Syrie, point final de l’Empire ?

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Syrie, point final de l’Empire ?

Le commentateur Tom Luongo développe sur toute sa perspective la thèse selon laquelle la décision du président Trump concernant le retrait des forces US de Syrie est décisive en ceci qu’elle représente la prise en compte et la confirmation opérationnelle du coup d’arrêt effectivement décisif à l’expansion de l’“Empire”.

(On acceptera ce terme d’“Empire” pour la facilité du propos, bien qu’il soit dans ce cas tout à fait justifié d’en discuter la correspondance tant avec la situation stratégique et politique spécifique, qu’avec la situation générale des relations internationales par rapport au caractère de la puissance américaniste. L’appréciation se nuance alors à partir de l’observation que, depuis qu’ils se voient eux-mêmes comme un empire, – depuis la fin de la Guerre froide, et décisivement depuis la riposte à 9/11 – les USA ne cessent de produire du désordre et du chaos, notamment dans des régions sur lesquelles ils exerçaient pourtant auparavant un contrôle plus ou moins affirmé, alors que la fonction essentielle du fait impérial est l’établissement d’un ordre général sur toutes les possessions de l’empire à partir du centre fédérateur... D’où, d’ailleurs,la généralisation dans ce cas de l’expression “empire du chaos” qui est pour le moins un oxymore, sinon une insupportable contradiction. Gardons donc le terme d’“Empire”, avec une majuscule pour distinguer le cas, mais gardons également à l’esprit toutes ces réserves.)

Luongo reprend toute la perspective qui a conduit à la situation qu’il salue, avec bien entendu comme principal acteur la Russie, tant sur le plan diplomatique que sur le plan militaire. D’une façon plus précise et historiquement remarquable selon Luongo, il est observé que l’action militaire russe de septembre 2015 peut être décrit évidemment comme le point décisif de la crise, effectivement comme un événement qui restera historique, « un moment où l’ensemble de la perspective géopolitique a basculé. Quelqu'un a tenu tête aux États-Unis avec succès ».

Luongo estime que la décision de Trump est un point de rupture, un tournant historiqueà partir duquel l’empire commence effectivement, d’un point de vue géopolitique visible, sa retraite sinon sa déroute. En mettant à part toutes les questions et incertitudes concernant un personnage (Trump) aussi insaisissable et inhabituel, la décision de Trump de décembre 2018 répond à la décision d’intervention de Poutine de septembre 2015, – comme si les deux hommes avaient eu, sans le savoir ni l’envisager à l’origine, partie liée... D’où cette remarque assez ironique et paradoxale si l’on tient compte de l’orientation, de l’auteur, mais finalement ironiquement et paradoxalement assez juste : 

« Trump n'admettra jamais cela en public, mais d'une certaine manière, il doit son élection à Poutine. En forçant à la révélation de la vérité, Poutine a préparé le terrain pour faire se désintégrer la narrative sur la Syrie, fin 2015 / début 2016.

» Trump a utilisé cela pour se catapulter à la présidence... »

Selon cette approche qui se concentre sur le seul argument géopolitique, le développement de Luongo et son constat d’un tournant décisif pour l’Empire sont fondés. (Il faut observer, pour mesurer la fluidité de la situation de la perception, que Luongo était jusqu’à la décision sur la Syrie, plutôt critique sinon adversaire de Trump, qu’il jugeait comme étant une marionnette du War Party de Washington.)

Bien entendu, il existe à côté de la situation syrienne d’autres variables fondamentales, qui jouent et joueront évidemment un rôle très important dont on ne peut dire l’orientation. La première de ces variables, évoquée par Luongo, est le sort de Trump à “D.C.-la-folle” et la capacité d’action de ses adversaires dont le regroupement se fait désormais à ciel ouvert après le départen fanfare insurrectionnelle des généraux. Le fait le plus intéressant de ces derniers jours est le côté “ciel ouvert”, avec le quasi-appel à l’insubordination et à l’insurrection des généraux concernés ; tout cela passe comme une lettre à la poste, sans soulever de remarques particulières. C’est la marque d’une époque, qui fait par ailleurs s’interroger sur le sérieux des généraux, qui ne valent peut-être pas plus que tout le mal qu’ils disent de Trump du point de vue de l’organisation et de la détermination.

