Cherche secrétaire d’État, très-confusément

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Cherche secrétaire d’État, très-confusément

Le département d’État est, le plus souvent, un poste essentiel de la politique étrangère. (Règle générale, avec les exceptions dont nous avons déjà parlé, notamment le couple Nixon-Kissinger, où le directeur du NSC et conseiller du président pout la sécurité nationale [Kissinger] marginalisa complètement le secrétaire d’État ; ou bien encore la bataille entre Brzezinski et Vance, directeur du NSC et secrétaire d’État de Carter, qui se termina par la victoire du premier et la démission de Vance en avril 1979.) Aussi attend-on avec une grande impatience et une intense curiosité la ou le Secrétaire d’État que Trump va nous sortir de sa boite à malice. La chose est devenue l’affaire la plus pressante, c’est-à-dire la plus suivie et l’objet des plus nombreuses spéculations, autour de la formation de l’administration Trump, qui devrait être prête le 20 janvier prochain. Elle a pris également l'apparence d'un test fondamental, peut-être “le” test fondamental, – sans qu'il soit assuré qu'elle le soit, – de l’orientation de la politique de Trump, c’est-à-dire ce qui déterminerait si, oui ou non, Trump pourrait trahir ses électeurs, si oui ou non il déciderait d'affronter vraiment l’establishment et le Système.

C’est autant un combat pour le symbole de la fonction prestigieuse qu’un combat pour le pouvoir opérationnel. Si le département d’État est un poste essentiel, il n’est pas “le poste-clef”, celui qui verrouille tout le reste, – et d’ailleurs, on l’a vu en plus haut, en rappelant aussitôt qu’il existe des occurrences bien plus que des exceptions où le secrétaire d’État perd beaucoup de ses pouvoirs et de son influence jusqu’à être marginalisé ou contraint à la démission. Mais les exigences et les pressions de la communication sont telles autour de la période de transition de l’administration Trump, autant que le délai pour la nomination et les spéculations qui l’entourent, que le symbolique a pris le dessus sur l’opérationnel.

De nombreux noms ont déjà été avancés pour ce poste, – nous parlons d’hypothèses sérieuses et non pas de vagues spéculations. Il a été question de Newt Gingrich, l’ancien Speaker de la Chambre (1994-1999), vieux dur-à-cuire de la politique et efficace conseiller de Trump dès l’origine de l’actuelle campagne ; mais Gingrich a beaucoup d’affaires et gagne beaucoup d’argent, et il serait obligé d’abandonner ce pactole s’il devenait secrétaire d’État. Il ne semble pas qu’il ait voulu pousser le sacrifice jusqu’à ce terme. On a parlé également de Rudy Giuliani, ancien maire de New York et également “trumpiste” dès l’origine, dont on dit qu’il reste en piste malgré des problèmes potentiels de conflits d’intérêt s’il devenait ministre. Voilà pour les “vieux de la vieille” autour de Trump, les vieux compagnons couverts de cicatrices des combats politiques, des affaires un peu limite, mais tous deux avec une expérience ou plutôt des opinions assez peu arrêtées en matière de politique extérieure pour paraître s’adapter sans trop de problème à la politique Trump dans cette fonction du département d’État.

La première polémique est apparu après que Gingrich ait disparu des possibles prétendants et alors que Giuliani restait encore en flanc-garde, avec l’évocation du nom de John Bolton. Il est assuré que ce nom fut lancé, avec une assez belle maestria de communication, par les milieux neocons dont Bolton fut un fleuron, mais qui se sont fracturés pour cette élection (entre neocon-globalistes pour Hillary et neocon-nationalistes pour Trump). Quoi qu’il en soit, Bolton reste un fou-furieux du genre et, très récemment, a parlé encore de la nécessité d’un regime change à Teheran (ou bien, l’on bombarde !). L’évocation de son nom fit un tollé, notamment dans les médias antiSystème de grande influence qui constituent la base de communication, complètement fidèle ou bien critiques mais bienveillants du président Trump... Il semble bien aujourd’hui que Bolton soit un peu redescendu dans l’échelle des possibilité sinon purement et simplement hors-course, notamment et particulièrement parce qu’un sénateur aussi important que le républicain Rand Paul, fils de Ron et membre de la Commission des relations extérieures, a annoncé qu’il s’opposerait sans discussion ni appel à la confirmation de Bolton par le Sénat.

