Les traités, premières victimes de l’“insurrection” US

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Les traités, premières victimes de l’“insurrection” US

L’“insurrection” en cours aux USA, dont nul ne sait ce qu’elle va donner sur le plan politique, et notamment pour ce qui est du nouveau président, a déjà des effets sur l’état d’esprit général. C’est ainsi que l’on peut considérer que le traité de libre échange transpacifique (TPP), qu’Obama espérait boucler avec ratification du Sénat avant l’élection du nouveau président est en très grand danger : s’il n’est pas effectivement ratifié avant le 8 novembre prochain, alors que le calendrier du Congrès est présenté comme très serré, il sera très probablement abandonné dans sa forme actuelle. Quant au traité TTIP, qui a été négocié parallèlement au TPP mais un peu plus tard, et qui ne peut être en aucun cas prévu pour une ratification pour cette année, on peut le considérer comme virtuellement condamné malgré la poursuite des négociations et les grandes espérances que les institutions européennes continuent à mettre en lui.

Washington Examiner donnent, ce 7 mars 2016, quelques détails sur la situation du TPP, sur la procédure restant à suivre, sur les possibilités que le traité soit définitivement bouclé avant le 8 novembre 2016, puis le départ d’Obama en janvier 2017. (Obama est en effet l’un des derniers parmi les plus hauts placés dans la direction politique washingtonienne, à soutenir les traités, essentiellement pour son “legs historique”, – pour qu’on puisse dire que ce président aura tout de même servi à quelque chose, même si c’est pour ce chiffon de papier.)

« The major 2016 presidential candidates are likely to agree on one issue: Opposing the Trans-Pacific Partnership trade deal. The proposal has come under withering fire from Democratic and GOP candidates, creating a new sense of urgency among its business supporters to get it approved by Congress before its main backer, President Obama, leaves office. The deal's fans are not panicking — yet. Congress' passage of Trade Promotion Authority legislation last year means the Senate cannot filibuster the 12-nation trade pact or similar trade proposals. So the backers are still optimistic that Congress will pass it. But the time for Congress to act is slipping away.

» The deal's unpopularity has prompted Senate Majority Leader Mitch McConnell, R-Ky., to say he will not bring it up until after the November election. That would leave just a few weeks during the lame-duck session for lawmakers to pass it before a new, potentially anti-trade administration, takes over. “The real issue is that there will be very few legislative days left on the calendar,” said a source with a business trade association pushing for the deal who requested anonymity. “You've got a very narrow window after the election.” If the current Congress cannot get it done in time, the next administration would have to re-submit it, and it is not clear that whoever takes over in the Oval Office would want to do that. [...]

» “Opposition by Democratic and GOP presidential candidates to the TPP mirrors U.S. public opinion against the pact across the political spectrum, which is why there is not a majority to pass the TPP in Congress and the deal's fate is at best uncertain,” said Lori Wallach, director of Public Citizen's global trade watch program. [...] “What we'll be watching closely is what Sen. Orrin Hatch has to say,” the trade association source said. Hatch is chairman of the Senate Finance Committee, which has jurisdiction, and he said last year that the deal might need to be renegotiated. “I am very concerned that, particularly with regard to intellectual property, the administration may not have gotten the best deal possible,” Hatch said at a Chamber of Commerce forum in November.

» Rob Scott, trade policy expert with the liberal Economic Policy Institute, notes that under previous administrations, the business lobby usually won trade policy fights. Lawmakers, including Democrats, would make a show of expressing concern “and they'd end up signing the deal.” Nevertheless, Scott thinks the election's swing toward blue-collar economic populism shows just how much the ground has shifted. “We are living in a different era.” »

Le plus important est, pour nous, la phrase souligné en gras, de l’experts washingtonien de l’Institut de Politique Économique, de tendance (économique) libérale, donc partisan des traités. Rob Scott indique qu’en temps normal, le TPP aurait déjà été ratifié, ou aurait dû devoir l’être dans les quelques mois qui viennent, parce que les lobbies auraient aisément remporté la victoire, y compris chez les démocrates qui sont traditionnellement plus protectionnistes. Mais les temps ont changé, ou plutôt ils ont été bouleversés en quelques mois, à cause du tournant populiste qui affecte toute la classe politique, y compris la direction-Système elle-même (Obama mis à part qui n’est déjà plus de notre temps) : « Nous sommes dans une époque nouvelle », dit Rob Scott.

