“D.C.-la-folle” versus Pékin, plein pot

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“D.C.-la-folle” versus Pékin, plein pot

L’intervention il y a deux jours du secrétaire US au Trésor Steven Mnuchin contre la Chine marque une forte incurvation de la politique de l’administration Trump, et de la politique US en général, sur une voie de confrontation avec la Chine. Mnuchin reprend une idée générale à Washington D.C., y compris chez Trump lui-même, de sanctions contre la Chine à cause du refus de ce pays de cesser toute relation commerciales et économiques avec la Corée du Nord, avec la menace complémentaire de mêmes sanctions contre d’autres pays effectuant ces mêmes transactions avec la Corée du Nord. Il est possible que, dans la foulée, comme le laissent entendre les voix les plus extrémistes dans l’establishment US, les USA envisagent même un troisième stade de “sanctions secondaires” contre des pays commerçant avec la Chine si la Chine n’obtempère pas aux consignes US de rupture complète avec la Corée du Nord et soit effectivement l’objet de sanctions. Il s’agit d’une offensive majeure d’offensive politique se muant en une guerre commerciale d’hégémonie totale des USA, – en théorie bien entendu, la pratique pouvant conduire à des résultats désastreux bien entendu, y compris et d’abord pour les USA eux-mêmes bien entendu.

Dans le détail, Mnuchin menace la Chine aussi bien de mesures d’embargo sur le commerce avec elle, que d’exclusion complète de la Chine du système financier international US (le système SWIFT), c’est-à-dire impliquant l’abandon de l’utilisation du dollar. (Rapport de RT-USA, du 12 septembre 2017.)

« “North Korea economic warfare works,” Mnuchin said Tuesday at the Delivering Alpha Conference in New York City. “We sent a message that anybody who wanted to trade with North Korea – we would consider them not trading with us.”  The Treasury Secretary echoed the words of the US envoy to the UN, Nikki Haley, by calling the fresh round of sanctions against Pyongyang “historic.” Mnuchin added “if China doesn’t follow these sanctions, we will put additional sanctions on them and prevent them from accessing the US and international dollar system.”

» Washington has, so far, been reluctant to impose economic sanctions on China over concerns of possible retaliatory measures from Beijing and the potentially catastrophic consequences for the global economy. Washington runs a $350 billion annual trade deficit with Beijing. China also holds $1 trillion in US debt, which amounts to 28 percent of US Treasury bills, notes and bonds held by a foreign government.

» US lawmakers, however, seemed to be more inclined to exert pressure on Beijing and other countries striking deals with Pyongyang as they demand a “supercharged” response to North Korea’s nuclear tests, including imposing sanctions on companies from China and any other country doing business in North Korea. “I believe the response from the United States and our allies should be supercharged,” said Ed Royce, chairman of the House of Representatives Foreign Affairs Committee during a hearing Tuesday.

» “We need to use every ounce of leverage... to put maximum pressure on this rogue regime,” he said, adding that “time is running out.” Royce also called on Washington to target major Chinese banks, including the Agricultural Bank of China and the China Merchants Bank for dealing with Pyongyang. He also said China was apparently reluctant to follow through on the sanctions adopted by the UN Security Council (UNSC) against the North. “It’s been a long, long time of waiting for China to comply with the sanctions that we pass and, frankly, with the sanctions that the United Nations passed,” he said.

The committee chair went on to say the US could give Chinese banks and companies “a choice between doing business with North Korea or the United States.” He added that the US should also “go after banks and companies in other countries that do business with North Korea the same way.”Committee members also expressed unease over the fact that the sanctions imposed on North Korea have so far been ineffective in preventing Pyongyang from developing its nuclear and missile programs. “We’ve been played by the Kims for years,” Republican Representative Ted Poe said, referring to North Korean leader Kim Jong-un and his predecessors, as reported by Reuters.

