Chronique du 19 courant… Bilan

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Chronique du 19 courant… Bilan

Ce 19 août 2012... Entamer cette nouvelle “rubrique” comme l’on dit d’une nouvelle catégorie de textes, un nouveau genre par rapport aux habitudes du site, comme l’on met le pied sur une terra incognita… J’y entre avec résolution et avec prudence, avec enthousiasme et avec incertitude, avec assurance et avec hésitation, – selon les moments, certes. “Voici un texte de présentation d’une nouvelle série régulière d’articles…”, pouvait-on lire le 19 juillet 2012, dans le texte introductif de la série ; “voici ma présentation…” serais-je tenté d’écrire. Après bien des réticences concernant la façon de s’y mettre et de s’y lancer, j’ai finalement trouvé l’assurance de concevoir qu’il serait bon que le thème en fût mon métier, cette passion qui l’anime, ce sacerdoce qu’il suscite, cette transmutation qui fit de lui bien plus qu’un “métier”, et tout cela qui mène et justifie dedefensa.org et moi-même à la fois. Sur le soir d’une vie, il peut arriver qu’on en vienne à juger qu’il n’est pas sans intérêt, et presque d’un intérêt tragique pour mon compte, d’envisager d’ouvrir la voie à quelque chose de neuf en rassemblant les éléments d’un jugement et d’une perspective historique de cet acte d’écrire, chaque jour, inlassablement, sur la situation du monde et sur la recherche de la vérité du monde. (L’un ne va pas sans l’autre, “la situation du monde” et “la vérité du monde”, et très vite la technique devient expérience, et ce qui était le but d’un esprit inexpérimenté à la recherche de son destin devient l’outil de l’esprit parvenu à la conscience de son destin.) D’une certaine façon, ce serait une manière originale d’entamer une chronique, nouveau cycle d’écrits, que de commencer ainsi par ce qui serait une forme de bilan… Commencer au début par la fin, ou bien la fin n’est-elle que l’origine du recommencement.

J’ai commencé ce métier, c’est-à-dire l’exercice de cette passion d’écrire sur la situation du monde, en novembre 1967 précisément. Ces dernières années s’est peu à peu formé puis renforcé mon jugement jusqu’à l’extrême conviction, qu’il n’y a pas d’activité qui ait connu, dans ce laps de temps, une plus formidable révolution dans sa technicité, et surtout dans son esprit même jusqu’à changer de nature, que cette activité fondamentale d’écrire, – je veux dire, lorsque l’on fait de sa vie l’acte pur de l’esprit, l’acte d’écrire pour tenter de comprendre ce que dissimule au fond de lui-même le spectacle du monde. La cause en est ce bouleversement qui a affecté ce grand domaine de la communication entre les esprits et les choses de l’esprit, passant du vague “système de communication” qu’on ne désignait même pas ainsi in illo tempore, à un “système de la communication”, envisagé ici d’une façon très spécifique et très précise aujourd’hui, comme les lecteurs du site le savent bien.

Il est peu utile de s’attarder à détailler les changements extraordinaires entre cette époque de mes débuts et notre aujourd’hui, en volume d’information, en rapidité d’accès à ces informations, en multiplication géométrique des “sources” disponibles jusqu’aux plus extraordinaires, en opportunité de sélection de ces informations. Tout le monde réalise ces changements mais je ne crois pas qu’on mesure communément leur réelle signification, jusqu’à cette hypothèse, qui ne fait plus aucun doute désormais pour moi, que ce formidable changement quantitatif a réussi à accoucher d’un changement qualitatif fondamental. La chose est suggérée dans l’idée de l’“opportunité de sélection de ces informations”, qui indique bien cette inversion vertueuse. Le flot quantitatif se déchaînant jusqu’à la quasi-asphyxie par étouffement, il est apparu qu’il importait de réagir en opérant une opération inverse qui est la sélection, l’élimination, le choix, etc., de ces sources ; tout cela fondé sur l’expérience, la pratique et l’intuition toujours en éveil, et l’on comprend bien qu’il s’agit alors d’une démarche qualitative de maîtrise du déferlement quantitatif. Cette démarche qualitative n’est pas fixe, elle est toujours en éveil, pour s’adapter, évoluer en pleine vigueur constante, face au flot quantitatif qui ne cesse pas, et selon l’évolution des évènements qui sollicite elle-même cette adaptation. Elle s’est renforcée, s’est justifiée, en même temps qu’elle a trouvé ses racines fondamentales dans l’évolution structurelle de l’activité. Elle constitue, je crois, un phénomène extraordinaire parce qu’elle établit un lien entre la matière (l’aspect quantitatif) et l’esprit (l’aspect qualitatif), et l’une des rares occurrences dans cette époque accouchée par le “déchaînement de la Matière” où l’esprit soudain riposte, et soudain soumet la Matière à son avantage. Je ne veux jamais oublier cette leçon que la chose est possible, car sans cela comment espérer continuer ?

