Le “règne de la quantité” rit jaune

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Le “règne de la quantité” rit jaune

Un facteur du plus grand intérêt dans l’actuel tourbillon crisique français des gilets-jaunes, c’est celui des chiffres, ou disons plutôt, symboliquement, du chiffre. Il s’agit du facteur quantitatif du nombre des gilets-jaunes en action, tel ou tel jour ; particulièrement, bien sûr et toujours pour le symbole, du chiffre du nombre de gilets-jaunes pour la journée de samedi 17 novembre qui ressemblerait à leur 14-juillet si l’on est friand des symboles et analogies révolutionnaires.

(Au reste, qui sait combien ils étaient le 14-juillet qui fut une journée bien moins décisives que d'autres pour la Révolution Française, et mesure-t-on, à l’aune de la métahistoire, l’intérêt de cette donnée ? Pourtant, cette Révolution-majusculée est bien celle qui adoube le “règne de la quantité” dans le “déchaînement de la Matière. Quoi qu’il en soit, cette remarque renforce l’objet de ces remarques de commentaires, notamment en justifiant l’appel à l’expression Le Règne de la Quantité  renvoyant évidemment au livre fondamental de René Guénon [titre complet : Le règne de la Quantité, ou le Signe des Temps]. C’est à ce niveau que nous voulons situer-hausser ce commentaire.)

Ci-dessous, l’on donne un texte d’une des meilleures sources du domaine fameux du FakeNewsisme, puisque venu de Spoutnik-français. (Décidément, les sources russes en France sont de plus en plus intéressantes.) Ce texte détaille les controverses concernant le nombre de gilets-jaunes en campagne le 17 novembre. Il s’agit principalement d’une contestation des chiffres si étonnamment précis du ministère de l’intérieur (282 710 pour toute la France, on ajouterait presque la formule bien connue de la science précise, – “à la décimale près”) ; et cette contestation du chiffre officiel obtenu dans des conditions invraisemblables de dispersion des gilets-jaune n’est pas rien, elle est tout simplement phénoménale puisque certaines évaluations approximatives disent 1,3 millions de gilets-jaunes

(En l’occurrence, l’imprécision paraît effectivement bien plus loyale que la précision-millimétrique de l’Intérieur, pour une “manifestation” étendue sur toute la France, au travers de l’éparpillement de 2 000 et plus lieux de rassemblement. Cela grandit encore la confiance que l’on peut avoir dans l’attitude des autorités et dans la légitimité de ce gouvernement, – de ce “régime” serait mieux dit.)

Mais ce qui est remarquable tient essentiellement en ces quelques remarques, que chacun peut faire en suivant les commentaires de la presseSystème, et notamment ceux sur les réseaux d’information de l’“étrange lucarne” :

d’une façon générale, les chiffres du ministère de l’intérieur sont pris pour du comptant, comme le font de bons petits soldats habitués à s’aligner superbement sur les consignes du Système ;

pour autant, la valeur relative de ces chiffres (une poussière de % de la population française, disons autour de 0,4%) est très rarement utilisée pour discréditer l’importance fondamentale du mouvement, et quand elle est utilisée dans les divers débats par un intervenant (en général le député-godillot de En Marche ! de service) elle est soit ignorée dans le débat, soit rejetée d’une façon impérative, sinon très critique comme étant implicitement jugée incongrue et de mauvaise foi pour l’argumentation ;

c’est-à-dire, pour notre propos, que l’aspect quantitatif, ce que les communistes nommaient “les masses”, et les libéraux un indice d’une représentativité de leur “pseudo-démocratie”, n’a quasiment aucun rôle, notamment pour s’opposer à l’argument général que l’événement est d’une importance sans égale et sans précédent dans la forme et sur le fond.

Cette situation de déni de l’importance du “règne de la quantité” est parfois intervenue, mais jamais aussi massivement, presque unanimement, et pourtant de la part de commentateurs en majorité acquis en général à la dogmatique de la presseSystème. L’importance du mouvement gilets-jaunes n’est jamais mis en cause, ni contesté ; tout au contraire, les aspects qualitatifs (répartition des points de blocage, souplesse et mobilité du dispositif, etc.) sont sans cesse mis en évidence et la question quantitative est considérée comme une variable d’importance secondaire, faisant même partie de l’évolution tactique (qualitative) du mouvement.

