La fréquence Trump

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La fréquence Trump

Comme ces animaux qui émettent des sons inaudibles pour l'oreille humaine, Donald Trump ne peut apparemment être “capté” par certains, notamment l'establishment médiatique incarné au sommet par le NY Times, qui se propose constamment de le “décoder” mais n'en fait jamais rien en réalité. Même le brillant Paul Krugman qui analyse très bien la responsabilité du Parti républicain dans la montée de Trump est apparemment sourd à la “fréquence Trump”, contrairement aux 43% d'américains supposés abrutis qui se disent désormais prêts à l'élire président. La surdité affecte aussi la classe politique mondialiste, si l'on en juge par la récente montée au créneau d'Obama et de Hollande contre le candidat Trump. Surdité réelle ou gesticulations désespérées de gens qui ont fort bien entendu, en vérité, mais que Trump piège par son discours? En effet, le dénoncer n'est possible qu'en se dénonçant soi-même. Trump est un génie de l'émission à basse fréquence. Trop “bas” pour l'intelligentsia, il est néanmoins et c'est heureux, fort bien “capté” par les masses.

Ce qui se confirme de plus en plus clairement au fil des jours (notamment grâce à la panique induite par le Brexit et la nomination de Trump comme candidat qui ont fait sortir le loup du bois) c'est l'existence avérée de ce qu’on pourrait désigner comme une “Internationale-Système” (comme assemblage antagoniste de ce que  Philippe Grasset désigne sur le présent site “l’Internationale-antiSystème”), laquelle transcende évidemment, non seulement les frontières, mais encore les lignes politiques officielles et les partis. Cette internationale, qui inclut en gros toutes les structures de pouvoir occidentales actuelles, plus quelques relais dans le reste du monde, continue à produire et à matraquer via les médias officiels et les pseudo médias alternatifs, un “narrative” (un “récit”, un système de valeurs, de représentations et d'explications du monde) qui se décolle jour après jour du réel, sous nos yeux dessillés.

Le discours de Trump est génial, parce qu'il se glisse comme un coin d'acier dans ce décalage; par conséquent, l'attaquer à la racine, c'est à dire expliquer pourquoi, et surtout pour qui Trump est réellement dangereux, c'est dire qu'on est sa cible, c'est signaler le décalage, et c'est l'augmenter.

A un premier niveau, Trump a introduit une surenchère dans la rhétorique démente du Parti Républicain sur des thèmes comme l'immigration, le terrorisme islamique, le droit au port d'armes. Il a également tapé dans la source de ressentiments profond de l'électorat conservateur en fracassant le politiquement correct, notamment en ce qui concerne les femmes.

C'est la surenchère de Trump sur ces thèmes (construction d'un mur entre le Mexique et les US, interdiction d’entrée sur le territoire aux musulmans, allusions à peine déguisées aux diffamations des médias de droite sur Obama, le “crypto-musulman” et potentiel traître) qui est constamment mise sous les feux des projecteurs, abondamment commentée, et qui sert à ses détracteurs pour crier “au loup”: c'est d'autant plus jubilatoire quand ça vient des pâles andouilles éclipsées par Trump au sein du Parti Républicain, parti qui a lui-même usé et abusé de ces thèmes bien avant qu'il n'arrive sur la scène.

Quant au “camp prétendument d'en face”, les Démocrates, Obama en tête, ils ont permis aussi à Trump de s'insérer dans le décalage entre récit et réel en trahissant les promesses de campagne d'Obama sur l'intervention en Irak et plus généralement au Moyen-Orient. Trump ne cesse d'attaquer à mots couverts Hillary Clinton là-dessus, et il a raison car on sait ce qu’a fait Clinton comme Secrétaire d'Etat, on sait ce qu'elle fera ou tentera de faire si elle est élue: continuer la politique de destruction des pays souverains commencée par les Cheney, Rumsfeld et Wolfowitz sous la marionnette Bush. Le marketing “humaniste” du parti démocrate sur des thèmes comme les droits des minorités ethniques ou sexuelles peine à compenser l'effet désastreux des révélations qui s'accumulent sur la vraie personnalité et le passé de la “faucon” “Killary”, responsable d'horreurs en Lybie et prête à démolir la Syrie (et l'Iran ensuite) si l'on en juge par ses emails fuités.

