La tragédie-bouffe des bombes-postales

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La tragédie-bouffe des bombes-postales

Alors qu’il s’agit incontestablement d’un événement politique aux USA si l’on en juge par l’extraordinaire puissance du courant de communication à son propos, l’affaire des “colis-suspects” ou “colis-piégés”, ou encore aimablement surnommés “bombes-postales” pour faire plus dramatique, constitue une énigme dont il est difficile de saisir le sens et la substance lorsque la chose est considérée objectivement. La dernière nouvelle en date (Sputnik), qui semblerait comme un effort pour mettre un peu de cohérence dans ce désordre insaisissable, est une communication du FBI annonçant : 1) que d’autres bombes-postales sont sans doute en route ou sur le point d’être livrées ; 2) que l’origine de ces bombes postales serait liée à des sites proches de Daesh et d’al Qaïda :

« William Sweeney, un directeur adjoint du FBI, a révélé que davantage de lettres piégées pourraient être découvertes dans les prochains jours. [...] L’enquête a conclu que la conception des bombes envoyées à un certain nombre de personnalités politiques et de personnalités américaines provenait d’un site Web lié à Daesh. Selon une source policière non identifiée de Reuters, les conceptions de bombes similaires sont largement disponibles sur les sites Web et dans les supports de propagande manipulés par les groupes terroristes Daesh et Al-Qaïda. »

L’épisode laisse une curieuse impression de complète frivolité dans le chef des actes qui semblent extrêmement peu élaborés sinon dérisoires puisqu’il s’agit de “bombes” visibles à l’œil nu et quasiment incapables d’exploser, et d’une extraordinaire tension accompagnée d’un déchaînement d’accusations réciproques dans tout l’appareil de communication US ; d’où notre qualification de “tragédie-bouffe” qui ne cesse de s’affirmer comme le modèle significatif des événements dans cette époque d’effondrement du Système et d’intense activité de communication ; et qualification on ne peut plus justifiée puisqu’il s’agit des USA, où le spectacle, le simulacre, la communication faussaire jouent un rôle fondamental.

Un passage d’un texte d’analyse de WSWS.org sur l’épisode restitue, nous semble-t-il, cette sensation intense d’incertitude et de désordre, d’extrême tension psychologique et d’insaisissabilité des actes impliqués. L’effet de communication est infiniment plus important que les actes qu’il prétend décrire ; l’ensemble est accompagné des hypothèses auxquelles WSWS.org est accoutumé (possibilité de l’installation d’une situation d’urgence, de manipulation par la police, etc.), et auxquelles également il semble bien difficile de croire à la possibilité d’en faire une prévision sérieuse tant ce théâtre bouffe et tragique à la fois est plongé dans ce que l’auteur lui-même qualifie d’“instabilité”.

L’extrait du texte du 26 octobre 2018 suit une description rapide des événements, des bombes-postales, des réactions diverses et si nombreuses, etc., bref de tout le puissant “bruit de fond” de la communication qui reprend sempiternellement les mêmes accusations réciproques, insultes, anathèmes, etc.

« ...Ce que l’on peut dire, c’est que les bombes-postales ont été expédiées au milieu des conditions d’un affrontement politique qui fait rage au sein de l’élite dirigeante américaine. L’éventail des soupçons concernant les expéditeurs des bombes-postales et le tumulte médiatique qui en résulte sont remarquables. Moins de deux semaines avant les élections, toutes les autres questions ont été reléguées à l’arrière-plan et soustraites ainsi à l’attention du public : la chasse aux sorcières de Trump contre les immigrés, la complicité américaine avec le meurtre sauvage d'un dissident saoudien par la monarchie médiévale de ce pays, les convulsions de la situation du système financier qui secoue qui secouent les États-Unis et le monde, l’aggravation constante des inégalités sociales et économiques.

» Un aspect peu noté du verrouillage du centre-ville de New York mercredi, à Manhattan, après la découverte de la bombe-postale à CNN, a été la première activation réelle de la prise de contrôle du système de téléphonie mobile par la police, avec un “texto” d’alerte envoyé à toute personne localisée (sur la base de téléphone portable GPS) dans un certain rayon du bâtiment du siège de Time Warner. Le système national d’alerte d’urgence sans fil avait été testé pour la première fois exactement trois semaines auparavant, le 3 octobre.

» La mobilisation massive de la police locale, étatique et fédérale, ainsi que des agences de renseignement et l'hystérie généralisée dans les médias, soulèvent la question suivante : si un tel incident avait lieu à la veille des élections ou le jour du scrutin, l’administration Trump invoquerait-elle des pouvoirs d’urgence pour différer le vote dans certaines régions, voire dans des États entiers, ou même pour annuler l’élection ? Et le parti démocrate et les grands médias se rallieraient-ils autour de la Maison Blanche ?

» Plus tôt cette année, Trump avait tout fait pour que le Congrès approuve l'organisation d'un grand défilé militaire à Washington, qui aurait amené des chars et des voitures blindées dans les rues de la capitale américaine quelques jours seulement après les élections. En l'occurrence, même les républicains du Congrès et les autorités militaires s’inquiétèrent de ce qu'une telle manifestation provoquerait comme éventuelle opposition dans le public et contribuèrent à bloquer l’initiative.