On entend des commentaires impliquant cette relativité du facteur quantitatif (“Aujourd’hui, ils sont 40 000, demain ils seront 20 000, et puis à nouveau plus, et puis samedi grand rassemblement à nouveau car c’est leur ‘jour de la colère’, etc.”). La finalité et le succès du mouvement ne sont en aucun cas mesurés en fonction de ce facteur mais plutôt de la capacité du mouvement à continuer à représenter symboliquement quelque chose comme “la colère du peuple”. L’attitude des observateurs et commentateurs est partagée entre incrédulité et étonnement, curiosité et une certaine considération ; les jugements hostiles et vindicatifs sont assez sinon très rares.

Il n’est bien entendu pas question ici, selon Notre-Méthodologie habituelle, de faire quelque pronostic que ce soit, de parler de “succès” ou d’“échec”, d'appréhender une dissolution ou une décadence du mouvement ou le contraire, la possibilité d'incidents graves, etc.  ; il n’est pas question non plus, justement, de discuter de la “quantité”, – car peut-être étaient-ils effectivement 1,3 millions samedi dernier, ce qui est une “masse” considérable... Il n’est bien entendu question que de marquer cet événement à notre sens considérable de la perception de l’importance d’un mouvement populaire non plus selon sa masse mais selon sa mobilité, sa vitalité en quelque sorte, et aussi et surtout sa capacité notamment par ces divers moyens à s’imposer à la perception comme un symbole d’une très grande puissance d’un phénomène considérable qui est “la colère du peuple” que personne ne songe à vraiment nier. A ce point d'évolution et de transmutation, c'est le référence qualitative suprême.

La chose est née et s’est produite pour cette fois, à l’échelon d’un grand pays comme la France, sans stratagème politique, sans direction d'une minorité “révolutionnaire” du type-bolchevique de l’automne 1917, sans revendication précise, sans aucune idéologie ni parti politique ; la quantité manipulable n’a pas joué de rôle déterminant, au profit de la symbolisation de l’événement qui a aussitôt conquis une place majeure et incontestable dans le système de la communication... Le “règne de la quantité”, symbole même de la modernité, s’en trouve ébranlé, et c’est un événement considérable.  

Ces remarques qui mettent à mal le “règne de la quantité” renforce, pour notre compte, la perception proposée par PhG le 18 novembre et nous confirme effectivement dans la pensée qu’il y a un événement d’une qualité sans égale, quasiment d’une complète unicité, donc effectivement ennemi de la quantité manipulable qui inspire et guide notre monde-Système :

« Je crois que j’ai entendu cette remarque, je veux dire qu’elle ne vient pas de moi mais je ne pense pas que le causeur ait mesuré toute l’importance de la remarque, dans tous les cas comme je la comprends aussitôt pour mon compte ; et je la donne en italique comme une citation exacte car elle m’a assez frappé pour que je sois presque assuré de la restituer mot pour mot : “Jusqu’à maintenant, on disait que la nouveauté était que l’on pouvait décider des manifestations grâce aux réseaux sociaux, mais cette fois la nouveauté c’est que ce sont les réseaux sociaux qui décident eux-mêmes les manifestations.”

» Simplement, je ne crois pas que l’auteur de cette remarque, en la faisant, ait pensé aux “réseaux sociaux” comme à une entité, mais bien comme au foisonnement de ceux qui les constituent et les utilisent. Au contraire, je prends la chose comme une entité, l’entité “les réseaux sociaux”, au singulier de l'Unité primordiale, sans nom, sans visage, sans carte d’affiliation, je veux dire hors du champ de notre politique et de nos agitations et ainsi d’une incomparable puissance.