Trump, en définitive, ne devrait pas inquiéter les masses: nous savons désormais, grâce à ceux qui l'ont précédé, que le discours politique de ceux qui ont une chance d'accéder au pouvoir ne peut plus se traduire par des actes en rapport avec ce discours, surtout s'il est “humaniste”. Les politiques réellement menées sont “hors discours”, ou du moins obéissent à un script qui n'est pas explicite (en admettant même qu'il soit conceptualisé et compris par ses acteurs). Le discours politique ne vend plus que des représentations, et chacun s'attend désormais à ce qu'il ne soit pas suivi d'effets, ou suivi d'une politique totalement inverse. En clair, ce que fera Trump s'il est élu, a toutes les chances de n'avoir pas grand’chose à voir avec ses projets tels qu'énoncés actuellement.

C'est peut-être une évidence, mais elle est bonne à rappeler dans le contexte de diabolisation du personnage: Trump, lui, n'a jamais tué personne. Il faut bien, pour comprendre sa stratégie, avoir en tête la distinction fondamentale entre les mots et les actes. Qualifié de “nazi” par des libéraux quasi-hystériques, c'est un homme dont la violence est purement verbale, et dirigée en dernière analyse contre un discours, non contre des gens. Il mène une guerre en réalité entièrement sémantique contre un discours politique vicié qu'il va finir par tuer par l'excès même. On ne pourra plus jamais faire “pire” que Trump dans ce domaine. Il est truculent, impertinent, iconoclaste, mais j'avoue qu’il n’est jamais vraiment parvenu à me choquer, car j’ai compris qu'il est dans une sorte de second degré, et qu’il s'agit avant tout chez lui de figures de langage visant un but global plus que légitime (Je pense notamment à sa remarque sur la journaliste qui devait être à la “mauvaise période du mois” quand elle l’avait taclé, remarque dont la bien-pensance clintonienne s'était évidemment emparée, elle qui markète Clinton au motif qu'elle est une femme...)

Mais encore et surtout il est en guerre verbale contre un “récit” du monde fallacieux, cynique et assassin dans les faits. Cette surenchère de Trump est l'unique moyen de sortir, par l'excès même, par le haut si l'on peut dire, d'un discours politique devenu fou à droite, et trop visiblement, cyniquement divorcé de la réalité à gauche. On n'en peut plus sortir par le bas, c'est à dire en revenant à un discours raisonnable, réaliste et “centriste” sur les problèmes ethniques et sociaux, qui d'ailleurs n'en sont pas. L’électorat républicain s'est radicalisé, notamment depuis qu'une flottille de médias de droite (Fox News étant le navire amiral) se sont affranchis de la “Fairness Doctrine” (1) et abreuvent à tout va leur audience de représentations du pays et du monde littéralement paranoïaques – et naturellement anxiogènes.

Pour toucher son électorat, Trump émet sur une fréquence “réelle” c'est à dire qu'il recycle un discours faux, qu'il utilise les formes de ce discours, pour dire le vrai. Il renoue avec le fond de vérité que le discours a détournée, inversée. Il le flingue, non seulement par l'excès, comme je l'ai dit plus haut, mais de l'intérieur. C'est magistral. C'est imparable, car si on veut vraiment analyser ce qu'il dit (ou plutôt sous-entend, car le sous-entendu est le fondement de sa communication) on est obligé de le dire explicitement. Et son critique devient ipso facto son interprète. Le fait que pas un seul “expert” ne se soit risqué à vraiment décoder ce que dit Trump jusqu’au bout me confirme qu'il a touché juste. Et ils le savent. Cela m’ôte mes derniers doutes et complexes de conspirationniste.

Sa montée dans les sondages, qui le fait passer cette semaine devant Clinton, ne s'explique pas autrement. Il s'est adressé aux gens par-dessus la cacophonie médiatique malveillante, comme par-dessus la bien-pensance libérale peut-être sincère mais sourde et égarée, et chacun de ses messages, parfaitement reçus sur la bonne fréquence par le public “abruti”, lui a fait gagner des points là où l'establishment était certain qu’avec ce dernier propos outrancier, ça y était, il avait fini par se griller (et de reproduire et de commenter à l'envi la déclaration qui allait enfin “tuer” la candidature de Trump).