En 1967, – reprenons cette année puisque c’est celle de mes débuts, – un “journaliste” (les guillemets s’expliqueront d’eux-mêmes, plus loin) disposait pour son information courante des agences de presse ; des reportages et interviews qu’il pouvait faire ou qu’on pouvait faire dans sa rédaction, qui étaient évidemment limités en nombre, en espace et, souvent, en qualité ; de l’accès aux autres journaux, revues, documents divers, etc., là aussi limités en nombre, et d’une disposition allongée en temps, bien entendu jamais complétée par les difficultés d’accès et l’obsolescence. Il y avait enfin le domaine des “sources”, impliquant des rapports privilégiés avec des “partenaires”, des “contacts” installés dans une activité et acceptant sous le couvert de l’anonymat, par intérêt, désir d’influence, estime, etc., de livrer des informations en général étrangères au domaine public. Le “journaliste” était certes un acteur original mais restait un acteur passif, dépendant de données et de facteurs incontrôlables par lui-même, et en général très limités. Lorsqu’il pouvait espérer atteindre une certaine connaissance interne de son domaine de travail (celui où il avait ses “sources”), il le faisait nécessairement en se spécialisant de plus en plus, – connaissances de plus en plus affutées et détaillées mais nécessairement de plus en plus restreintes, et de plus en plus liées au sujet considéré. Là aussi il restait passif, parce que, enfermé dans un domaine précis, il rencontrait des “partenaires” nécessairement mieux informés que lui. Dans tous les cas, cette passivité impliquait une position collatérale, qui était aussi une position de dépendance : même lorsqu’il était très critique, le “journaliste” restait comme un appendice du système, – lequel, à mon sens, ne méritait pas encore la majuscule qu’on lui met aujourd’hui dans dedefensa.org, puisqu’on rencontrait en son sein une certaine diversité, une certaine autonomie possible, etc. D’autre part, la vision du “journaliste” restait nécessairement parcellaire, restreinte à l’immédiateté ; pour faire “plus large”, “plus ample”, éventuellement “plus haut” ou “plus profond” c’est selon, il fallait passer aux grandes disciplines universitaires, – historiens, politologues, philosophes, etc., elles-mêmes enfermées dans leurs spécialisations dont l’exposition n’était pas dépouillée d’une arrogance qui n’en facilitait pas l’accès. Ainsi fonctionnait la technique du fractionnisme, encore dissimulée, qui permet d’empêcher dans notre époque postmoderniste que le regard puisse embrasser la situation du monde dans toute sa vastitude, qui est la voie vers la vérité du monde.

J’ai donc connu cette situation, où l’on se trouvait notamment, – je prends l’exemple le plus glorieux et en principe le plus “professionnel” des “sources”, – en présence de fonctionnaires, de hauts fonctionnaires, militaires ou civils, de ces gens qui font partie de ce qu’on nomme “nos élites”, ici dans le domaine de la politique et de la sécurité au sens large. Ce n’était pas vraiment une situation d’infériorité affirmée ni de sujétion affichée mais c’était bien une situation où ces gens-là, les “journalistes”, dont je faisais partie en vérité, recueillaient les données, les avis, les affirmations, comme si nous étions, – c’est le cas de le dire, n’est-ce pas, au bout d’une source, attendant avec reconnaissance le jaillissement de l’eau, – j’allais dire “l’eau bénite”… Il y avait incontestablement une position implicite, impalpable, mais réelle de “subordination”, pour ce qui concernait le matériel lui-même (l’“information”) ; cela n’engageait en rien les deux interlocuteurs, – ce point dépendant des caractères et d’autres facteurs divers, – mais décrivait, je dirais “objectivement”, une situation à laquelle il était souvent tentant de s’abandonner complètement. (Il y avait de la vanité dans le chef de ces “journalistes” d’être ainsi informés en a-parte par ces autorités anonymes, et les “sources”, elles-mêmes flattées par cette sorte de contact, s’y entendaient pour donner à leurs interlocuteurs la sensation d’être à leur propre niveau, – échange de vulgaires procédés, si l’on veut.)