» Un événement s’est donc produit, venu d’on ne sait où au-delà de nos références courantes... »

Le texte ci-dessous, de Fabien Buzzanca, de Spoutnik-français, est du 19 novembre 2018 (titre original : « Gilets jaunes: “Les chiffres du ministère de l’Intérieur ne tiennent pas la route”»)

dedefensa.org

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Gilets-jaunes contre chiffres du ministre

La guerre des chiffres fait rage. Selon le ministère de l’Intérieur, la mobilisation des Gilets jaunes du 17 novembre a rassemblé 282.710 personnes dans les quelque 2.000 événements organisés à travers le pays. Politiques, syndicats et participants dénoncent une mascarade. Sputnik a recueilli plusieurs témoignages.

« Nous ne pouvons être précis sur les chiffres, mais si nous comptons les personnes présentes sur les différents points de blocage et les personnes présentes dans le cortège, ça avoisinerait les 4.500 participants. Et sans grossir les chiffres ou les minimiser comme le font les médias et le gouvernement pour décrédibiliser le mouvement… »

Cindy n'accorde aucun crédit aux chiffres du ministère de l'Intérieur. Cette mère de famille de 26 ans a coorganisé le blocage de Troyes. D'après le quotidien L'Est-Éclair, 2.000 personnes ont manifesté le 17 novembre dans cette ville de l'Est. C'est bien en-dessous des chiffres avancés par la jeune femme. Ce décalage s'observe dans la plupart des points de blocage des Gilets jaunes.

Que les chiffres du ministère de l'Intérieur et ceux des organisateurs de manifestations divergent pour ce type d'événement n'est en rien une nouveauté. Mais cette fois, l'écart entre les données officielles et certains chiffres avancés sont abyssaux. 282.710 personnes pour quelque 2.000 événements selon la place Beauvau. Pour le syndicat France police- Policiers en colère, cela ne tient pas la route. L'organisation a communiqué le chiffre de 1,3 million de Gilets jaunes dans les rues.

Qui a raison? Difficile de savoir pour Axel Ronde, secrétaire général du syndicat VIGI du ministère de l'Intérieur et de la Police nationale d'Île-de-France. Il pense cependant que les autorités n'auraient pas dû donner un chiffre aussi précis, trop difficile à calculer selon lui. Il a livré son analyse à Sputnik France:

« Il est très difficile de comptabiliser. Les manifestations et les rassemblements étaient très éclatés. Traditionnellement, le comptage se fait sur des parcours. Des fonctionnaires se mettent à plusieurs endroits et comptent les manifestants. On a également de nouvelles technologies qui permettent de calculer par laser. Mais la configuration était très différente cette fois. Ils auraient plutôt dû donner des fourchettes, car je ne pense pas qu'un comptage aussi précis ait pu être réalisé. Surtout que tous les indicateurs sur le mouvement n'étaient pas disponibles. Je reste perplexe sur un chiffre aussi précis. »

Dès la journée du 17 novembre, plusieurs personnalités politiques avaient mis en doute les chiffres du ministère de l'Intérieur. « Les Français découvrent par millions la manipulation des chiffres de participation et la dramatisation à laquelle se livre le Pouvoir à chaque occasion », écrivait ainsi Jean-Luc Mélenchon, le leader de la France Insoumise. Plus tôt, c'est Guillaume Peltier, numéro deux des Républicains, qui remettait en cause les premières estimations du gouvernement: « Il ose annoncer 50.000 manifestants dans toute la France alors que rien que dans mon département de Loir-et-Cher, c'est déjà 2.500 Français en colère mobilisés contre l'hystérie fiscale du gouvernement, selon les propres chiffres de la préfecture. »

En prenant les chiffres officiels et en les divisant par 2.000 rassemblements, l'on obtient 141 manifestants par événement en moyenne. Bien trop peu pour Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France police —Policiers en colère, dont l'organisation a trouvé un million de Gilets jaunes supplémentaires dans la rue:

« Nous avons procédé à partir des remontées qui nous parvenaient de nos collègues militants et sympathisants qui étaient impliqués dans les opérations de maintien de l'ordre sur le terrain. Et d'après ce qu'ils nous ont dit, il y avait plus de points qui rassemblaient des milliers de Gilets jaunes que d'événements qui en comptaient 150. »