Allons-y pour le décodage de Trump, étant entendu qu'il ne faut pas, pour le comprendre, saucissonner ses propos, mais aborder son message comme une message global, où tout est relié. Ce qui a l’air d'une connerie dans le détail, est en réalité le fragment d’une vision qu'il a sur le monde actuel et sur son pays. Vision qui est dans l'ensemble juste: les Etats-Unis sont menés par une bande de mafieux et de divorcés du réel, des “zombies” qui les entraînent tambour battant au désastre, et le reste du monde en souffre. Qu'il soit capable ou non de transformer cette perspective en politique cohérente est totalement secondaire. La plus importante contribution de Donald Trump à l'évolution des US, c'est maintenant qu'il est en train de la faire. Et je crois qu’il le sait.

Je commence par le code qu'il fournit constamment pour que son auditoire réel le comprenne, mais qui est invariablement retourné contre lui comme étant une dérobade, par les médias libéraux. C'est en partie une dérobade d'ailleurs: Donald Trump ne peut pas être explicite sur sa politique future, ni sur ce qu'il veut vraiment dire dans ses dénonciations. C'est strictement impossible. Il faut qu'il prenne les gens là où ils en sont, là où ils peuvent suivre.

Quand on le somme de s'expliquer sur certains propos, Donald Trump dit: “I’ll let people figure that out for themselves”. (En gros, “comprend qui peut” ou “que les gens comprennent tout seuls”.)

Le discours politique et institutionnel ayant été littéralement confisqué, asservi sans espoir de remède à des représentations politiquement utiles mais fallacieuses et toxiques, non seulement il refuse de l'employer, mais encore il souligne qu'il ne faut pas tomber dans ce piège, et signale par ce propos qu'il a confiance dans le jugement des gens.

Passons maintenant à la substance:

Voyons les propos de Trump quelques jours après la fusillade de San Bernardino, attribuée à des Daeshistes, le 2 décembre 2015. C'est là qu'il a évoqué l'interdiction temporaire d'entrer sur le territoire des EU pour les musulmans. Laquelle est strictement inapplicable pour des raisons pratiques évidentes, et Trump le sait. La déclaration avait un tout autre objectif que de préparer une politique de discrimination religieuse appliquée à l'ensemble d'une confession. Son but était d'envoyer un signal de basse fréquence aux masses sur la signification que Trump voit aux attentats “islamistes” commis aux US et ailleurs. Voici ce qu'il a dit:

“Until we are able to determine and understand this problem and the dangerous threat it poses, our country cannot be the victims of horrendous attacks by people that believe only in Jihad, and have no sense of reason or respect for human life (…) Shariah authorizes such atrocities as murder against non-believers who won’t convert, beheadings and more unthinkable acts that pose great harm to Americans, especially women, (...)Without looking at the various polling data, it is obvious to anybody the hatred is beyond comprehension. Where this hatred comes from and why we will have to determine.”

Les phrases les plus significatives de cette citation sont la première et la dernière, qui se font écho. Ceux qui n'y ont vu qu'une précaution oratoire laissant entendre que cette interdiction serait temporaire, précaution destinée uniquement à adoucir la brutalité de la mesure, sont passés à côté de la “fréquence Trump”: “Jusqu'à ce que nous soyons en mesure de déterminer et de comprendre le problème et la dangereuse menace qu'il présente pour notre pays”, dit-il, puis il ajoute : “D'où cette haine provient, et pourquoi, il nous faudra le déterminer”.

Je cite également ses propos rapportés au style indirect dans l'article du Guardian:

“Another Trump staffer confirmed that the ban would also apply to American Muslims who were currently overseas – presumably including members of the military and diplomatic service. ‘This does not apply to people living in the country,’ Trump said in an interview on Fox News, ‘but we have to be vigilant.’”

En clair, il ne s'agit pas de persécuter les musulmans citoyens américains ou résidents actuellement sur le territoire des EU, mais en revanche, seront soigneusement examinés à leur retour les musulmans américains qui sont actuellement à l'étranger, dont les personnels militaires et diplomatiques.