Les choses ont évolué, on s’en doute, durant la décennie des années 1990, au rythme du développement de l’Internet comme moyen d’information, et aussi au rythme brutal des évènements politiques, – comme s’il y avait un lien de parenté entre l’écroulement du communisme et le triomphe du libéralisme, le développement de l’Internet, avec comme enjeu le développement très rapide du système de la communication et l’arrivée à sa maturité de surpuissance et bientôt d’autodestruction du Système, – et il y a certes un lien, sacrebleu ! Le grand basculement et le grand événement à l’intérieur de cette évolution, la rupture qui sanctionne cette évolution, de mon point de vue sans le moindre doute, ce fut la guerre du Kosovo. C’est durant cet événement long de plus de deux mois (du 24 mars au 4 juin 1999) que l’on découvrit, pour ceux que la démarche intéressait, que l’on pouvait se tenir informé, et diablement bien informé, du cours des choses sans passer par les canaux habituels d’information, – les agences de presse et la presse standard, – ce que l’on nommera presse-Pravda et presse-Système plus tard, – et par les sources officielles, exprimées publiquement ou plus anonymement mais toujours selon les standards de l’information officielle. Le paradoxe est que ce tournant, qui employait les moyens en plein développement de l’Internet et qui donna à ces moyens une impulsion absolument inédite et inattendue, fut dû à ceux, ou une partie de ceux qui allaient constituer, aussitôt après, le “parti de la guerre”, ou War Party, aussitôt après le 11 septembre 2001, avec des indications sérieuses dès le printemps 2001 ; ceux qui ont été une des forces les plus actives dans un rapport de soumission au développement catastrophique du Système... En effet, le parti républicain aux USA et ceux qui le soutenaient, encore une fois uni avant la rupture de 9/11 en une opinion anti-interventionniste, voire isolationniste, s’opposa le plus qu’il put à la participation US à la guerre du Kosovo, qu’il attribuait justement à l’aile interventionniste des libéraux-progressistes (les liberal hawks, qui se sont à nouveau manifestés avec la Libye et la Syrie). Ainsi, pendant toute la guerre du Kosovo, les deux principales sources d’information selon mon jugement et d'après la pratique de la chose, avec quelques autres complèmentairement, furent Antiwar.com (on sait ce que ces gens sont devenus, restés fidèles à eux-mêmes) et, – ô surprise rétrospective, – STRATFOR, alors en pleine opposition à la guerre (on sait ce que ces gens se sont révélés être, – on lit le rappel de la chose le 29 février 2012). C’étaient les deux ailes du parti républicain, encore unies avant de se séparer pour devenir ennemis jurés entre l’aile “paléo-conservatrice” restée isolationniste et non-interventionniste, et l’aile “néo-conservatrice”, devenue unilatéraliste et farouchement interventionniste.

…Et à partir de là, tout fut différent car plus rien ne fut comme avant. La guerre du Kosovo, qui avait consacré de nouveaux moyens de parvenir, pour ceux qui le veulent, à la vérité du monde, avait dépouillé les voix officielles de la pompe de l’objectivité et de leur prétention à la vérité, – jusqu’à paraître nues, ces voix, comme le roi du même tonneau. (Voir un peu plus tard l’aveu de Rumsfeld.) Aujourd’hui, je ne sacrifierais pas une journée de mon temps pour pouvoir parler un quart d’heure avec un quelconque ministre des affaires étrangères, comme j’aurais fait bien entendu, et au-delà, en 1967 ; si l’on parle du commun des ministres, je sais qui il est, ce qu’il pense et ce qu’il dira, et surtout je sais ce qu’il ne peut plus être, ni penser, ni dire. Alors, on le laisse à son “image” et qu’il aille jouer avec cette poussière.

