Errol Flynn et les destins glorieux du général Custer

Les Carnets de Nicolas Bonnal

   Forum

Il y a 2 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 1477

Errol Flynn et les destins glorieux du général Custer

“Upon my soul, Madam, you make me regret that unchivalrous age.”

On l’a adoré ce film, parce qu’ils vont volontaires vers la mort, et qu’on les voit enfin se faire massacrer. On l’a adoré parce que les parques filent bien le destin du phénomène, dès l’arrivée à West Point, avec aussi la nomination factice et le rabbit foot. Enfin on l’a adoré ce film parce qu’il célèbre la grande victoire de la nation sioux. Film sur la magie de la destinée et la préférence donnée à la gloire sur le train de la vie paresseuse et matérielle. Comme dit Ken Watanabe dans le Dernier samouraï, la mort de Custer était une bonne mort !

Good death, general…

Film splendide, protéiforme, confus et brouillon, comme bien des Walsh dont le génie débordant s’accommode mal d’une morale, même hollywoodienne. Il est à la fois humanitaire, antialcoolique, antiraciste mais aussi belliciste, provocateur et affairiste ! Ce film féministe aussi célèbre la résignation féminine (« mon mari est parti mourir pour la patrie… »). Le personnage évoque nos mousquetaires : George Armstrong Custer the First est un être bellâtre, aristo, élégant, capricieux, batailleur, il ne lui manque plus que notre Alexandre Dumas pour devenir aussi populaire que notre d’Artagnan. Mais ne l’est-il pas ?

Chevaleresque et suicidaire, l’acteur australien Errol Flynn fête aussi la patrie comme volonté d’aller mourir ensemble, et pas de vivre ensemble. « On paie ses impôts et puis on va se faire tuer à la frontière » comme disait Hippolyte Taine du français patriote de son siècle. Homme à tout faire de la tentation impériale anglo-saxonne, Errol Flynn fit le coup dans la Charge de la brigade légère, dans Capitaine Blood (mourir pour le roi mais seulement s’il est protestant), dans le très bon Aventure en Birmanie, toujours de Walsh. La grande époque du prêcheur militariste et suicidaire Errol Flynn est liée comme on sait à deux grands réalisateurs : Michael Curtiz, incomparable as hongrois sous-estimé dans les histoires du cinéma, le seul homme qui m’ait fait aimer la Marseillaise (dans Casablanca bien sûr) ; et Walsh que nous mettons nous au-dessus de tout, à l’instar d’un Marmin ou d’un Skorecki (Louis, qui nous fit tant rire dans ses Chroniques de Libé).  Flynn a illustré la montée en puissance à Hollywood du bellicisme impérial à la fin des années trente et au début des années quarante. Avec son physique d’escrimeur, d’aristo et de cavalier, il était bon pour toutes les provocations militaires. Derrière le sourire, les galipettes et le swashbuckling (swashbuckling : engage in daring and romantic adventures with ostentatious bravado or flamboyance), l’argent britannique et la volonté d’en finir avec America First et l’isolationnisme américain. Autant le rappeler tout de même.

Le Custer présenté ici n’a pas grand-chose à voir avec le phénomène original. Son destin évoque la phrase fameuse et définitive d’Edmond Burke : 

The age of chivalry is gone.

On cite tout le passage, tant il est beau et clair en français :

« I should have lived to see such disasters fallen upon her in a nation of gallant men, in a nation of men of honour and of cavaliers. I thought ten thousand swords must have leaped from their scabbards to avenge even a look that threatened her with insult. But the age of chivalry is gone. That of sophisters, economists; and calculators has succeeded; and the glory of Europe is extinguished forever… »

Si la gloire de l’Europe s’éteint, du coup la gloire de l’Amérique pouvait naître sur fond de chevalerie initiatique et de grands espaces. Comme dit sa femme, la délicieuse et sacrificielle Oliva de Havilland 

« Inactivity id doing something to him.”

Eh oui, on en revient toujours à Chrétien de Troyes, quand il parle des surhommes militaires : qui ne se meut devient songeur !

