Rumsfeld nous dit tout, à nous de l’entendre

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Rumsfeld nous dit tout, à nous de l’entendre


10 juillet 2003 — Cette fois, Donald Rumsfeld, le secrétaire à la défense, ne nous cache rien. Il nous donne l’explication centrale de la cause de la guerre contre l’Irak. Tout le reste est inutile, redondance, fabrication, mensonges plus ou moins tactiques et ainsi de suite. Même Blair, de l’autre côté de l’océan, devrait avoir son bec cloué, lui qui continue à jouer mordicus à l’homme d’État qui a décelé un danger immédiat chez Saddam.

Voyons ce que dit Rumsfeld, dans un témoignage donné devant la Commission des Forces Armées, au Congrès (selon le rapport qu’en fait le Washington Times).

« The United States went to war in Iraq not because of new intelligence about banned weapons but because Iraqi dictator Saddam Hussein’s previously known programs were viewed differently after the September 11 attacks, Defense Secretary Donald H. Rumsfeld told senators yesterday.

» “The coalition did not act in Iraq because we had discovered dramatic new evidence of Iraq’s pursuit of weapons of mass murder,” Mr. Rumsfeld said. “We acted because we saw the existing evidence in a new light, through the prism of our experience on September 11th.”

» In a wide-ranging hearing before the Senate Armed Services Committee, Mr. Rumsfeld defended the war and the U.S. intelligence used to justify it. “The objective in the global war on terror is to prevent another attack like September 11th, or a biological, nuclear or chemical attack that would be worse, before it happens. We can say with confidence that the world is a better place today because the United States led a coalition of forces into action in Iraq,” Mr. Rumsfeld said. »

Rumsfeld nous l’explique précisément, une fois écartées les banalités sur les “preuves” existant déjà avant 9/11 : l’attaque 9/11 a complètement changé la vision du monde de la direction US. Selon cette logique, ce qui était à peu près supportable de la part de Saddam avant 9/11, ne l’a plus été du tout après. L’explication est claire. Cela ne signifie pas que l’attaque est justifiée ; cela signifie que la direction US, qui vit désormais dans un autre monde depuis le 11 septembre 2001, affirme que l’attaque est justifiée dans ce “nouveau monde”. Nous sommes en plein unilatéralisme, non pas une politique unilatéraliste mais une psychologie unilatéraliste. La psychologie du système américaniste, donc de ses membres et de ses dirigeants, a été décisivement changée par 9/11. Alors qu’elle l’était de façon latente certes, de façon contrôlable en général, elle est devenue complètement et absolument unilatéraliste. Depuis, la direction américaniste conçoit les choses en fonction de cette “réalité”-là, la nouvelle “réalité”. Le reste (preuve, pas preuve, WMD ou pas, les problèmes de Blair, les alliés européens qui jacassent, etc) n’importe pas.

C’est un rare moment de franchise. Il renvoie tous les vains débats sur l’illégalité de la guerre, sur les causes de la guerre, tels par exemple qu’ils sont développés au Royaume-Uni, dans un univers qui n’a rien de commun avec l’univers washingtonien. (Ce pourquoi la crise britannique, avec Blair ayant choisi l’alignement inconditionnel sur Washington, n’est pas prête de finir ; elle ne cessera que lorsque ce problème de l’alignement sur les USA sera tranché à Londres, dans un sens ou l’autre.)

Ce “rare moment de franchise” (pas étonnant qu’il vienne de Rumsfeld) doit nous faire réfléchir gravement. Rumsfeld ne décrit pas un accident, quelque chose de marginal. Il décrit une évolution décisive de la psychologie américaniste, aboutissant à la politique irakienne. Tout cela peut sembler momentanément se diluer, s’éparpiller, par exemple comme en présence des difficultés irakiennes d’aujourd’hui. Il reste la profondeur du choc, le traumatisme si l’on veut.

Il est illusoire de croire que le traumatisme s’est dissipé ou s’est atténué, d’autant plus que personne ne s’oppose vraiment aux USA ni ne dit tout haut la vérité du jugement des autres sur la politique de Washington. (En d’autres mots : “...d’autant que personne n’ose faire une psychanalyse de la direction washingtonienne.”) L’unilatéralisme américain est complètement psychologique, il s’agit en réalité d’une solitude pathologique du jugement qui met la conception de Washington dans un univers différent du nôtre. C'est là toute la crise américaine aujourd'hui, parvenue à son paroxysme.

Les diverses platitudes, palinodies et servilités des différents “alliés” de Washington, notamment européens, n’ont pas la moindre chance de nous rapprocher des Washingtoniens ni d’éclaircir leur vision, ni de contribuer à résoudre la crise. Elles aggravent la pathologie washingtonienne, en acceptant comme réelle sa perception déformée du monde. Notre responsabilité est immense, bien plus grande que celle des Washingtoniens. (A moins que nous-mêmes, nous ayons notre propre maladie de la psychologie ?)