selon une ligne-solo, chacun pour soi ; et là-dessus, on peut envisager, comme déjà mentionné bien entendu, qu’on trouve bel et bien confirmation qu’avec Macron il y aurait le retour d’une ligne de politique étrangère plus indépendante.

RT propose quelques considérations sur la politique allemande avec les USA de Trump et dans la situation européenne, avec Rainer Rothfuss, analyste en géopolitique. L’impression que nous en gardons est pour le moins celle de la confusion, de l’incertitude, renvoyant à l’image d’une Allemagne privée de sa béquille US, désorientée et s’interrogeant sur ce que peut et doit être son rôle...

RT: « Some critics say Merkel is not tough enough on Trump. Why have there been different attitudes to the two US administrations of Barack Obama and now Donald Trump? »

Rainer Rothfuss: « First of all, we have to take into consideration that Angela Merkel is campaigning at the moment. So she has to look after the voters’ attitudes, and with an anti-Trump policy program, you can rather win votes than overemphasizing friendship and partnership with the US. This is the first and most important point, and I would say it should also lead us to the consideration that it is not a policy shift that may last very long. But on the other side, it is also a considerable shift in foreign policy terms, because the US has, through their policy changes, brought along through the administration of Donald Trump, made clear that they have their own national interests also in the field of economic policies. Germany is one of the main targets of these policy changes. So the export surplus of about €250 billion that Germany has toward the US shall be reduced. This will hurt Germany. So Germany has to reorient itself toward other partners – maybe also Russia in the future. »

RT: « Does this change in terminology in Merkel’s election program represent a policy shift toward the US? »

Rainer Rothfuss: « Obviously. The change in terminology has just taken place in the election program of the CDU, the governing party. So this means that it is a policy shift, which is aiming at winning the elections on September 24, first of all, and then only afterwards we will see if the policy changes are implemented on the ground. If Germany really seeks a leadership role of a group of Western countries rivaling with the Trump administration as leader of the Western world. But I would say that Germany would be on a rather risky path, if the country thinks it could lead the Western world instead of the US. If we look at the military power of Germany in comparison to the US, Germany is negligible and is always dependent on the US, and will also be quite vulnerable in the future to any attacks of the US against German companies around the globe. We should not think, as Germans, that we could take over a great part of the leading role of the US anytime soon in the Western world. This would be a total deception and will not be successful at all. »

RT: « Many consider Germany to be the leader in the EU. Do you think there is a possibility that it can become independent from US politics and unite all the EU countries? »

Rainer Rothfuss: « ... Be it in the Southern sphere through the euro crisis, or in Eastern Europe through the refugee crisis – Germany is seen as rather a threat than a partner within the EU. This is not something Germany should be deceived about or be able to rely on really heavily. The European partners can at any time break away and rather partner with the US, for example, when it comes to security issues; or when it comes to the euro crisis, the debt crisis of Greece, Spain, and also Italy. Europe is a divided continent. Therefore, it is a quite risky path if Germany thinks that it can unite all of Europe behind its own interests and then be a severe competitor of the US. »

• On a donc mentionné plus haut une rencontre Merkel-Obama, et il y a maintenant une rencontre (avant-hier) entre Obama et le président sud-coréen Moon Jae-in à Séoul. Après avoir rencontré Trump à Washington, Moon voulait avoir, rien que cela, l’avis d’Obama sur “la façon d’améliorer les relations de la Corée du Sud avec les USA” : drôle d’interlocuteur, drôle de question. Obama venait d’une conférence dite “Asian Leadership Conference” et du 4ème Congrès de la Diaspora Indonésienne à Djakarta. Il ne s’y était pas interdit de dire ce qu’il pensait du comportement de Trump vis-à-vis de l’Accord de Paris sur les questions d’environnement (retrait des USA), dans des termes dont un mot surtout (souligné de gras par nous) doit être considéré comme remarquable : « A Paris, nous nous étions rassemblés autour de l’accord sur le changement climatique le plus ambitieux de l’histoire, un accord qui même avec l’absence temporaire du leadership américain doit donner à nos enfants une chance d’améliorer leur existence. »

La chose n’a pas dû échapper à Trump, transformé ainsi en nuisance temporaire, non plus que le comportement absolument extraordinaire d’Obama qui, en son temps, avait remercié GW Bush pour sa réserve sinon son silence durant ses deux mandats, comme il sied à un président des USA à qui la coutume fait obligation de se montrer discret vis-à-vis des actes de son successeur. Obama n’est pas un président-sortant comme les autres, ni Trump un président-élu comme de coutume...

• Comme l’on voit, il n’est pas nécessaire d’avoir un Poutine pour introduire le trouble, l’incertitude, l’irritation dans les relations entre tous ces chers alliés de la civilisation occidentale, dite bloc-BAO. Le climat général est très tourbillonnaire, insaisissable, il n’y a plus de ligne générale, plus de dynamique de rassemblement, plus d’autorité légitime. Les crises continuent plein pot, bien entendu, ainsi que la dégradation générale qui va avec le processus surpuissance-autodestruction du Système...

Pour le cas français, il faut observer cette conjoncture fluide et incertaine, où l’absence d’autorité, – ou bien l’affirmation à contre-emploi d’autorités diverses, contradictoires et en constant affaiblissement, – est manifeste tant au niveau des puissances en jeu que des organisations transnationales, et il faut alors admettre qu’une telle conjoncture est très favorable à l’affirmation de ce pays à la forte souveraineté qui a connu un très long engourdissement et un effacement complet. Les affirmations de Macron, effectivement de pure communication mais dont on a vu l’importance, complètent le tableau d’une opportunité très favorable. Comme on l’a vu d’une autre façon, on ne dit pas une seconde que la situation elle-même soit favorable, au contraire elle est exécrable avec essentiellement la crise de Washington D.C. qui brouille absolument toutes les données et les références. Mais c’est justement une situation semblable qui convient à un pays comme la France, comme on l’a décrit. Depuis les quelques mois de présidence européenne de la deuxième partie de 2008, – année crisique justement, avec les crises géorgienne et financière, – dont Sarkozy avait paru un moment pouvoir faire quelque chose de fécond avant de s’effacer totalement dans la médiocrité de l’alignement, c’est le moment le plus opportun pour un réveil de la Belle au Bois Dormant. La présence du Prince n’est même pas requise, il suffit d’arrêter de prendre la dose habituelle de tranquillisants à laquelle la France s’est accoutumée. Si Macron mesure complètement et justement l’opportunité, un boulevard s’ouvre à lui.

 

Mis en ligne le 5 juillet 2017 à 17H43

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