On relit Vigny alors si essential pour comprendre Custer – version Fonda ou version Flynn :

« J’appartiens à cette génération née avec le siècle, qui, nourrie de bulletins par l’Empereur, avait toujours devant les yeux une épée nue, et vint la prendre au moment même où la France la remettait dans le fourreau des Bourbons… Les événements que je cherchais ne vinrent pas aussi grands qu’il me les eût fallu. »

Vigny ajoute :

« Chaque année apportait l’espoir d’une guerre ; et nous n’osions quitter l’épée, dans la crainte que le jour de la démission ne devînt la veille d’une campagne. Nous traînâmes et perdîmes ainsi des années précieuses, rêvant le champ de bataille dans le Champ-de- Mars, et épuisant dans des exercices de parade et dans des querelles particulières une puissante et inutile énergie. »

Le film de Walsh débute par une parade de Custer en effet à West Point. Il arrive avec ses chiens de chasse et prend ses aises comme un grand seigneur – comme on sait son père d’origine allemande était simple forgeron. Il a un modèle, notre maréchal Murat qui prône la charge en direction du bruit et des fusils ! Un officier lui reproche d’être harnaché comme un amiral français (Custer aurait guerroyé aussi contre la France au Mexique !). Son personnage se reverra sous la forme du sudiste, érudit et rebelle Patton, dans le film de Franklin G. Schaffner écrit par un Coppola alors jeune et génial.

Le film fourmille de trouvailles grandioses comme toujours chez Walsh : la vitesse de circulation de l’information (Custer écrivait des articles, construisant sa légende); les personnages secondaires et rédimés, comme le militaire dévoyé-trafiquant Sharp (notre cher Arthur Kennedy) et California Joe, resucée des personnages édentés à la Walter Brennan. Et cette sorcellerie qui attire sa jeune fiancée avec les feuilles de thé, la servante noire et le destin étonnant. Le film bascule parfois dans un genre bien français, le genre héroï-comique du Grand Siècle. On nage dans Scarron, Sorel, Fracasse et par tous les pores on refuse cet embourgeoisement, dût-on en mourir les bottes au pied.

They died with boots on, didn’t they?

Car ce film sur le destin est plein de signes, de manifestations superstitieuses. C’est le fond de l’amour magique qui relie Custer à sa Libby. Reprenons le slogan de la domestique afro-américaine comme on dit :

Brother rabbit, work your charm

And keep that big boy out of harm!

On a le lapin (le rabbit foot reviendra avec Mission impossible des décennies plus tard) et on a même une chouette spécialement inspirée par Walsh – qui comme tous les grands cinéastes doit avoir une espèce de « mana » pour commander aux animaux et aux éléments lors d’un tournage essentiel (Annaud m’en a parlé). Walsh commande même à la mer, disait justement Robert Chazal à propos du magique Monde lui appartient.

Plus loin on met même en garde :

– Do I have to drink the tea every time?

– If you want the fortune to come true.

– That's the fourth time today I done read the tea leaves.

Dans notre livre sur le paganisme, nous avions cité Freud à propos un grand personnage oriental, le chasseur Dersou Ouzala. Et cela donnait :

« L'analyse de ces divers cas d'inquiétante étrangeté nous a ramenés à l'ancienne conception du monde, à l'animisme, conception caractérisée par le peuplement du monde avec des esprits humains, par la surestimation narcissique de nos propres processus psychiques, par la toute-puissance des pensées et la technique de la magie basée sur elle, par la répartition de forces magiques soigneusement graduées entre des personnes étrangères et aussi des choses (Mana), de même que par toutes les créations au moyen desquelles le narcissisme illimité de cette période de l'évolution se défendait contre la protestation évidente de la réalité. »

C’est dans son magnifique texte sur l’inquiétante étrangeté. Cette expression explique la femme de Custer comme le général lui-même : « la surestimation narcissique de nos propres processus psychiques, par la toute-puissance des pensées et la technique de la magie basée sur elle. »

