Chateaubriand et le génie du royalisme

Les Carnets de Nicolas Bonnal

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Chateaubriand et le génie du royalisme

Vers la fin de ses Mémoires Chateaubriand se surpasse. Il y a cette conclusion qui ouvre mon livre sur les écrivains et la conspiration, et puis il y a ce passage situé aussi à Prague, cet hommage plutôt à un Charles X exilé et entouré de ses petits-enfants.

C’est la fin des vielles races au sens de Mallarmé (Igitur) ou du plaisir de Dieu.

On est au tome 3, L.37 Chapitre 5

Sur le malheur qui fait disparaître l’ancienne France :

« Peut−être, en s'épargnant la peine de prendre un parti, on s'endormira dans des habitudes chères à la faiblesse, douces à la vie de famille, commodes à la lassitude suite de longues souffrances. Le malheur qui se perpétue produit sur l'âme l'effet de la vieillesse sur le corps ; on ne peut plus remuer ; on se couche. »

Dans le feuilleton de TF1 (1978), le duc parlera de l’histoire comme traîtresse. C’est vrai, mais il ne faut pas oublier non plus que l’histoire s’est couchée à cette époque.

« Le malheur ressemble encore à l'exécuteur des hautes justices du ciel : il dépouille les condamnés, arrache au roi son sceptre, au militaire son épée, il ôte le décorum au noble, le cœur au soldat, et les renvoie dégradés dans la foule.

Chateaubriand est nietzschéen ici : au roi, au noble, au soldat succède la foule.

Sublime réflexion, bonne pour Perceval, sur les ratés de la jeunesse (on croit qu’on a le temps) :

« D'un autre côté, on tire de l'extrême jeunesse des raisons d'atermoiements : quand on a beaucoup de temps à dépenser, on se persuade qu'on peut attendre, on a des années à jouer devant les événements : " Ils viendront à nous, s'écrie−t−on, sans que nous nous en mettions en peine ; tout mûrira, le jour du trône arrivera de lui−même ; dans vingt ans les préjugés se seront effacés. " Ce calcul pourrait avoir quelque justesse si les générations ne s'écoulaient pas ou ne devenaient pas indifférentes ; mais telle chose peut paraître une nécessité à une époque et n'être pas même sentie à une autre.

Hélas ! avec quelle rapidité les choses s'évanouissent ! »

J’ai retrouvé ce passage grâce toujours aux fusées de Baudelaire (merci donc à Pierre P.).

Voilà les petits-enfants, avec cette princesse Louise admirable, la parfaite élève :

« Les enfants sont entrés, le duc de Bordeaux conduit par son gouverneur, Mademoiselle par sa gouvernante. Ils ont couru embrasser leur grand−père, puis ils se sont précipités vers moi ; nous nous sommes nichés dans l'embrasure d'une fenêtre donnant sur la ville et ayant une vue superbe. J'ai renouvelé mes compliments sur la leçon d'équitation. »

La petite princesse Louise (qui aura une vie triste) est bonne lectrice du maître :

… mais j'ai vu beaucoup de serpents en Amérique. − Oh ! oui, dit la princesse Louise, le serpent à sonnette, dans le Génie du Christianisme. "

Je m'inclinai pour remercier Mademoiselle. " Mais vous avez vu bien d'autres serpents ? a repris Henri. Sont−ils bien méchants ? − Quelques−uns, monseigneur sont fort dangereux, d'autres n'ont point de venin et on les fait danser. "

On adore les animaux, car est des enfants :

« Les deux enfants se sont rapprochés de moi avec joie, tenant leurs quatre beaux yeux brillants fixés sur les miens. »

Les deux petits princes sont incollables sur la vieille histoire de leur race (cela nous change des héritiers du trône qui traînent dans les universités US) :

« Après cette belle conversation de serpents, de cataracte, de pyramides, de saint tombeau, Mademoiselle m'a dit : " Voulez−vous me faire une question sur l'histoire ? − Comment, sur l'histoire ? − Oui, questionnez−moi sur une année, l'année la plus obscure de toute l'histoire de France, excepté le dix−septième et le dix−huitième siècle que nous n'avons pas encore commencés ».

Il y a quelque chose de dérisoire dans cette érudition gratuite. Mais c’est ce qui la rend sublime. On est passé de la basilique des rois au centre commercial.

Vous ne vous en rendez pas compte ?

« Je commençai par obéir à la princesse et je dis : " Eh bien ! Mademoiselle veut−elle me dire ce qui se passait et qui régnait en France en 1001 ? " Voilà le frère et la soeur à chercher, Henri se prenant le toupet, Mademoiselle ombrant son visage avec ses deux mains, façon qui lui est familière, comme si elle jouait à cache−cache, puis elle découvre subitement sa mine jeune et gaie, sa bouche souriante, ses regards limpides. »

Une vraie délicate la princesse :

« Elle dit la première : " C'était Robert qui régnait, Grégoire V était pape, Basile III empereur d'Orient... – Et Othon III empereur d'Occident ", cria Henri qui se hâtait pour ne pas rester derrière sa soeur, et il ajouta : " Veremond II en Espagne. " Mademoiselle lui coupant la parole dit : " Ethelrède en Angleterre. − Non pas, dit son frère, c'était Edmond, Côte−de−Fer. " Mademoiselle avait raison, Henri se trompait de quelques années en faveur de Côte−de−Fer qui l'avait charmé ; mais cela n'en était pas moins prodigieux ».

Chateaubriand se lance dans une vieille vocation nostalgique dont il a le secret :

« Aimables enfants ! le vieux croisé vous a conté les aventures de la Palestine, mais non au foyer du château de la reine Blanche ! Pour vous trouver, il est venu heurter avec son bâton de palmier et ses sandales poudreuses au seuil glacé de l'étranger. Blondel a chanté en vain au pied de la tour des ducs d'Autriche ; sa voix n'a pu vous rouvrir les chemins de la patrie. Jeunes proscrits, le voyageur aux terres lointaines vous a caché une partie de son histoire, il ne vous a pas dit que, poète et prophète, il a traîné dans les forêts de la Floride et sur les montagnes de la Judée autant de désespérances, de tristesses et de passions, que vous avez d'espoir, de joie et d'innocence ; qu'il fut une journée où, comme Julien, il jeta son sang vers le ciel, sang dont le Dieu de miséricorde lui a conservé quelques gouttes pour racheter celles qu'il avait livrées au dieu de malédiction. »

On termine par un triste jeu de cartes ; les couloirs déserts du palais résonnent et frissonnent :

« Le jeu fini, le Roi me souhaita le bon soir. Je passai les salles désertes et sombres que j'avais traversées la veille, les mêmes escaliers, les mêmes cours, les mêmes gardes, et, descendu des talus de la colline, je regagnai mon auberge en m'égarant dans les rues et dans la nuit. Charles X restait enfermé dans les masses noires que je quittais : rien ne peut peindre la tristesse de son abandon et de ses années. »

Ce roi a toujours eu ma sympathie, c’est le vrai dernier roi, un roi de sacre. Comme dit Stendhal, on ne fut jamais aussi heureux que sous son règne. Alors, après le génie du christianisme, merci à Chateaubriand pour ce génie du royalisme.

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