Une autre “marque de l’époque” se trouve dans l’expression qu’emploie Luongo de “pilotage automatique” (« Vous pouvez voir les vestiges de ce plan tout autour de vous aujourd'hui, avec une grande partie encore en pilotage automatique. Les appels lancés par Angela Merkel et Emmanuel Macron à la cession de la souveraineté nationale à l’UE en sont un parfait exemple »). On est très naturellement conduits à se demander si le véritable secret, à la fois de l’ascension et de la chute de l’Empire, – surpuissance et autodestruction, – ne se trouve pas dans cette notion de “pilotage automatique”, qui serait comme la marque de l’empire des évènements sur les hommes ; quant aux acteurs de la chose, plutôt de pâles figurants, on l’a compris... Vision maistrienne, caractérisée par cette remarque dans le livre de Joseph de Maistre de 1795 sur la Révolution : « Les scélérats mêmes qui paraissent conduire la révolution, n'y entrent que comme de simples instruments; et dès qu'ils ont la prétention de la dominer, ils tombent ignoblement. »

Quoi qu’il en soit, l’avenir est ouvert dans ses multiples et telluriques possibilitéspour nous dire si le point de vue qu’illustre ici Luongo est fondé, la seule certitude étant que les principaux figurants, – que ce soit les zombies de l’Empire ou Trump, – ne nous déçoivent pas pour ce qui concerne l’aspect sensationnel des événements. L’article de Luongo, ci-dessous à partir de son siteGold, Goats’n Guns, avec le titre original, raccourci pour des raisons techniques, de « La défaite US en Syrie est une crise de l’Empire ».

dedefensa.org

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Une crise de l’Empire

Les États-Unis ont perdu en Syrie. Donald Trump a finalement eu le courage d'admettre cela devant le monde entier lorsqu'il a ordonné le retrait de toutes les troupes américaines présentes.

La Syrie devait être le joyau étincelant de la couronne de l’empire du chaos. Un coup de maître de la realpolitik qui ferait progresser tous les grands objectifs américains, israéliens et saoudiens tout en déstabilisant complètement le Levant et en ouvrant la voie à la destruction de l’Iran et de la Russie.

Si le gouvernement Assad tombait, la Syrie deviendrait pire que la Libye. Cela deviendrait une source de chaos abject pour les décennies à venir. Et la formation du Kurdistan élargi placerait les moyens militaires américains et israéliens à la porte de l’Iran.

Le démembrement de la Syrie, de l’Iraq et peut-être même de la Turquie, une fois Erdogan liquidé, permettrait aux États-Unis et à Israël de contrôler les avoirs pétroliers afin de financer une insurrection dans toute l’Asie centrale.

De plus, le chaos assurerait un flux constant de réfugiés en Europe pour la déstabiliser. Ce chaos conduirait à une intégration politique plus poussée de l'Europe sous le contrôle de l'UE.

Vous pouvez voir les vestiges de ce plan tout autour de vous aujourd'hui, avec une grande partie encore en pilotage automatique. Les appels lancés par Angela Merkel et Emmanuel Macron à la cession de la souveraineté nationale à l’UE en sont un parfait exemple.

Ils sentent que le projet leur échappe. En dépit de leur pouvoir politique défaillant, ils poussent leurs assemblées législatives à ignorer les citoyens, les qualifiant de traîtres.

Orwell serait fier de Macron, avec sa déclaration : “Le patriotisme est l’exact opposé du nationalisme [parce que] le nationalisme est une trahison.”

Les généraux que Trump vient de licencier dans la logique de sa décision syrienne en sont un autre exemple. Ils croient toujours qu'ils peuvent réaliser une balkanisation de la Syrie et de l'Irak. Ils ont juste besoin de plus de moyens et de temps.

Les singeries enfantines et dégoûtantes d’Israël, qui envoient des missiles à l’aéroport de Damas en utilisant des civils comme boucliers humains, constituent la marque la plus accablante de cette situation.

Si vous regardez la disposition du jeu en ce moment, vous voyez que tous les auteurs de la guerre en Syrie sont soit chassés du pouvoir, soit en train de le perdre rapidement, – Hillary Clinton, Obama, Merkel, Macron, Netanyahu, David Cameron.

La Russie à la rescousse

C’est pourquoi l’entrée de la Russie dans le conflit syrien était si importante. C’est un moment où l’ensemble de la perspective géopolitique a basculé. Quelqu'un a tenu tête aux États-Unis avec succès.

La confiance structurelle est basée sur la perception d'invulnérabilité. Le déplacement de moyens aériens en Syrie pour aider l’armée arabe syrienne était une déclaration selon laquelle la Russie avait atteint les limites de ce qu’elle pouvait admettre, tout comme pour la Crimée, de l’ingérence américaine dans ses objectifs à long terme.

