TINA, plus que jamais mais à l’envers

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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TINA, plus que jamais mais à l’envers

19 mars 2017 – Cela se passait au cours de la première ou de la seconde campagne électorale (je dirais plutôt la première) de Margaret Thatcher, lorsque Thatcher conquit de haute lutte le pouvoir et s’y installa pour durer. Son slogan fit mouche et acquit une notoriété qui ne nous a plus quittés : TINA, pour “There Is No Alternative”, phrase déjà utilisée au XIXème siècle pour ce cas de l’économie mais qu’elle rendit absolument emblématique et symbolique à la fois de la postmodernité et de l’aspect totalitaire de la postmodernité. C’était pour nous dire qu’il fallait s’y résoudre ou plutôt, pour les non-encore-convaincus, capituler avec armes et bagages et si possible joyeusement. Il n’y avait aucune alternative possible au système de la loi du marché, de l’ultra-libéralisme, du libre-échange, – ou encore et en un mot terrible inspiré par le Très-Haut à sa fervente messagère : il n’y a pas d’alternative au Système... C’était à la fin des années 1970. Là-dessus, en 1980-1981, le vif et séduisant intellectuel venu d’Hollywood lui apporta son concours décisif. Thatcher & Reagan étaient faits pour roucouler ensemble.

TINA, tout le monde obtempéra, à commence par nos socialistes dès 1983. Bientôt, les bolchéviques libérés allaient pouvoir y goûter à leur tour, on sait comment et avec quelle violence... A cette époque, nous étions entrés dans la magie, dans la caverne de Platon type-fluo ; l’ultralibéralisme, le commerce et le libre-échange commençaient à se colorer des reflets de la divinité, avec le clown Clinton et son nez rouge et les grand’messes régulières. On swinguait sur l’air du Washington Consensus, qui était une sorte de In The Mood ou de Chattanooga Choo Choo, ou mieux encore d’American Patrol, tout cela d’un Glenn Miller postmoderne et globalisé ; et l’on commençait à aller chaque début d’année à Davos, comme on va à Jerusalem, admirer le petit enfant qui venait de naître ; et chaque année, ô miracle, non seulement il naissait mais encore il renaissait. C’était le temps où TINA nous promettait la plus belle des aubes, ditto la Renaissance (Renaissance 2.0, That is). Effectivement, je vous parle de quelque chose de profondément religieux, qui se nourrit de la foi.

Je n’ai pas oublié cette intervention, dont je rapporte quelques bribes ci-après. Cela se passait à Washington il y a vingt ans, le 5 mai 1997, lors d’un séminaire nommé Bridging The Atlantic Conference, où les Néerlandais se firent remarquer par leur zèle rffectivement religieux, eux qui ont la main pseudo-putitaine si près du potrtefeuille. La famille royale de cette auguste nation a toujours eu de ces accointances et des tendresses pour les USA,  notamment par le biais de liens affectifs avec Franklin Delano Roosevelt, d’origine néerlandaise et parrain de Béatrix, première fille de la future reine Juliana, et reine elle-même en 1982. Très grosse richesse les Orange-Nassau, avec des investissements importants dans l’industrie aérospatiale des USA (grosse participation chez Northrop dans les années 1950-1970), et le Prince Bernhardt (mari de Juliana), homme-lige et homme-Lockheed en Europe, dont il avait reçu (de Lockheed) $75 millions au décompte de 1975 pour faire vendre le F-104 Starfighter dans l’Europe sur la voie de l’indépendance.

Pour mon compte, ce fut un Néerlandais, Lodewijk J.R. de Vink, CEO comme l’on dit de la compagnie pharmaceutique Warner-Lambert, qui fit à la Bridging The Atlantic Conference le discours le plus huppé et le plus visionnaire, celui qui annonçait l’explosion du business comme nouvelle religion, comme forme révolutionnaire-pieuse de l’art, comme nourriture céleste de notre-culture à venir. On y lisait notamment, en référence à l’historienne-économiste de circonstance et de l’Université de Londres, la professeure Lisa Jardine, l’annonce de la Renaissance 2.0 après la première du nom, retravaillée par la Jardine pour y faire entrer les deux piliers de la période, de la “communication de masse” via Gutenberg comme ancêtre de Rupert Murdoch et le “consumérisme” axé sur des marchandises de très bonne qualité allant du Giotto à Leonardo  :

« The book is titled “Worlldky Goods.” In it, Jardine rejects the widespread notion that the Renaissance was sparked by the spontaneous combustion of cultural identity.

» Rather, she argues, it was the commerce that launched the Renaissance. Commerce ... in the form of widespread appetites for printed books and new artworks... in the trend of “consumerism” among the expanding European upper classes... and in the practical applications of ermerging sciences.

» Jardine goes on to tell us that “the geopolitics of the period were also driven by commerce... in forging trading routes to the east ... in the scramble for distribution rights and landing rights in port regions ... and in the rapid exchange of ideas through the mass communication of print.

» “All of these factors combined,” says Jardine, “to create the climate for the rich and widespread energy of the Renaissance.”

» Now, if “the Renaissance was sparked by new information tehnologies... a radical shift in geopolitics... and the birth of new sciences,” what does that tell us about today ?

» Are we on the cusp of another kind of Renaissance ?

» I believe that we are.

