Une nouvelle stratégie, la belle trouvaille que voilà

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Une nouvelle stratégie, la belle trouvaille que voilà


19 novembre 2003 — Nous allons vous confier un secret : en fait, les Américains n’ont changé ni d’avis, ni d’analyse. Les Irakiens devaient les accueillir en libérateurs, eh bien il est probable, non il est complètement certain que c’est ce qui s’est passé. Au fond de leurs coeurs les Irakiens ont effectivement accueilli les Américains en libérateurs... Comme le confie un spécialiste du genre (le genre psychologique) à Aviation Week & Space Technology (accès payant) du 10 novembre 2003 : « “It's not the Iraqi population that's the problem,” said USAF Gen. (ret.) Charles Horner, commander of the air war during the 1990-91 Persian Gulf conflict. “We need a quick-reaction force with a lower profile, otherwise we play into the hands of the terrorists who can now pick and choose their targets from among a lot of American troops.” »

La philosophie de l’analyse est la suivante : les Irakiens sont opprimés par les guérilleros, qui ne sont qu’une poignée, ou disons une grosse poignée, représentant les diverses variantes et forces du Mal. Les Irakiens sont forcés à une certaine hostilité, ou disons une certaine réserve à l’égard des Américains par ces guérilleros qui entendent faire passer les Américains pour des envahisseurs, ce qui est complètement faux. Les Irakiens ne sont pas coupables et ils en viendront évidemment à rejoindre le droit chemin (« It's not the Iraqi population that's the problem »). Recette : regroupons les Américains en une force victorieuse, légère et puissante, rapide et dévastatrice, et réduite en effectifs par rapport aux effectifs actuels ; chargeons cette force de détruire ces guérilleros et laissons “l’Irak aux Irakiens” pour qu’ils puissent faire leur démocratie évidemment américaniste.

C’est le “plan” que présente Patrick Buchanan, qui retrouve complètement l’esprit de la remarque du général Horner. Lisons Buchanan :


« ...I believe Bush and his War Cabinet may have another strategy in mind, which is this. The president intends to draw down U.S. forces to a hard core of fighters, perhaps 90,000, backed by U.S. air power, a force 15 times as large as the mobile U.S. force in Afghanistan. This force will carry the brunt of battle in a new war against the guerrillas and terrorists, and be less concerned with winning hearts and minds in the Sunni Triangle than killing enemy fighters. Operation Iron Hammer is the dress rehearsal for the new war.

» An Iraqi assembly will be elected and a leader chosen upon whom the United States can rely to fight a “long, hard slog.” This leader will, with U.S. training, rapidly expand the Iraq army and police forces. Unlike Vietnam's President Thieu, who was abandoned in 1973, this leader, like Hamid Karzai in Afghanistan, will be able to call on U.S. firepower to win any battle against attacking guerrillas.

» Goal: Convince undecided Iraqis, who cannot wish to be ruled by Saddam and the Ba'athists, or Islamic radicals, that America and her allies are going to win the war, so it is wiser and safer to cast their lot with us. »


Voilà pour Washington.

(Pour la réalité des choses, envisagée de façon plus sérieuse, lisons Martin van Creveld et ses sombres prédictions. L’homme est un solide spécialiste des questions de la région et des conflits modernes. Son analyse part d’un constat simple, qui laisse de côté les brillantes vaticinations stratégiques du “cabinet de guerre” de GW : « As the promise to advance the Iraqi elections to mid-2004 shows, the United States will lose — in fact already has lost — the war. The Americans will leave the country in the same way as the Soviets left Afghanistan: with the Iraqi guerrillas jeering at them. »)

Ce que nous disent les réflexions de Buchanan, sans nous attacher à l’éventuelle inspiration stratégique, c’est bien que les Américains continuent à faire la guerre à Washington, selon Washington, pour Washington et en fonction du temps qu’il fait à Washington. La brillante trouvaille que présente Buchanan apparaît comme la transformation d’un Irak en un “super-Afghanistan”, cela présenté presque sur un ton triomphant, comme si l’Afghanistan était une quasi-victoire (« he [Bush] puts his faith in winning the war rather than consigning Iraq to the Iraqi electorate and hoping for the best »). La beauté paradoxale et complètement ironique, sinon tragique au reste, du plan américain est simplement qu’il nous est présenté comme une formule pour l’emporter à moindres frais en Irak alors qu’il applique un modèle qui est en train de s’abîmer dans le chaos le plus complet en Afghanistan. (Mais cela, la situation en Afghanistan, n’a sans doute pas encore pénétré les bureaux climatisés du Pentagone.) En cela, finalement, nous rejoignons les sombres prédictions de van Creveld...

Washington est plus que jamais dans l’illusion virtualiste. L’aggravation de la situation en Irak n’a apporté aucune réflexion réaliste chez les Américains. Toute analyse reste appuyée sur la prémisse absolument intouchable du “nous sommes les plus forts, nous avons raison et nous allons gagner, — voyons maintenant comment cela va se passer”. A côté de l’évolution de la situation en Irak, l’évolution de la situation à Washington se poursuit selon le plan prévu  : aveuglement, incapacité de se référer au réel, le vaste théâtre mondial réduit aux rives du Potomac et aux analystes de la bureaucratie du Pentagone et ainsi de suite.