Occupy et NDAA : du bon usage de la Rule of Law

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Occupy et NDAA : du bon usage de la Rule of Law

Nous avons toujours argumenté que les USA ne pourraient pas devenir un État fasciste, malgré les nombreuses bonnes volontés dans ce sens, dans le chef du Système et de ses serviteurs, parce que 1) les USA ne sont pas un État, et 2) que leur système capitaliste d’oppression a, paradoxalement et intrinsèquement, besoin, au niveau économique, d’une liberté formelle (de circulation, d’échange, de communication), c’est-à-dire de garanties législatives de l’absence de contraintes exercées contre ses activités mercantiles et corruptrices. On voit qu’il n’est nulle part question de vertu dans cette nécessité de “liberté” (dans ce cas, on s’autorise des guillemets), mais plutôt d’une démarche utilitariste et rien d’autre. (On parlera donc d’une “liberté utilitaire”, expression qui, vue la cause qui la justifie, est parfaitement oxymorique.)

Ainsi exprimions-nous ce paradoxe américaniste, qui n’est vertueux que par inadvertance, qui est en fait un vice du Système prenant, pour aller au terme de sa cupidité, toutes les mesures qui lui sont nécessaires sans s’aviser que certaines d’entre elles ont un aspect disons “autoritaricide”, et que les activités mécaniques de communication développées dès l’origine pour affirmer la vertu du Système ne suffisent plus à neutraliser. C’est ce que nous exprimions dans notre commentaire, le 5 mai 2012 :

«A cet égard, les USA apparaissent complètement phagocytés par le Système, conduits par lui à tous égards, et cela est une confirmation et nullement une surprise. Cela impliquer que la situation aux USA peut, selon les évènements, basculer du jour au lendemain dans l’orientation qu’on décrit. (Mais aussi, parallèlement, un tel basculement pourrait déclencher ou alimenter une réaction populaire très violente, avec les moyens de s’exprimer à cause de la forme du régime dont les nécessités économiques imposent le maintien d’une structure libérale (notamment, pour les USA, accès aux armes, aux structures d’organisation civile, maintien d'une circulation de l'information). C’est un autre aspect de ce qu’on décrit, qui est, lui, complètement différent des régimes totalitaires et rend compte d’une situation différente à cet égard. Le paradoxe est donc qu’à côté de mesures policières et psychologiques de contrainte, les USA ne peuvent évoluer vers un centralisme autoritaire type fasciste ou soviétique parce que leur dépendance idéologique de leur système économique et de corruption rejette absolument l’étatisme et l’autoritarisme centralisé de l’État puisque la puissance privée domine tout ; le résultat, comme on le constate chaque jour, est plutôt un centralisme déstructuré et en cours de dissolution, entraînant une situation de désordre impuissant du pouvoir du point de vue politique.)»

Cette contradiction est puissamment mise en évidence par deux événement judiciaires, accordés à la Rule of Law, qui est l’édifice pompeux et vertueux auquel s’alimentent notamment la “liberté utilitaire” et le barrage opposé à l’interventionnisme public dans les courants de circulation du circuit capitaliste. Il se trouve que, les grands Principes qui font la pompe de la chose étant nécessairement inscrits dans la Constitution, les citoyens avisés peuvent, dans certains cas, y compris des cas très contradictoires des intérêts du Système, profiter de cet appareil légal. Les citoyens en ont donc profité dans deux cas, en deux jours…

• D’abord, le premier procès d’une personne accusée dans le cadre des manifestations Occupy, démarrant à New York en septembre 2011. Il s’agissait d’un plaignant, un étudiant arrêté par la police de New York, le fameux NYPD (New York Police Department). Alexander Arbuckle filmait une intervention de la police lorsqu’il fut arrêté, plutôt brutalement, comme on l’imagine… L’ironie paradoxale de ce cas, le premier d’Occupy à passer en jugement, est qu’Arbuckle était plutôt sympathisant de la police et qu’il filmait la scène pour obtenir du matériel contre les dénonciations de la brutalité de la police. Mais NYPD, c’est bien connu, ne s’arrête pas à ces broutilles. Le procès s’est terminé par l’acquittement d’Arbuckle, prononcé par un juge visiblement agacé devant l’évidence, – par film vidéo interposé tourné par un journaliste, témoin de toute la scène incriminée, – de dépositions mensongères des policiers. Occupy salue le verdict comme une grande victoire. (Sur Russia Today, le 16 mai 2012.)