Ainsi, dès lors que fut connue la chose, l’évènement dont je parle, la messe était dite. Ceux qui avaient choisi leur camp, et l’on sait duquel je parle, étaient prêts à la bataille… “Et à partir de là”, on abandonna le terme de journaliste dépouillé de ses guillemets, lui et sa défroque taillée sur mesure, pour celui de chroniqueur, puis d’historien et de métahistorien de l’immédiat. Le constat formidable de cette époque à nulle autre pareille se dessinait que, désormais, l’Histoire devenue métahistoire pouvait se déchiffrer presque au jour le jour des évènements du monde auxquels nos moyens nouveaux donnaient accès, et cette démarche appuyée sur l’expérience et avec l’aide sans quoi rien n’est possible de l’intuition haute. Ce regard-là, du journaliste devenu chroniqueur et métahistorien, qui dépend de l’acuité du choix qu’on fait, rend compte de l’aspect qualitatif, du service de l’esprit dont je parlais plus haut.

Un champ nouveau s’est ouvert. Le métier de “journaliste” disparaît, corps et bien avec ses guillemets, dans le linceul confortable de la presse-Système. Apparus en plein jour, leur bassesse et le vide de leur conscience vous laissent stupéfaits ; ma conviction est qu’ils ne s’en remettront jamais, les journalistes-Système. Alors, c’est à nous d’agir, de faire, et la chose est à la fois exaltante et écrasante. Il s’agit du domaine de l’Internet, où s’est installé le système de la communication, d’où nous contemplons la “révolution” du domaine, dont le terme est alors à prendre dans son sens littéral, astronomique ; avec ce domaine et avec ce moyen de l’Internet, nous avons effectué un tour complet pour revenir au point fondamental de tout cycle métahistorique, à sa fin et en son début, où nous disposons de tous les attributs et tous les moyens correspondant à la technicité du temps pour pouvoir juger avec une audace inouïe de la pensée, et presque dans l’immédiateté du temps, de la réelle signification de ce temps que nous vivons, qui est métahistorique et qui, pour cette raison, mobilise ainsi toutes nos capacités. Il faut être convaincu que c’est parce que ce temps est si exceptionnel que nous disposons d’un tel outil pour tenter de le saisir et de le comprendre. C’est une responsabilité écrasante et exaltante.

La chose n’est pas simple. L’Internet est encombré de tout ce qu’il est possible de concevoir, jusqu’à l’inconcevable ; les fous, les escrocs, les médiocres, les mythomanes, les aventuriers, les provocateurs, les illuminés, les “journalistes” reconvertis, les comploteurs, les malades, les simples d’esprit, les visionnaires, les prophètes, les prêcheurs et les pêcheurs, bref toute cette Cour des Miracles postmoderniste comme vous et moi… C’est dans cette affluence extraordinaire où pourtant se trouve l’une ou l’autre voie fondamentale pour la compréhension du monde qu’il faut se frayer un chemin qui soit de cette veine, et persévérer, et tenir absolument. Il n’y a pas, aujourd’hui, de consigne plus droite et plus haute, et c’est la gloire de notre liberté de s’y tenir absolument.

Philippe Grasset

Notes en forme de Post-Scriptum

Il était écrit, le dernier “19 courant”, – ceci  : «Je crois que, souvent, ou bien parfois je ne sais, le texte de cette “Chronique du 19 courant…” sera terminée par cette Note en forme de ‘Post Scriptum’” dont le rôle sera de clore le texte par un rappel de la situation des donations, ce “19 courant…” Habile, n’est-ce pas ?»

“Habile”, je ne sais pas, vraiment… Mais, bref, cela est dit, écrit, recopié. Consultez la barre de comptage mise en place à partir d’aujourd’hui, comme l’habituel signal d’alarme, – aidez-nous et merci pour votre aide.