Mémo pour Sarko: à Washington, voyez Hagel, Fallon et quelques autres

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Mémo pour Sarko: à Washington, voyez Hagel, Fallon et quelques autres


2 novembre 2007 — On sait que c’est une spécialité occidentale et vertueuse de rencontrer, dans les pays étrangers, en général pas assez “dans la ligne” du Washington consensus, quelques personnalités bien-pensantes de l’opposition. C’est un traitement spécialement réservé à Poutine, ce qui permet ensuite de s’exclamer à propos de sa mauvaise humeur dont on fait le signe d’une manifeste tendance anti-démocratique. Sur les conseils éclairés de son sémillant ministre des affaires étrangères, Kouchner qui est le successeur de Vergennes et de Talleyrand, – cela montre que rien n’arrête le progrès, – Sarko s’est exécuté à Moscou le mois dernier.

Sarko va à Washington la semaine prochaine. Alors, pourquoi ne pas poursuivre sur cette pente audacieuse, cette tendance si diplomatiquement fructueuse et qui vous met tant de vertu au coeur? Pourquoi ne pas compléter son brevet de démocrate humanitariste? Pourquoi ne pas poursuivre à Washington ce qu’on a si bien commencé à Moscou?

Bien. Voici donc notre conseil au président français. Chargez votre ministre des affaires étrangères de l’importante mission d’aller saluer la majestueuse sculpture de Lincoln dans son fauteuil, dans le hall du Capitole, – il aime, Kouchner; ou bien, perdez-le sur les pelouses autour du mémorial Jefferson et éclipsez-vous pour rencontrer, en tête-à-tête et discrètement, le sénateur républicain du Nebraska Chuck Hagel; et même, s’il est de passage à Washington (cela peut s’arranger), voyez aussi l’amiral Fallon, U.S. Navy, chef de Central Command. (Peut-être arrangerez-vous aussi un rendez-vous avec Ron Paul qui joue à l'insurgé sur Internet, un autre avec Dennis Kucinich qui pourrait forcer la Chambre à voter sur la destitution du vice-président des Etats-Unis, la semaine prochaine, après tout comme pour saluer votre venue, président Sarko.)

Le président français Nicolas Sarkozy pourrait parler avec ces éminentes personnalités. Elles ne sont pas de l’opposition-scandale, de l’opposition médiatique, de l’opposition-spectacle ; elles sont plutôt de l’opposition qu’on ne veut pas voir, l’opposition US, l’opposition fantôme de Washington à ciel ouvert, cette chose incroyable de gens pas d’accord avec le gouvernement US et sa politique. Avec eux, le président français pourrait parler du traitement actuel de l’Iran par les USA, de la façon dont est déterminé ce traitement au sein du gouvernement des Etats-Unis organisé en bandes rivales, du traitement futur que certains dans ces bandes veulent appliquer à ce pays sous la forme d’une attaque avec une très, très grosse bombe; la conversation pourrait même s'élargir, sur l’état du gouvernement, sur les mécanismes du complexe militaro-industriel, sur l’art combiné de la corruption et du gaspillage, sur le virtualisme et toutes cette sorte de choses. Hagel, Fallon et les autres, comme ne doit pas l’ignorer l’ambassade de France à Washington qui fait des notes pour l’Elysée, sont des fréquentations qui ne dépareraient pas le président français. De telles rencontres ne feront pas traiter Sarko l’Américain d’anti-américanisme et Bernard-Henri Levy sera complètement rassuré. Par conséquent, il (Sarko) peut y aller sans crainte.

D’abord, il donnera l’impression de ne pas paraître trop monotone en réservant aux gens de mauvaise réputation (Poutine & Cie) les soupçons convenus qui sont en général la réaction des gens comme-il-faut pris la main dans le sac. Ensuite, il donnera l’impression d’aller un peu plus vers le fond des choses à Washington, au-delà du dernier article de Glucksman ou des réponses du ministre français des affaires étrangères aux questions de ses amis de la presse parisienne. A l’occasion il pourra s’informer, sans insistance déplacée, à propos de la question du respect des droits de l’homme dans les villégiatures de Guantanamo et d’Abou Ghraïb. Il pourra aussi découvrir l’hypothèse que la situation au cœur de la grande Amérique n’est pas aussi idyllique que dans les colonies de vacances du Maine où les présidents se reposent. Le champ est vaste, où l’intérêt présidentiel pourra prendre ses aises et l’esprit se débarrasser de sa gourme.

La France aurait beaucoup à y gagner. Elle pourrait dire plus que jamais que l’Amérique est son amie puisque son président n’hésite pas à y élargir le cercle de ses relations, et que d’un ami on peut tout entendre autant qu’on peut tout lui dire. Le président devrait à vraiment écouter et entendre Hagel, Fallon et les autres. Sarko, comme la France, auraient la sensation de commencer à découvrir l’Amérique, la vraie. Ce serait un début.

La France et Sarko et la France grâce à Sarko, – ou Sarko grâce à la France? – ils feraient œuvre de pionnier. Ils commenceraient à manifester publiquement, autant qu’à envisager pour leur compte, que l’Amérique ne se résume pas aux maximes bien-pensantes des salons parisiens; qu’il se pourrait qu’elle soit un phénomène plus complexe que l’ébahissement qu’elle provoque chez nous en guise de réflexion; un phénomène sans but et sans espoir historique, qui n’a d’argument que son poids trompeur et sa mécanique faussaire; un phénomène enfermé dans une crise folle et lancé dans une course débridée, qui bouleverse notre temps historique et l’équilibre du monde jusqu’à la tentation d’une pente peut-être fatale. L’un et l’autre commenceraient peut-être à se douter que l’Amérique est une ambition pathologique étrange qui nous entraîne dans un tourbillon catastrophique.

Bien sûr, ce n’est qu’un début, comme ils disaient en Mai. Il faudra poursuivre pour concrétiser le doute, renforcer l’impression, mieux saisir l’aperçu. Il sera temps alors de passer à l’étape suivante, par exemple en lisant William Pfaff qui nous entretient de la dystopie de l’empire: «Paranoia reigns in some American circles, close to leading Republican candidates… All this might be taken as reason for American fear of what is to come. But the dystopic future thus described is impossible. What can come is a United States that burns itself out in the attempt to deal with its paranoid fantasies.»

Ainsi, tradition respectée, les voyages forment-ils la jeunesse de l’esprit.


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