Ce qui est remarquable dans ce cas chinois, c’est qu’à peu près toutes les factions du pouvoir aux USA, qui s’affrontaient jusqu’ici à Washington D.C. (“D.C.-la-folle”) et continuent d’ailleurs à s’affronter dans d’autres domaines, sont sur la même partition. Le discours de Mnuchin est proche de celui de l’ambassadrice US à l’ONU Halley, qui est sans doute la plus catastrophique nomination de l’administration Trump puisque cette dame, ex-gouverneur qui aurait des ambitions présidentielles, ajoute une exceptionnelle médiocrité dans sa stupidité naturelle à l’aspect primaire de son orientation idéologique de type neocon au tout premier degré ; ce même discours de Mnuchin ne contredit pas non plus celui de Trump lui-même, ni même celui de Steven Bannon, démissionnaire de la Maison-Blanche en août et pourtant ennemi juré de l’establishment washingtonien... Ces différentes factions qui se haïssent se rejoignent sur cette même ligne antichinoise :

• Les neocons, bien sûr, et cela sans surprise. S’exprimant principalement par la voix de Nikki Halley dont on a dit toute l’admiration qu’on éprouve pour son parcours diplomatico-intellectuel, ils sont preneurs de toutes les possibilités de conflit, dans une démarche à la fois convulsive et merveilleusement enjouée. Bien entendu, la Corée du Nord est dans leur collimateur depuis longtemps, et la Chine par conséquent et par-dessus tout parce que ce pays a dépassé en puissance économique les USA. Pour les neocons, le sort de la Chine est scellé depuis que Pékin a déclaré qu’en cas d’attaque de la Corée du Nord par les USA, elle (la Chine) serait activement du côté de la Corée du Nord.

• Wall Street, très fortement représenté dans l’administration Trump, parle par la voix de Mnuchin, un ancien de Goldman Sachs. La finance US est prête à soutenir de très fortes pressions financières et économiques sur Pékin qui représente bien entendu la principale menace contre la puissance US, même au risque d’éventuelles aventures militaires. (Mais en général, les gens de Wall Street, qui ont les mêmes dispositions psychologiques d’“inculpabilité-indéfectibilitéque tout citoyen-américaniste standard, ne doutent pas que les Chinois céderont aux pressions US parce qu’ils feront tout pour éviter d’affronter la puissance US, toujours perçue par le côté américaniste comme irrésistible.)

• Bannon, lui aussi, est un acharné de l’hostilité à la Chine. Il l’a encore dit dans plusieurs interventions publiques ou télévisées, et sa position ressort d’un nationalisme intégral impliquant qu’il est extrêmement dangereux pour les USA de laisser se développer cette puissance commerciale et financière chinoise. Ainsi, sur cette ligne de l’hostilité à la Chine, les antiSystème du clan Bannon sont alliés aux représentants du Système et, en vérité, ne sont plus du tout antiSystème. (Il y a là une certaine contradiction sinon une contradiction certaine chez Bannon, qui montre qu’il reste tributaire et infecté par l’américanisme puisqu’il affirme vouloir briser la bureaucratie de Washington [du Système ?] alors qu’en privilégiant une attitude antagoniste contre la Chine il alimentera nécessairement un renforcement de cette bureaucratie.)

• Trump, c’est Trump. L’une de ses grandes lignes de pensée, c’est la réduction des capacités commerciales de la Chine, et selon le bon esprit du businessman US, tous les moyens sont bons, y compris et surtout les plus vicieux et les plus tordus. Que cela se fasse à propos de la Corée du Nord qu’il déteste et qu’il a déjà menacée plusieurs fois de foudres diverses, c’est faire d’une pierre deux coups... Ce n’est pas lui qui freinerait une telle dynamique, et sa pensée ne va pas au-delà de la comptabilité des supposés avantages commerciaux.

• Restent les généraux, qui restent silencieux sur le sujet abordé ici... Les sanctions, c’est moins leur affaire que la gesticulation des forces militaires. On peut supposer que ce sont eux qui sont les moins à l’aise dans cette affaire, parce qu’ils ne contrôlent pas le processus et parce qu’ils n’ont aucune envie de courir le risque de voir dégénérer tout cela en un conflit avec la Chine qui ne laisserait certainement pas la Russie, ni indifférente, ni neutre... (Les généraux, Mattis notamment, ont constamment joué le rôle de frein dans les différents épisodes de la crise nord-coréenne et l’on dit que McMaster, lorsqu’il a un peu bu, confie que son rôle principal est d’empêcher “ce dingue” [Trump] de déclencher une apocalypse nucléaire.) Les généraux privilégient l’“option diplomatique”, mais à l’américaniste bien entendu, c’est-à-dire s’entretenir avec les Nord-Coréens pour leur faire savoir poliment mais fermement les conditions de leur capitulation sans conditions. (Les Russes affirment que, officieusement les Nord-Coréens sont prêts à négocier mais que les USA refusent, ou plutôt imposent des conditions préalables que ne veulent ni ne peuvent accepter les Nord-Coréens.)