Selon le quotidien La Montagne, environ 2.300 Gilets jaunes ont manifesté en Corrèze le 17 novembre. Marine, organisatrice de la manifestation à Brive-la-Gaillarde, a assuré à Sputnik qu'ils étaient 3.000 rien que dans sa ville. Encore une fois, les chiffres ne correspondent pas. Michel Thooris met quant à lui en avant le fait que beaucoup de manifestants ont décidé de jouer les prolongations. De nombreux points de blocage ont été prolongés tard dans la soirée, voire la nuit pour certains. « Un Gilet jaune n'est pas resté sur un point de blocage de 8 h 00 du matin à 3 h 00 le lendemain. Il y a un système de roulement qui s'est mis en place. Selon nos estimations, un manifestant est resté entre quatre et cinq heures sur un point. Cela induit au moins un doublement des effectifs pour les Gilets jaunes », explique le policier. Il prend en exemple le rassemblement qui a eu lieu à Langueux dans les Côtes-d'Armor :

« France 3 parlait de 10.000 manifestants. Je ne suis pas en mesure de vous indiquer le nombre de participants point par point, mais quand on voit qu'un seul rassemblement dans une petite ville au milieu des Côtes-d'Armor a été capable de réunir autant de gens, on voit bien que les chiffres du ministère de l'Intérieur ne tiennent absolument pas la route. »

Alors, plus crédible le chiffre de 1,3 million ? Axel Ronde le juge possible, mais ne s'avance pas :

« Ce sont des chiffres plausibles. Mais tant qu'un organisme indépendant n'aura pas travaillé dessus, il sera très difficile d'avoir de la précision. »

Michel Thooris se défend de toute volonté de faire mousser le mouvement. Il assure que son syndicat a décidé de communiquer son estimation avant tout pour la police : « Nous sommes dans un souci de vérité. Pas pour faire plaisir aux Gilets jaunes, mais pour que les Français se rendent bien compte de la réalité du travail des policiers en matière de maintien de l'ordre et de sécurisation du territoire. Ces chiffres dévalorisent l'excellent travail qui a été fait par nos collègues. » Le syndicaliste avance une explication. D'après lui, le gouvernement souhaiterait minimiser le mouvement:

« Je suppose que les motivations du ministère de l'Intérieur pour minorer les chiffres sont à caractère politique, pour laisser entendre que ce qu'il s'est passé est le fait d'une minorité de Français. Mais ce n'est pas ce que l'on a vécu sur le terrain. »

Axel Ronde se pose lui la question des réseaux sociaux. En effet, le mouvement du 17 novembre et des Gilets jaunes est né sur Internet. Les appels au blocage se sont succédé sur Facebook pendant des semaines et ont réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes qui se disaient « intéressées » par une participation à ces événements. Mais combien sont vraiment descendues dans la rue? Encore une fois, difficile de savoir.

« Il y a aussi la question des gens qui s'étaient inscrits sur les événements publiés sur les réseaux sociaux et qui ne sont pas allés manifester physiquement. Ils étaient tout de même sympathisants. C'est une manifestation qui s'est concrétisée sur la voie publique, mais aussi sur les réseaux sociaux. C'est peut-être une nouvelle forme de contestation derrière son écran de smartphone ou d'ordinateur. Faut-il la prendre en compte? Je pense que oui. Des gens ont participé à la fois physiquement et virtuellement à ce mouvement », explique Axel Ronde.

En attendant, le chauffeur routier Éric Drouet, par lequel tout est parti avec la publication de sa page Facebook « Blocage national contre la hausse du carburant » le 10 octobre, a d'ores et déjà proposé de reprendre la rue. Sa nouvelle page « Acte 2 Toute la France à Paris!!!! » comptait déjà 23.000 participants et plus de 166.000 intéressés. De quoi provoquer une nouvelle bataille des chiffres.

Fabien Buzzanca