» I am also convinced that i twill be propelled, as it was 500 years ago, by the power of business... » 

... Mais c'était 1997, il y a vingt ans presque exactement,  “je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître”. L’aube radieuse des années 1980 et 1990, où les chœurs religieux ne cessaient de chanter les louanges du Seigneur-Global, s’est peu à peu, mais brusquement en vérité, transformée en un renversement affreux dans une lumière crépusculaire. Aujourd’hui, c’est-à-dire hier 18 mars sur ZeroHedge.com, on peut lire cette nouvelle terrible venue du G-20, l’un de ces “G” comme “Globalisme” : « Trump gagne : le G-20 abandonne la réaffirmation de l’engagement anti-protectionniste, libre-échangiste, & financement contre le crise climatique » (“Trump Wins: G-20 Drops 'Anti-Protectionist, Free-Trade, & Climate-Change Funding' Commitment”)... Lisez cela comme on décrypte un symbole plutôt qu’en analyser tous les termes où il y a à boire et à manger (la position du bordel-Trump vis-à-vis de la crise climatique mérite une sacrée discussion).

Voyez aussi le grand cas que Virgil fait, dans Breitbart.News, du discours de Trump le 15 mars, sur le site de l’ancienne usine Ford de Willow Run, à Ypsilanti Township, dans le Michigan, où la Ford Company se lança dans la production de la guerre aérienne et produisit de juin 1941 à juillet 1945 neuf mille bombardier Consolidated B-24 Liberator. C’est un discours à la gloire du fordisme du début du XXème siècle, – une sorte de “capitalisme à visage humain” où le patron, qui hait les financiers de Wall Street (cas de Henry Ford) paye fort décemment ses ouvriers pour qu’ils achètent ce que ses usines produisent ; un hymne à la productivité industrielle durant les années de la grande Good War des États-Unis et du nationalisme économique absolument protectionniste par sa nature même.

(Voyez en passant, avec le discours de Trump et le commentaire de Virgil, le féminisme-à-la-Trump, avec Rosie-the-Riveter, le féminisme anti-féministe du président. Dans la communication-propagande de l’effort industriel de guerre US, qui fut d’ailleurs fort loin d’être un événement exceptionnel, et comme symbole d’une politique de réelle mobilisation économique, Rosie-the-Riveter [disons, “Rosie-le-riveteuse”] était une expression archétypique de communication désignant toutes ces femmes qui se mirent au travail et devinrent ouvrières dans les usines d’armement, remplaçant dans le travail industriel de base les hommes partis au combat [15 millions dans les forces armées au plus haut de l’effort de guerre]. Cet épisode fut vécu comme un chapitre de l’émancipation féminine... Cela, aux USA, certes, parce que les USA toujours en avance avait une guerre de retard dans la longue lutte de l’émancipation féminine : le même phénomène était survenu en Europe en 14-18, conflit où les USA n’entrèrent qu’en 1917, avec un effort industriel mineur et donc guère d’appel au personnel féminin, les forces armées US s’équipant pour l’essentiel de matériels anglais et surtout français, à cause de l’avance européenne dans ce domaine... Il reste pour notre commentaire du temps présent qu’aux USA, l’intervention de Trump le 15 mars doit sonner indirectement comme la glorification d’un féminisme patriotique et structuré, au contraire du féminisme actuel, absolument déstructurant et férocement anti-Trump dans le cadre du mouvement progressiste-sociétal qui voue au président une haine d’une puissance inimaginable.)

Prenez tout cela comme autant de symboles car il n’est en rien dans mes intentions de faire la promotion du passé industriel et économique, notamment et hors de toute considération de l’évolution technique et industrielle parce que notre catastrophe économique et financière est née de ce passé-là, directement. Au contraire, et assez paradoxalement, ces divers évènements d’aujourd’hui qui sembleraient être un appel au passé bienheureux et équilibré du Système, — mais Système déjà installé et déjà gros de son aujourd’hui, – ces divers événements sont le symbole d’un complet renversement de TINA. Bien loin de constituer une affirmation de la supériorité d’un type de capitalisme sur un autre, là où il n’y a qu’un seul capitalisme, avec un enchaînement qui fait passer de phases apparemment satisfaisantes à leur progéniture absolument catastrophique, il s’agit du contraire.

Le TINA renversé, ou TINA-inverti pour rester au goût du jour dans le chef des épithètes, est celui de l’effondrement du Système... TINA-Thatcher pour TINA-Trump, et au “Il n’y a pas d’alternative au Système” a succédé le “Il n’y a pas d’alternative à l’effondrement du Système” dont ces divers événements sont la marque symbolique et irrésistible. Le fait de solliciter le passé, lorsqu’on croyait encore au Système, lorsque le système portait encore un masque (celui d’un Ford bon enfant pour ses ouvriers et empli de haine pour Wall Street – je vous fais grâce des digressions idéologiques anti-Ford des sentinelles de nos salons) ; ce fait-là est une fantastique mesure de l’échec du Système dont nos psychologies transmettent à nos raisons réticentes les signes indubitables. Si vous voulez, le TINA d’aujourd’hui est bien ceci : le Système doit se tirer une balle dans la tête, ““There Is No Alternative. Dans ce cas, c’est Bannon qui chuchote par derrière, tandis que Trump, à l’avant-scène, fait les discours qui enrobent la réalité perdue à jamais d’illusions temporaires.