Rappelez-vous, en 2015, la narrative était que ISIS était sorti du désert comme par génération spontanée, et qu’il faudrait une invasion totale et massive pour l’éliminer.

Alors, les Russes envoyèrent une trentaine d’avions et modifièrent tout le conflit en six semaines.

Tout à coup, il apparut qu’ISIS pouvait être vaincu. Tout ce que les États-Unis pouvaient faire, c’était mettre en cause Poutine pour avoir attaqué Al-Qaïda, pas ISIS.

Mais pourquoi protégions-nous Al-Qaïda? N'ont-ils pas fait sauter les tours jumelles?

Trump n'admettra jamais cela en public, mais d'une certaine manière, il doit son élection à Poutine. En forçant à la révélation de la vérité, Poutine a préparé le terrain pour faire se désintégrer la narrative sur la Syrie, fin 2015 / début 2016.

Trump a utilisé cela pour se catapulter à la présidence. Et c’est vraiment ce qui met le Marigot de Washington D.C. en colère ; le constat que l’on n’achète plus guère ses mensonges.

Et les guerres doivent prendre fin.

A mesure que les pertes d'Al-Qaïda et de l'État islamique s'accentuaient grâce à la campagne aérienne russe, ils ne restait plus guère qu’à écrire des manuels de logistique militaire sur la Turquie, le Qatar et l'Arabie saoudite.

L’intervention russe a amené le roi d’Arabie saoudite à modifier la ligne de succession, car il devenait évident qu’il ne recevrait jamais son butin de la Syrie – un gazoduc menant à la Turquie.

La Turquie a rompu au moment où Erdogan a réalisé qu'il était sur le point d'être blâmé pour tout le gâchis. Après tout, lui et son fils vendaient le pétrole que l'État islamique passait en contrebande à travers le désert syrien jusqu'en Turquie.

Et en quelque sorte, un système militaire et de surveillance tout-puissant, capable de lire les plaques d'immatriculation depuis l'espace, ne pouvait pas trouver de convois de camionnettes Toyota acheminant des tonnes de pétrole vers la Turquie.

Retraite impériale

Une fois que quelqu'un résiste avec succès à l’Empire, le précédent inspire d’autres pour faire de même. Les interventions de Poutine en Syrie, en 2013 diplomatiquement et en 2015 militairement, ont montré au monde que la Russie ne craignait plus les capacités des États-Unis à projeter leurs forces dans le monde entier.

Et c’est ce qui a vraiment changé la narrative. C’est pourquoi nous sommes là où nous en sommes aujourd’hui avec Trump, reconnaissant à juste titre que l’Empire met en faillite non seulement les États-Unis, mais aussi le reste du monde.

Son défi sera de survivre à la réaction des puissances bien implantées à D.C. et en Europe. Ils vont faire tout leur possible pour avoir sa tête, au sens figuré et au sens propre.

En déclarant sa victoire sur ISIS et en quittant la Syrie, Trump marque la fin d’une période honteuse de l’histoire des États-Unis. Et la perte pour l'empire ne sera pas aisément surmontée.

La Syrie représentait le pire type de l’excès d’ambition impériale. A certains égards, c’était un bourbier que les États-Unis et leurs alliés n’auraient jamais pu gagner car les moyens nécessaires n’auraient jamais été disponibles.

Et ces moyens étaient politiques. L’appétit pour une guerre sans fin s’était épuisé avec l’élection d’Obama, pas moins qu’avec celle de Trump. Ainsi, en l’absence d’un casus belli qui pourrait convaincre les Américains d’intervenir en Syrie, nous n’aurions jamais donné à aucun des deux Présidents le mandat d’une intervention complète de l’OTAN.

La seule question qui se posait alors était de savoir si ceux qui risquaient de perdre le plus, – la Russie, l’Iran, le Liban, – seraient solidaires et convaincraient la Chine de les aider à sauver la Syrie et, par extension, eux-mêmes.

Avec l’intervention de la Russie, l’approbation tacite et le soutien financier de la Chine, il est devenu clair que le terme de l’aventure était tracée à condition que les Russes gardent à l’esprit le but final.

Gagner en survivant. La Syrie était une guerre d'usure dans laquelle la coalition pro-syrienne a progressivement rendu l'occupation américaine de plus en plus intenable. En fin de compte, cette bataille complétée par une manœuvre diplomatique adroite pour faire naître une solution politique a conduit à ce point.

Cette perte en engendrera d'autres. L’agression sans frein des États-Unis a été contrée avec succès par une résistance essentiellement passive. L'Afghanistan et l'Ukraine sont les étapes suivantes.

Tom Luongo

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