Dans le film aussi Elizabeth-Libby donnait à Custer la chaîne de son père pour chaque bataille. Elle est rompue par le héros au moment de la mort. Custer refuse de l’emporter pour sa mortelle bataille. Le rituel de sacrifice commun à tant de film d’Errol Flynn est ici fondé : il doit faire souffler les troupes malmenées des généraux Terry et Brook. Et c’est lui l’antiraciste pro-indien (la réalité était tout autre, mais qu’importe ?) qui va se sacrifier pour sauver des troupes « blanches » (avec pas mal de volontaires sioux d’ailleurs) menacée par l’ire indienne. On rappelle que cette colère vient de la pseudo-trouvaille d’or dans les Colline noires qui nous enchantaient enfant quand nous lisions Lucky Luke (Lucky Luke reste un excellent moyen de connaître l’Ouest et on ne rendra jamais assez hommage au talent de Goscinny).

Obsédé par la gloire, convaincu de sa destinée manifeste, Custer provoque aussi le destin : il est impatient, il crée l’occasion, il frappe ses supérieurs, il vole leur cheval (celui du sinistre Taipe, sa Nemesis, futur complice des trafiquants), il se mêle au sens propre de leurs oignons. Il  est en effet friand d’oignons Bermudes comme Murat, et c’est comme ça qu’il séduit à table son protecteur le général Scott (a powerful-eating gentleman, comme Balzac) que sa femme ira voir plus tard. Les oignons importent dans ce film, alors rappelons avec le dico des symboles de Chevalier-Gheerbrandt qu’il est lié à la fin de l’ego, à l’expérience de la vacuité (selon Ramakrishna en personne !), mais aussi à la puissance vitale. L’oignon a même des vertus aphrodisiaques, ce qui ne se voit pas à l’écran…

Le film de Walsh pétille et frétille. Il évoque Fort Apache de Ford tourné sept ans plus tard, moins pêchu, moins pointu mais plus régulier. Walsh face à Ford, c’est le Frère Jean des Entommeures de Rabelais face au clergé régulier… De temps en temps comme on sait Howard Hawks les met tous d’accord. Comme disait le critique madrilène José-Luis Garci, c’est le même trio qui se confrontait à l’époque des papes de la Renaissance et qui avait nom Léonard-Raphael-Michel-Ange…

Un dernier point d’admiration : la chanson Garyowen jouée et chantée par le « bally yankee » Butler, personnage explosif jouée par un acteur méconnu et qu’on ne voit pas trois minutes. La gradation est marquée par le piano, puis l’accordéon puis l’assortiment fifre-trompette. Mais dans le même temps, me fait remarquer ma femme chef-choriste, on descend de grade : on a eu les officiers supérieurs du Fort autour de Custer et de Butler, puis on voit les sergents et les sous-officiers Aucun clip nous a jamais fait cet effet. C’est que la musique obéit à Walsh aussi alors ?

On passe pour finir le relais à Philippe Grasset qui se surpasse pour nous expliquer pourquoi les jeunes indiens déifient Dumas devant leur télé dans Slumdog millionnaire :

« Il y a une telle place accordée à l’honneur et une telle désinvolture chaleureuse, et une telle fermeté désinvolte dans l’exercice de la vertu de l’honneur, il y a un tel sens constant dela tragédie qu’est le destin du monde (et l’honneur est là pour en apprécier mieux les vertus),et une telle légèreté pour aborder les contraintes de la tragédie ainsi sans jamais laisser soncaractère y céder par l’abaissement de l’émotion, que cette époque-là nous paraît, à nous gensde la modernité, d’un autre univers, d’une autre âme littéralement, – l’époque de la qualité qui ignore la quantité, l’époque du caractère individuel qui n’acquiert ses vertus que dans le sens d’une collectivité marquée par l’honneur, dans le sens de l’art de vivre qui est celui du héros, qui est l’art de vivre la tragédie du monde. »

Donations

Nous avons récolté 1525 € sur 3000 €

faites un don