Nous détestons avec rage les Français, — mais que faire sans eux ?

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Les textes fleurissent, qui mettent en cause les Français, leur état mental, leur moralité, leur sens des “valeurs”, leur libéralisme, leur modernité, leur conformité, leur sérieux, leur piété filiale (vis-à-vis de l’Europe), leur originalité, leur loyauté, peut-être bien leur propreté, leur façon de se curer le nez et ainsi de suite. Relisez par exemple le texte de Jon Hensley, correspondant du Guardian, (dont nous vous avons déjà dit quelques mots dans le même sens), qui vitupère avec talent contre ces types (et leurs jolies femmes) qui se baladent sur la planète Mars (ou plutôt, Venus, pour faire plaisir au neocon Robert Kagan) en croyant se trouver sur notre planète Terre. La rage est telle qu’à partir d’un sous-titre qui enrage contre la moitié d’une nation (« Half the French population is living on another planet in its resistance to the EU constitution »), on en déduit, à lire le titre, que c’est toute cette nation qui est à fourguer à l’asile (« An Alien Nation »).

Et puis, patatras, les derniers mots du texte, in french dans le texte : « Quel magnifique pays, quand même. » Drôle de chute.

Un texte de la même eau, c’est celui de Gareth Harding, chef des affaires européennes de UPI (cette agence de presse fameuse fait partie du groupe du révérend Moon, soutien de Bush et assez proche des néo-conservateurs US). Le titre est perplexe mais significatif : « What's wrong with the French? », en date du 19 mai, sur le site World Herald du même groupe Moon.

Donc critique au vitriol des Français à partir du livre style-fast food des Français Clodong et Lamarque, connu sous le titre d’un style approximatif (ce doit être une traduction de l’anglais Why the French are the Worst Company on the Planet) : Pourquoi les Français sont les moins fréquentables de la planète (pour qui cela intéresse, voir sur Amazon.com. On vous montre ce que les autres pensent des Français, — absolument tous les autres, jusqu’au dernier Letton dans sa solitude glacée et anti-russe, jusqu’au dernier Wallon dans sa cambrousse du plateau de Herve où l’on fait un si bon fromage: pis que pendre, épouvantables, insortables, insupportables, à jeter, etc (voir plus haut). L’originalité de ce texte curieusement foutu de Harding/UPI, c’est qu’il commence par trois paragraphes très courts qui vous balancent simplement que, mis à part ce qu’on va vous révéler d’épouvantable des Français, eh bien on ne peut pas se passer d’eux:

« If French voters reject the European Union constitution on May 29 — as opinion polls suggest they will — and the bloc's other 24 states say “yes” to the treaty, there is a slim chance France could be booted out of the bloc.

» The very idea of an EU without France, one of the six founding members of the bloc and traditionally one of its most enthusiastic backers, is inconceivable to supporters of further European integration.

» “The EU is plausible without Britain,” but “wholly implausible without France,” says Andrew Duff, a British Liberal member of the European Parliament. »

Ce qui nous intéresse, c’est le processus psychologique derrière cette étrange ambivalence qui fait autant de rage anti-française que de protestation comme allant de soi du caractère intangible de la nécessité des Français. Ou bien faut-il mettre ici (épouvantables) : les Français, et là (magnifique) : la France? Ou bien, ou bien … Tout cela est bien tordu, autant sinon plus dans le chef des observateurs que dans celui de la chose qu’ils observent. Notre diagnostic : les Français sont sans doute en crise (cela vaut mieux que de réélire Bush) mais les autres semblent vivre une double identité au travers de ces vues si contrastées qu’elles en sont inconciliables.

Pour être plus sérieux, jouons au docteur et posons notre diagnostic : la crise française est en train de révéler au monde civilisé qu’il est lui-même en crise, et que la crise française n’est que l’habituelle manifestation de la fameuse “exception” — dans ce cas, manifester tout haut ce que les autres subissent tout bas. On comprend alors fort bien leur rage extraordinaire contrastant avec quelques mots échappés d’une reconnaissance éperdue : rage qu’ils (les Français) nous obligent à réaliser cette affection si grave, reconnaissance qu’ils nous aient obligés à la reconnaître. Tout cela humain, trop humain.

Comme disait Brejnev un peu avant l’écroulement de l’Empire soviétique : « La situation internationale est très compliquée. »


Mis en ligne le 21 mai 2005 à 17H10