Un an plus tard, rien n’a changé, tout est différent

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Un an plus tard, rien n’a changé, tout est différent


24 septembre 2003 — Les titres nous disent une chose étrange. «  Bush's plea for UN help in Iraq sparks hostile response », pour The Independent. Le titre du Guardian est encore plus révélateur, pour notre compte : « Bush isolated as speech to UN falls flat ». C’est le mot “isolated” qui nous importe, parce que, notamment, il caractérise Bush comme il le caractérisait il y a un an, devant l’Assemblée Générale de l’ONU, lorsque s’ouvrait la grande saison qui vit l’affrontement au sein du Conseil de Sécurité avant la guerre.

En un sens, rien n’a changé. Les Américains sont toujours aussi isolés, les Français mènent toujours la charge, avec un Chirac toujours aussi plein d’alacrité lorsqu’il enfourche ce thème. Cette situation d’apparent immobilisme est, paradoxalement, une sorte de révolution, — “paradoxalement” parce que, en principe, la révolution est mouvement et qu’on dit à l’instant que rien ne change.

Toutes les prévisions sont démenties. La guerre contre l’Irak allait être un catalyseur qui allait déclencher des événements incontrôlables, marquant tout le déchaînement de la puissance américaine. La bataille de l’ONU jusqu’en mars 2003 était la dernière possible, un “baroud d’honneur” pour certains, à partir de laquelle les “rebelles” (lisez : la France) devraient se soumettre ou seraient expédiés dans les ténèbres glacés de l’isolement international ordonné par Washington et ses foudres. Rien de tout cela ne s’est accompli, comme on le sait bien.

La guerre contre l’Irak a l’étrange vertu d’immobiliser la puissance américaine dans ses contradictions et ses limites. Elle conduit ceux qui s’y opposèrent en octobre 2002-mars 2003 comme s’il s’agissait du combat ultime contre le déferlement, à découvrir que ce combat n’était en fait qu’un début, — ressuscitant ironiquement le fameux slogan de mai 68. C’est une bataille âpre et intense, et surtout indécise, — c’est la surprise, — qui a commencé l’année dernière et qui se poursuit aujourd’hui, comme on l’a vu à la tribune des Nations-Unies.

Cette bataille concerne, non pas le terrorisme mais l’organisation du monde et la puissance américaine, et, au-delà, la stabilité du régime américain. Elle se concentre autour, — pour ou contre, — les prétentions américaines à être à la fois centre du monde, l’organisateur des relations dans le monde, l’hégémonisme sur ce monde et la force de déstructuration des systèmes en place. L’enjeu est considérable, sans précédent par la façon dont il rassemble toutes les crises courantes et potentielles du monde. Il se divise principalement en deux thèmes :

• La structure du monde et l’orientation de sa civilisation dominante. Entre la globalisation prédatrice et sans frein, et les forces s’opposant à elle (sans qu’on sache, ni elles-mêmes d’ailleurs, ce qu’elles opposent), c’est une bataille intense qui ne pourra plus se conclure par un armistice ou un modus vivendi. La guerre en Irak fait partie de cette bataille dans la mesure où elle continue à opposer, non pas sur le terrain mais sur la gestion des choses, ceux qu’on voit traditionnellement comme des “alliés”. On a parfaitement retrouvé cette opposition à l’ONU, qui devient le terrain central de l’expression de cet affrontement.

• L’état de l’Amérique, son évolution, le caractère critique de sa situation intérieure dans la mesure où les projets révolutionnaires et déstructurants de son administration n’ont pas été transcrits dans la réalité. Il est caractéristique qu’un commentateur comme l’historien George Davis Hanson, historien favori des extrémistes néo-conservateurs US, signe une chronique où il fait à la fois le panégyrique de la puissance US, — on le jugera exagéré, c’est le moins, mais Hanson est dans son rôle, — et l’écho d’une très profonde inquiétude qui parcourt aujourd’hui toute la direction US, sur l’équilibre même de cette nation. Écoutez Hanson, l’homme qui, d’habitude, chante jusqu’à l’ivresse la puissance et la brutalité de la force US :


«  Our real challenge is not the conduct of the war, not the money, not even the occasionally depressing news from Iraq. After all, if the problem is manpower, there are tens of thousands of idle Iraqis. If the problem is money, Iraq will shortly be a very wealthy oil-exporting country. If the problem is know-how, no one better than the United States understands how to establish a free market, democratic society.

» No, it is more a psychosocial malaise, a crisis of confidence that is beginning to creep back into the national mood a mere two years after September 11, fueled by election politics. Too many of us have forgotten that we are in a global war, and that victory demands tenacity, sacrifice, and adherence to unpopular beliefs and values. »


La solitude de George W. Bush hier à l’ONU, qui n’avait rien de pathétique ni d’émouvant mais tout pour illustrer l’indifférence du monde et l’entêtement d’une psychologie immature, est un grand événement même s’il illustre en apparence ce qui pourrait apparaître comme de l’immobilisme. Cet immobilisme montre que la matière (le reste du monde) résiste et que la puissance déchaînée de l’Amérique a rencontré des limites qui ouvrent des abîmes tels qu’elle (l’Amérique) est parfois, de plus en plus, prise de vertiges. (Nous aussi, d’ailleurs, tant l’enjeu est immense.)