«Arbuckle was arrested on New Year’s Day for allegedly blocking traffic during a protest march. He was charged with disorderly conduct, and his arresting officer testified under oath that he, along with the protesters, was standing in the street, despite frequent requests from the police to move to the sidewalk. But things got a little embarrassing for the NYPD officer when the defense presented a video recording of the entire event, made by well-known journalist Tim Pool. Pool's footage clearly shows Arbuckle, along with all the other protesters, standing on the sidewalk. In fact, the only people blocking traffic were the police officers themselves.

»His lawyers said the video proving that testimony false is what swayed the judge, and the verdict a clear indication that the NYPD was over-policing the protests… […]

»A political science and photography major at NYU, Arbuckle felt the police were not being fairly represented in the media. “All the focus was on the conflict and the worst instances of brutality and aggression, where most of the police I met down there were really professional and restrained,” the student said.

»However, his good intentions only landed him in trouble. As with all the other detained protesters, the police offered Arbuckle an Adjournment in Contemplation of Dismissal (ACD), which basically means he would be let off the hook if he agreed not to fight the charges. But to Arbuckle, that meant an admission of guilt, and he decided to take the case to trial.»

• Le second cas est beaucoup plus important et spectaculaire, puisqu’il aboutit au blocage temporaire d’une partie des effets des articles les plus contestés de la fameuse loi NDAA (la loi budgétaire de la défense pour 2012), signée en catimini par Obama, le 31 décembre 2011. Dès l’origine, lorsque les articles contestés de la loi ont été mis en évidence, NDAA a été dénoncée comme une “loi martiale” déguisée (c’était le jugement de Ron Paul le 16 décembre 2011). Le 16 janvier 2012, l’auteur et journaliste dissident Chris Hedges déposait plainte contre le citoyen Obama et le citoyen Léon Panetta, ce dernier agissant en qualité de représentant du département de la défense dans l’élaboration de la loi NDAA. Hedges fut rejoint par de très “grosses pointures” comme co-plaignants, notamment Noam Chomsky et Daniel Ellsberg. Le 16 mai 2012, la juge fédérale Katherine Forrest a rendu son verdict, «… granted a preliminary injunction […] to block provisions of the 2012 National Defense Authorization Act that would allow the military to indefinitely detain anyone it accuses of knowingly or unknowingly supporting terrorism». Le site Antiwar.com présente le jugement de cette façon, le 17 mai 2012 :

«Judge Forrest ruled that Chomsky, Ellsberg and the others had “reasonable” reason to believe that the NDAA could be used to have them captured and transferred into military custody by virtue of their antiwar stances and opposition to the administration’s policies. She also ruled that the NDAA’s standards were too vague and overly broad compared to the 2001 Authorization of the Use of Military Force, which restricted such detentions purely to those directly involved in planning or carrying out 9/11.

»Forrest went on to say that the NDAA likely violated both the First and Fifth Amendments, in that it prohibited certain types of freedom of association and denies captives any due process in US courts, and said that the law had already done concrete damage to the abilities of the plaintiffs to do their jobs.»

• La décision de la juge Forrest ne clôt en aucun cas le dossier de la loi NDAA mais il élargit considérablement sa contestation en l’amputant provisoirement, sous réserve d’un appel de l’administration Obama, d’un aspect important qui est celui de son application aux citoyens américains. La décision ne concerne pas, en effet, les citoyens non-US. Russia Today s’attache, le 18 mai 2012, à cet analyse du jugement comme élément d'élargissement de la contestation de NDAA.

«Although Judge Forrest’s ruling this week is without a doubt a milestone in terms of revoking the NDAA, her efforts are but only a start in terms of terminating the legislation. It does not rule out the possibility that the Obama administration will appeal her decision, either. Attorney Carl Mayer represented the plaintiffs in this case and tells RT that, although he expects the White House to appeal, “we are suggesting that it may not be in their best interest because there are so many people from all sides of the political spectrum opposed to this law that they ought to just say, ‘We're not going to appeal’”.

»In the meantime, though, Mayer says that Judge Forrest's ruling is a major victory for American civil liberties.“The NDAA cannot be used to pick up Americans in a proverbial black van or in any other way that the administration might decide to try to get people into the military justice system. It means that the government is foreclosed now from engaging in this type of action against the civil liberties of Americans.”»