C’est un point remarquable, très caractéristique d’un pays et d’une société qui vivent fondamentalement dans un environnement entièrement marqué par la communication et son caractère changeant et dynamique, hors de tout principe solide. Le “climat” de ces quelques derniers mois a complètement basculé, depuis que le processus de l’élection présidentielle a commencé à apparaître comme étant marqué par une sorte d’“insurrection populaire” (ou “insurrection populiste”) virtuelle, symbolisée par le parcours de Trump et de toutes les polémiques qui l’ont accompagné. Rien n’est fait du point de vue strictement politique ni du point de vue législatif, et même il y a un énorme barrage édifié contre la candidature Trump (et aussi contre la candidature Sanders, ennemi acharné des traités et du libre-échange), mais le “climat”, la communication enfin, sont complètement modifiés à cause de la signification politique et populaire de cette bataille.

La bataille pour les présidentielles est une chose, si l’on veut l’aspect le plus spectaculaire de ce nouveau “climat”, et dans ce domaine rien n’est joué ; mais l’évolution du “climat” avec les flux de communication qui l’accompagnent sont une toute autre chose, qui est déjà actée comme un fait acquis. Les USA sont d’ores et déjà entrés dans une ère populiste, quel que soit le futur président, et toute leur politique en sera nécessairement influencée, avec plus ou moins d’intensité et de contrainte selon les domaines, quel que soit le futur président. Cela signifie un certain repli sur soi dans certains domaines qui peut aller jusqu’à un repli sur soi certain, une vision plus nationaliste et plus protectionniste, sinon plus isolationniste.

 En un sens, on pourrait dire que les candidats qui ont servi de véhicule à l’“insurrection populaire” ont déjà gagné la partie sur le plan de l’avancement des mentalités et des psychologies de la direction-Système, donc que l’“insurrection” elle-même a réussi à imposer une nouvelle époque. Cela ne dit absolument rien du sort du Système en général, ni de la composition du pouvoir politique à venir mais cela introduit la perception que d’ores et déjà les USA ont entamé une transition capitale par rapport à l’époque qui se termine avec la fin du mandat Obama.

Cela ne signifie pas non plus, bien entendu et même au contraire, que la bataille est terminée, et le terrible affrontement des présidentielles le montre bien. Nous dirions plutôt que, en quelque sorte, les conditions générales d’une bataille qui a plusieurs niveaux et qui se résume à un affrontement entre Système et antiSystème ont déjà évolué, de façon à ce que cette bataille se poursuive dans des conditions qui sont notablement moins défavorables à toutes les forces et aux impulsions qui figurent dans ce cadre général de ce que nous désignons comme une “insurrection”. Il s’agit là d’un jugement qui s’appuie sur une perception de la communication telle qu’elle apparaît modifiée, et parce que l’establishment, tout en s’opposant farouchement aux antiSystème, est conduite à lâcher du lest dans le sens antiSystème pour pouvoir mieux tenir ses positions contre l’attaque qu’elle subit en tentant de conserver un peu de crédibilité et d’influence par rapport aux électeurs.

Ce qui est assez ironique, c’est que pendant ce temps, les institutions européennes imposent la discrétion la plus grande sur les négociations du traité TTIP, qui a à peu près une année de retard sur le TPP. Dans les couloirs des grands et majestueux immeubles des institutions européennes, la consigne est partout celle du silence et du quasi-secret, comme tout ce qui a caractérisé ces traités. Bien entendu, personne ne réalise que contrairement au TPP, dont le sort est en balance comme on l’a vu, le TTIP, lui, va prendre de plein fouet aux USA le choc de l’“époque nouvelle”, du “nouveau climat” et de l’“insurrection”.

La bureaucratie européenne continue (d’ailleurs comme sa vis-à-vis américaniste), confiante dans l’aboutissement de son besogneux travail, comme toutes les bureaucraties du monde. Elle ne perçoit absolument rien du sort qui attend le TTIP, – idem pour les directions politiques européennes, complètement mésinformées quant à la situation politique et surtout psychologique aux USA. Comme dans diverses autres occurrences, l’Europe est certainement “en retard d’une bataille”, sinon “en retard d’une guerre”. Elle va donc se battre contre son ombre pour imposer un traité qui est déjà mort-né. Les temps vont un petit peu trop vite pour l’Europe postmoderne, qui ne cesse d’affirmer qu’elle est en avance sur tout et sur tout le monde, comme un modèle d’avancement à l’image de la modernité.

 

Mis en ligne le 8 mars 2016 à 16H16

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