» La trajectoire de ces événements est inquiétante. Les élections américaines se déroulent dans des conditions qui pourraient être décrites comme une “américo-latinisation” de la politique américaine, caractérisée par le déclin extrême des formes démocratiques combinées à des intrigues de palais et à des complots. Trump en a fait un référendum sur lui-même, se présentant comme un dirigeant incontestable et très fortement personnalisé, un prétendu homme fort politico-militaire, délivrant des tirades fascistes à un public en adoration, menaçant ses ennemis de destruction.

» Ses opposants nominaux au sein du parti démocrate ont dirigé toutes les oppositions derrière de puissantes factions de l'armée et des services de renseignement, y compris des personnalités telles que[l’ancien directeur de la CIA] Brennan. Ils ont utilisé la campagne antirusse pour faire pression pour une politique étrangère plus agressive au Moyen-Orient et contre la Russie, tout en exigeant des mesures de plus en plus manifestes pour censurer Internet et bloquer tous les efforts visant à prétendument “semer la division” dans le pays.

» Les deux factions de la classe dirigeante s’appuient sur des couches sociales extrêmement étroites. Alors qu’ils mènent leur guerre de factions interne, ils sont surtout terrorisés par les conséquences de l’aggravation de la crise du capitalisme américain et mondial et de la croissance des inégalités économiques à une échelle sans précédent dans l’histoire moderne, qui a commencé à produire des expressions significatives de la classe ouvrière, de mécontentement et de lutte. Quelques milliers de milliardaires et de multimillionnaires contrôlent efficacement toute la vie politique du pays, y compris les deux partis officiels et les médias.

» Tout cela produit un système politique caractérisé avant tout par une extrême instabilité. »

Le mot “instabilité” définit certainement fort bien le système politique de l’américanisme, comme la situation politique à Washington D.C., qui mérite plus que jamais son surnom de “D.C.-la-folle”. Il doit être aussi utilisé pour caractériser le jugement qu’on peut porter sur ce type d’événements (les bombes-postales). Face à cette instabilité de la perception, de l’évaluation et du jugement, il est bien entendu extrêmement difficile de mesurer la véritable substance politique de l’événement des bombes-postales. Assez curieusement ou d’une façon révélatrice, l’affirmation très business as usual du FBI sur la possible/probable implication de Daesh a eu quelque chose d’un peu décevant (du type “Tout ça pour ça ?”), comme si elle paraissait sans aucun rapport avec la situation politique intérieure US ; d’ailleurs, cette explication n’a guère soulevé d’intérêt ni retenu beaucoup l’attention jusqu’ici. En d’autres mots, il est très difficile aux acteurs hystériques de la crise de “D.C.-la-folle” d’imaginer qu’un tel événement, qui a sa véritable importance à cause des réactions démesurés qu’il a soulevées, puisse avoir son origine dans une source qui n’est pas directement impliquée (d’une façon naturelle ou selon un montage type-falseflag) dans la folle querelle politique en cours aux USA.

La crise du pouvoir américaniste est absolument prédatrice de tous les événements qui l’approchent ou qui prétendraient influer sur elle du dehors. La puissance de la communication est telle que toute cette sorte d’événement est automatiquement transmuté en autant d’arguments qui doivent pouvoir trouver leur place dans ce qui a déjà été déployé et répété dans la querelle interne. On l’a vu avec Trump, dont le premier réflexe lorsque les premières bombes-postales ont été découvertes mercredi a été d’en appeler à un rassemblement unitaire et national de toutes les factions, pour aussitôt retrouver lors d’un meeting électoral qui a suivi ses habituelles attaques contre la presseSystème accusée d’être la véritable provocatrice de cette sorte d’actes. Même chose du côté démocrate, où il a semblé qu’Hillary Clinton appelait à un retour de la “civilité” à l’intérieur des jeux du pouvoir, avant qu’on ne s’aperçoive que cet appel était conditionné à un retour des démocrates en position de pouvoir (du type “si nous gagnons les élections, il y aura un retour à la civilité”).

L’épisode des bombes-postales ne fait que confirmer le complet isolationnisme de la crise interne à “D.C.-la-folle” (sorte d'isolationnisme crisique de type psychologique), même si les références à l’extérieur sont évidemment utilisées (la suggestion d’un invité à un talk-show de MSNBC que l’affaire des bombes-postales pourrait avoir été montée par... les Russes, who else ?). Le système de l’américanisme développe sa crise interne sans aucun frein ni interférence extérieure, en maniant comme principal instrument le système de la communication (cela correspond parfaitement à la nature d’“empire de la communication” que sont les USA dès l’origine), en utilisant les armes de la diffamation, de la dénonciation publique et du lynch psychologique, der la chasse aux sorcières des puritains originels, des injonctions à s’aligner sur le conformisme à diverses narrative instituées par les uns et les autres.

C’est assez nouveau, certainement par l’intensité exclusive, dans la marche des évènements à Washington, par rapport à ce qu’il en était (au moins depuis 1945) avant l’instauration du régime-“D.C.-la-folle” ; on pouvait alors envisager, comme nombre de politiciens et particulièrement des présidents en firent usage, qu’un événement extérieur, éventuellement provoqué dans ce but, détournât l’attention des affaires internes et forçât à un alignement unitaire. Désormais, il semble que ce ne soit plus possible. Il est de plus en plus probable que cette crise ne pourra pas être résolue par ce qui pourrait s’apparenter à un compromis ou un apaisement d’elle-même ou selon des pressions extérieures, qu’elle sera conduite selon sa propre logique interne à son terme qui ne peut être conçu que comme catastrophique d’une façon ou l’autre.

 

Mis en ligne le 26 octobre 2018 à 17H05

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