(C’est la Commission qui donne après auditions un avis préliminaire extrêmement important et influent pour le vote de confirmation du Sénat pour les plus hautes nominations d’une administration. Il y aura neuf démocrates et dix républicains [dont Rand Paul] dans la Commission : normalement tous les votes républicains [10] vont à l’homme désigné par le président et même si les démocrates votent tous contre, la commission a donné son aval pour la confirmation. Dans ce cas, la promesse de Paul de voter contre Bolton renverse complètement le pronostic. C’est un point essentiel à avoir à l’esprit car la position de Paul, le seul sénateur à être prêt à briser les règles partisanes selon une opinion propre qu’il aurait sur le candidat et son programme de politique extérieure démocrates, jouera son rôle avec tous les candidats, avec une position très proche sur ces questions de celle de son père. Rand Paul a, pour les confirmations, un peu une position dans l’ombre de “faiseur de rois” ; cela constitue une situation exceptionnelle et absolument inédite pour un libertarien, en général antiguerre, à Washington ; et ainsi mesure-t-on plus précisément le changement introduit par l’élection de Trump.)

Puis vient le cœur de la polémique avec sa dimension symbolique, avec Mitt Romney. Sa possibilité d’être choisi est apparue plus tardivement que les trois précédents et elle a pris aussitôt le devant de la scène. Cette fois, le tollé a été général, bien plus qu’avec Bolton, surtout parce qu’on sentait le sérieux de cette possibilité, et que Romney apparaît vraiment, on veut dire symboliquement, comme le choix imposé par l’establishment républicain, celui contre lequel Trump s’est le plus férocement battu. Romney est d’ailleurs celui qui, chez les républicains, a le plus copieusement couvert Trump d’insultes, allant jusqu’à esquisser la possibilité d’une deuxième candidature pour torpiller Trump. Enfin, candidat à la présidence en 2012, Romney est fameux pour avoir annoncé cette année-là que la Russie était le “vrai adversaire géopolitique des USA” ; il vit toujours sur cette rente de la spéculation guerrière qui a fait florès depuis, ce qui laisse le champ libre à l’imagination de son comportement vis-à-vis de la Russie s’il était choisi. Cela conduit aussitôt à s’interroger sur cette possible nomination, puisque Trump semble vouloir faire de meilleures relations avec la Russie l’axe de sa politique extérieure ; à moins que Trump ne choisisse, avec un Romney marginalisé au département d’État, et avec un Flynn en second, la formule Nixon-Kissinger que l’on pourrait croire d’ores et déjà à l’œuvre au Moyen-Orient.

Quoi qu’il en soit, le tollé fut tellement rude pour cette possibilité de choix, y compris de la part de Gingrich et du gouverneur Huckabee, deux fidèles de la première heure, que le porte-parole du président-élu crut bon, la semaine dernière, d’annoncer qu’aucun choix n’était fait, et que Romney n’était, par simple logique, certainement pas choisi. Depuis, la possibilité de Romney semble avoir perdu un peu de son souffle, sans disparaître certes : peut-être que The-Donald s’est aperçu de quelque chose...

Restent alors les outsiders, et finalement, simplement deux outsiders, particulièrement intéressants. Nous les mentionnons parce qu’après avoir été évoqués rapidement (et avoir rencontré Trump), les voilà qui réapparaissent dans les nouvelles du jour, alimentant à nouveau les spéculation sur leurs chances. Nous observons que, selon nos conceptions, ces deux outsiders nous paraissent effectivement les candidats les plus intéressants, avec peut-être Gingrich mais celui-ci n’ayant jamais été sérieusement candidat pour les raisons qu’on a dites.