Le jugement de la juge Forrest a notamment accepté l’argument de Hedges disant que par le seul exercice de son métier, en rencontrant des personnes que le Système étiquette comme “terroristes”, d’ailleurs d’une façon complètement discriminatoire et insubstantivé, il peut être lui-même arrêté comme “terroriste“ sous le coup des articles incriminés de NDAA. Parlant à Associated Press, Hedges a observé le caractère extrêmement vague de NDAA, qui fait que l’on ne sait pas ce qui est “illégal” ou ce qui ne l’est pas, ce qui introduit dans la législation un caractère dont la référence moderne est d’être véritablement “stalinien”, c’est-à-dire avec une terrorisation de la législation censée lutter contre le terrorisme : une loi dite “antiterroriste” qui se présente comme une défense des citoyens, qui est elle-même “terroriste” à l’encontre de ces mêmes citoyens. (Le caractère du régime policier dans l’époque stalinienne était que l’on ignorait effectivement ce qui pouvait justifier une arrestation, instaurant ainsi un état objectif de terreur, et paralysant toute activité publique, de crainte qu’elle soit assimilée à un cas passible d’arrestation.) «Ever since the law has come out, and because the law is so amorphous, the problem is you're not sure what you can say, what you can do and what context you can have», dit Hedges.

Russia Today note que, parallèlement au jugement de la juge Forrest, une action est en cours à la Chambre pour tenter de “tuer” les articles incriminés de la loi NDAA. Un vote est prévu incessamment sur cet amendement, qui est fortement soutenu par Ron Paul. «Presidential hopeful and congressman, Rep. Ron Paul (R-Texas), has signed his name to an amendment proposed by Rep. Adam Smith (D-Washington) and Rep. Justin Amash (R-Michigan) that will shoot down the indefinite detainment of anyone in the next NDAA. "Hopefully we can be successful this week in clarifying this to make sure once and for all that we as a people don't endorse the whole notion —which contradicts everything we should believe in — that we could be arrested and put in secret prisons," said Rep. Paul. “If we don't change this, believe me, this country is in serious trouble.”»

Dans ces diverses activités, on voit se déployer en effet un usage antagoniste, à contre-emploi des dispositions de “liberté utilitaire” décrites ci-dessus, de toutes les activités de pressions policières et de terrorisation en cours du régime américaniste, dans le cadre du Système. On retrouve bien le mécanisme contradictoire décrit ci-dessus, car l’utilisation décidée d’un aspect utilitaire du régime représentant le Système, s’il se poursuit et s’accentue, va développer le désordre dans l’application des législations concernées.

Il est évident qu’il y a dans la remarque de l’avocat Carl Mayer un avertissement, voire une menace de cette sorte, lorsqu’il dit : «we are suggesting that it may not be in their best interest because there are so many people from all sides of the political spectrum opposed to this law that they ought to just say, “We're not going to appeal”.» Cet avertissement est effectivement aussi une menace dans le sens où Mayer annonce implicitement que, s’il y a appel de l’administration, il y aura d’autres plaintes contre NDAA, venues de nombreuses autres personnes ou groupes, qui auront pour effet d’accumuler les entraves temporaires, les interférences incessantes de la justice dans le fonctionnement de cette loi. En effet, Mayer parle au nom d’un groupe de personnalités qui, elles-mêmes, renvoient à de nombreux autres groupes dissidents dont on peut à juste titre supposer qu’ils s’organisent dans ce sens de développer une “guérilla juridique” contre cette loi (et éventuellement contre d’autres). C’est alors le développement vers le désordre dans l’application de la politique-Système, nominalement “antiterroriste” et, en réalité, de terrorisation de la population. C’est le meilleur emploi antiSystème de la Rule of Law, et un emploi paradoxal par rapport à “l’esprit des lois” dans ce cas, qui est aussi bien de protéger l’ordre dont le pouvoir devrait être le garant (mais, bien entendu, la source d’un tel désordre est dans le fait que “la loi” est, dans ce cas, complètement invertie puisqu’elle organise l’oppression d’une façon légale, donc organisant à l’intérieur de l’ordre de la loi garante de la liberté un effort exclusivement liberticide). Effectivement, la “guérilla juridique” représente une excellente forme de riposte contre la terrorisation, et, somme toute, une forme de G4G élargissant encore le concept.


Mis en ligne le 18 mai 2012 à 05H00

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