C'est pour le moins étrange comme déclaration, avouons-le.

Pour moi (et pour les électeurs prospectifs de Trump aussi, sans nul doute) il est tout simplement en train de dire, en gros: ces attentats jihadistes sont plus que louches, leur origine est dans un conflit au Moyen-Orient dont il faudra que nous éclaircissions les tenants et les aboutissants, y compris par une enquête interne sur le rôle exact du gouvernement américain là-dedans. En attendant, tous les mariolles musulmans que la CIA et le Pentagone nous importent joyeusement avec passeports, visa, etc... sans contrôle doivent être bloqués à l'entrée”.

Avec la fusillade d'Orlando en juin 2016, l'accusation voilée de Trump envers le gouvernement concernant un attentat sous fausse bannière se précise. Rappelons qu'Omar Mateen, le “patsy” d'Orlando, qui plus que probablement n'a pas commis l'attentat mais a été descendu sur place avec les autres pour porter la bannière ensuite, était un homosexuel Afghan dont le père dirige un ex futur-gouvernement Afghan en cours de montage dans une pépinière à fantoches de la CIA. Donc bon.

Voilà ce que Trump a dit au sujet d'Obama en rapport avec la fusillade d'Orlando sur “Fox and Friends” : “Look, we're led by a man that either is not tough, not smart, or he's got something else in mind... and the something else in mind — you know, people can't believe it. People cannot, they cannot believe that President Obama is acting the way he acts and can't even mention the words 'radical Islamic terrorism.' There's something going on. It's inconceivable. There's something going on.” (“Ecoutez, nous sommes dirigés par un homme qui soit est un mou et un idiot, soit a quelque chose d'autre en tête... Et ce quelque chose d'autre... vous savez les gens n'arrivent pas à le croire. Les gens ne peuvent pas, ils ne peuvent pas croire que le Président Obama agit comme il le fait, sans être capable de parler de “terrorisme islamiste extrémiste”. Il se passe quelque chose. C'est inconcevable. Il se passe quelque chose.”)

Dans la même interview, exigeant la démission d'Obama, il ajoute: "He doesn't get it or he gets it better than anybody understands — it's one or the other, and either one is unacceptable." (“Soit il ne comprend rien, soit il comprend mieux que personne. C'est l'un ou l'autre, et l'un comme l'autre sont inacceptables”).

En surface, au premier degré, ces propos reprennent, en les adaptant à la situation du moment, une ligne de communication “classique” des médias conservateurs extrémistes sur laquelle se sont appuyés nombre de politiciens du Parti Républicain depuis le début de la présidence Obama (voir article de Krugman) à savoir que le Président est en réalité un musulman et un traître à la patrie – au mieux un noir qui roule pour sa communauté et déteste les américains blancs. C'est une communication qui fonctionne très bien avec une grande partie de l'électorat, c'est certain, mais l'argument est éculé, il a déjà servi, et Trump n'a nullement besoin de le rappeler à un groupe de votants qui lui est déjà acquis quoi qu'il en soit.

Le vrai sens de cette déclaration est ailleurs. Il ne s'agit pas d'accuser Obama d'être un salafiste qui favorise les attentats sur le sol américain pour y importer l'Islam radical. Personne ne peut sérieusement croire ça, pas même les blancs chrétiens les plus radicaux (j'en connais personnellement et on en discute).

Il s'agit clairement pour Trump de dénoncer, au mieux une complicité de l'état avec des attentats sous fausse bannière à visées politiques et géostratégiques très néfastes aux intérêts à terme du peuple américain, au pire de dire à demi-mot que l'état américain les organise lui-même.

“Il se passe quelque chose...”

Les Américains étant à juste titre de plus en plus méfiants, de plus en plus enclins à se fier aux réseaux sociaux plutôt qu'aux médias institutionnels pour leur information, et pour tout dire de plus en plus conspirationnistes, pas étonnant que le Donald monte en puissance.

Anne Guerrier

(A suivre)

 

Note

(1) La “Fairness Doctrine” oblige théoriquement les médias financés par l'argent public à présenter tous les points de vue sur un problème. Brillant article à ce sujet de Kevin Baker pour comprendre les dérives idéologiques et médiatiques du parti Républicain, le parti “délocalisé”.

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