On observera que, par certains côtés, la crise nord-coréenne commence à ressembler à la crise ukrainienne dans la mesure où l’hostilité US se tourne peu à peu vers la Chine, comme elle s’était tournée vers la Russie dans l’affaire ukrainienne. Bien entendu, le processus est différent, la crise est différente, le rythme aussi, etc., du fait de la différence du troisième acteur, la Corée du Nord sans rapport avec l’Ukraine, qui affronte dans ce cas Washington et dispose d’une arme nucléaire. D’autre part et concernant le tandem Chine-Russie, et toujours à la différence de la crise ukrainienne, la Russie est presque directement concernée à cause de sa proximité de la Corée du Nord, alors que dans l’affaire ukrainienne la Chine avait apporté un soutien diplomatique à la Russie mais n’avait aucune proximité qui l’impliquait nécessairement dans la crise. Dans le cas nord-coréen, l’implication russe est quasiment automatique, ce qui fait que la démarche US n’implique pas seulement la Chine mais également la Russie. Là où les deux crises se ressemblent au stade actuel, c’est dans le passage en train de se faire vers le risque d’un affrontement entre les puissances mondiales et nucléaires à cause d’une attaque directe des USA contre la Chine, comme il y avait eu attaque directe des USA contre la Russie dans la crise ukrainienne.

Les USA sont aveuglés par la certitude de leur puissance et par leur confiance également aveugle dans la force (caractères psychologiques d’“inculpabilité-indéfectibilité”). Ce n’est pas nouveau puisqu’ils ont toujours fonctionné de cette façon ; on peut donc leur faire confiance, ils ne réaliseront pas qu’ils sont en train de nous arranger un cocktail explosif : tenter de lancer une guerre commerciale contre la Chine dans le cadre d’une crise déjà bien en cours, où le principal sujet dispose de l’arme nucléaire et a montré qu’il ne céderait pas aux USA. (“Les Nord-Coréens sont prêts à manger de l’herbe plutôt que de céder aux pressions et aux sanctions US”, a observé Poutine qui est sans doute bien renseigné sur l’état d’esprit, à la fois des dirigeants de ce pays, à la fois des habitants de ce pays qui n’ont pas encore compris les merveilleux attraits de l’inestimable système démocratique américaniste-occidentaliste).

Certains diront que ce genre de comportement aveugle mais surpuissant a jusque-là marché parce que les USA ont le plus souvent obtenu ce qu’ils voulaient. Cette fois, leur aveuglement leur dissimule l’affaiblissement vertigineux de leur puissance militaire (d’où sans doute le manque d’enthousiasme des chefs militaires qui, sur ce sujet qui leur est précisément et techniquement très proche, ne partagent pas l’aveuglement général). Les perspectives ne sont pas nécessairement toutes roses, mais elles ne le sont pour personne, et particulièrement pas pour les USA...

Et là-dessus se greffe l'élément le plus important :  nous estimons qu’il ne faut certainement pas attendre une “union nationale” à Washington contre la Chine  même si tout le monde est d’accord, parce que c’est la haine entre les différents groupes qui continue à être la marque de la situation et que la situation continue à être crisique. Même s’ils sont d’accord, ils se haïssent : ce n’est pas une question de stratégie ni de conquête du monde, c’est une question de psychologie et de séjour le plus long possible dans un établissement de repos pour pathologie avancée. Nous disons cela dans des termes légers mais notre conviction profonde est que là est le nœud du problème ; cela laisse tout de même l’espoir qu’ils tomberons à nouveau dans une nouvelle séquence paroxystique type-“D.C.-la-folle” avant de concrétiser leur vaste plan de mise à genoux de la Chine.

 

Mis en ligne le 14 septembre 2017 à 10H42