• Alors qu’on pouvait la croire oubliée, un texte de The Hill du 26 novembre, repris par Breitbart.News, propose d’une façon appuyée Gabbard comme secrétaire d’État, remettant l’idée au goût du jour. Nous écrivions le 23 novembre à propos de Tulsi Gabbard : « On ne peut rêver meilleure alliée de Trump que cette jeune femme qui a tout pour devenir une personnalité charismatique d’ampleur nationale, qui a déjà montré la lucidité de son jugement et la force de son caractère par son opposition déterminée, proclamée officiellement dans un milieu où une telle position invite au lynchage, à la politique-Système interventionniste et belliciste, notamment en Syrie où elle s’oppose à toute intervention US contre le gouvernement légitime d’Assad. [...] Gabbard pourrait devenir une carte-joker pour Trump, en même temps qu’un acte politique de haute vertu. Ce serait une erreur terrible et peut-être fatale de sa part de ne pas mettre cette jeune femme, avec tous les honneurs et la loyauté qui lui sont dus, dans son camp qui deviendrait ainsi, symboliquement mais puissamment, totalement et évidemment le camp de l’antiSystème au-delà, c’est-à-dire au-dessus des partis. »

• Le deuxième outsider est également un cas intéressant. Son nom était apparu le 18 novembre, puis rapidement disparu ; et voici qu’il réapparaît, sous la forme d’un communiqué, ce 26 novembre, où l'outsider lui-même annonce qu’il est “considéré” pour la fonction du secrétaire d’État et qu’il est près à assumer la chose si elle lui est proposée... Comme nous l’avions déjà envisagé, ou plutôt PhG le 19 novembre, Dana Rohrabacher, député républicain de Californie, est un original : « Une nouvelle possibilité est évoquée depuis mercredi, dont on n’a guère entendu de commentaires jusqu’ici, à partir Du Washington Examiner,  repris par le Liberty Conservative puis par Russia Insider, désignant le député Dana Rohrabacher comme favori. Rohrabacher est un original : s’il est hostile à l’Iran, il est l’un des très rares parlementaires US à avoir approuvé dès le printemps 2014 l’annexion de la Crimée par la Russie, ce qui est une remarquable performance. Le commentaire est qu’il est “beaucoup plus aligné sur les conceptions de politique étrangère” de Trump... »

Ainsi terminons-nous le passage en revue des candidats les plus marquants, dont il n’est pas difficile de deviner lesquels nous paraissent les plus intéressants. Sans doute, sans aucun doute y en a-t-il d’autres ; peut-être, peut-être bien que The-Donald nous en sortira-t-il un autre (une autre) de son chapeau. Tout reste possible dans ce qui est devenu une course à la fois confuse et significative, elle aussi sans précédent dans l’histoire des transitions. Nous voulons dire que nous n’avons jamais connu une transition qui offre un caractère si particulier, avec des nominations importantes faites immédiatement (Flynn), avec d’autres traînant sans soulever quelque débats que ce soit (défense) d’autres s’effectuant discrètement et sans le moindre tapage ni débat, enfin avec une aussi importante que celle de secrétaire d’État aussi ouverte, incertaine, devenue un véritable symbole de l’administration Trump, – symbole qu’il faudra d’ailleurs interpréter de façon différente qu’il n’a été ici lorsqu’un choix aura été fait. Tout cela se passe dans une sorte de confusion dont on ignore si elle est voulue, et dont on ignore également, et très paradoxalement, si elle est le fait de Trump et de son équipe ou de la perception de ceux qui observent et commentent. Ce dernier point, – la confusion existe c’est sûr, mais où est-elle exactement ? – est à l’image de cette campagne présidentielle, de cet élu, de cette situation des USA, – et d’ailleurs de notre époque tout court.

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