Y aller et retour

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Y aller et retour


9 juillet 2007 — C’est le même jour ou presque que la presse, dans divers lieux du soi-disant imperium anglo-saxon, nous annonce qu’il faut partir, — et que cela ne fut pas si simple d’y aller, contrairement à ce que l’on crut. L’aventure irakienne, plus elle se découvre, plus elle apparaît comme une monstrueuse machinerie accouchant d’une souris dont on ne ferait qu’une bouchée, laquelle souris s’avérant finalement être un monstrueux Frankenstein plus gros que la montagne accoucheuse, — et tout le monde ou presque, finalement, craignait qu’il en serait ainsi.

• Certes, le New York Times recommande, ce 8 juillet, de s’en retourner chez soi («The Road Home») . Il commence son long éditorial par cette simple phrase, cette phrase définitive, marquant le terme de la longue bataille pour la sagesse conduite par le journal de référence qui glapissait des cris et des impostures de guerre en 2002-2003, comme une vulgaire Pravda, parée des atours d’un tabloïd de Fleet Street : « It is time for the United States to leave Iraq, without any more delay than the Pentagon needs to organize an orderly exit.»

Hier encore, le Sunday Times publie un article qui nous révèle à la fois combien Colin Powell tenta de convaincre Bush de ne pas partir en guerre, et combien aujourd’hui tant de monde (surtout Gates au Pentagone) tente de préparer un retrait des forces US d’Irak

«The former American secretary of state Colin Powell has revealed that he spent 2½ hours vainly trying to persuade President George W Bush not to invade Iraq and believes today’s conflict cannot be resolved by US forces.

»“I tried to avoid this war,” Powell said at the Aspen Ideas Festival in Colorado. “I took him through the consequences of going into an Arab country and becoming the occupiers.”

(…)

»The signs are that the views of Powell and other critics of the war are finally being heard in the Pentagon, if not yet in the White House. Robert Gates, the defence secretary, is drawing up plans to reduce troop levels in Iraq in anticipation that General David Petraeus, the commander in Iraq, will not be able to deliver an upbeat progress report in September on the American troop surge.

»“It should come as no secret to anyone that there are discussions about what is a postsurge strategy,” said Tony Fratto, deputy White House press secretary, last week.

»The surge’s lack of demonstrable success is creating fissures in the Republican party as well as putting enormous pressure on the Democratic presidential candidates to favour a rapid pull-out, which Gates fears could leave Iraq in chaos.

»New Mexico senator Pete Domenici became the third Republican senator in recent weeks to break ranks openly with Bush on the war. “We cannot continue asking our troops to sacrifice indefinitely while the Iraqi government is not making measurable progress,” he said. “I am calling for a new strategy that will move our troops out of combat operations and on the path home.”

»Speculation is growing that Gates will demonstrate his commitment to withdrawing US forces by moving a combat brigade of up to 3,000 troops out of Iraq as early as October and continuing to reduce their numbers month by month from their current strength of 160,000 to presurge levels of around 130,000 by the summer of 2008.»

• Le lendemain (c’est-à-dire aujourd’hui), The Independent publie des extraits des carnets (The Blair Years) d’Alastair Campbell, le grand chef de la communication de Tony Blair, le spin doctor par excellence, l’homme de fer dont on a découvert depuis qu’il est coutumier des dépressions nerveuses et des doutes qui vont avec ou qui en sont la cause. Le livre est mis en vente aujourd’hui. Campbell nous apprend que tous sauf Tony Blair, dans le cabinet britannique et alentour, entretenaient les plus sérieux doutes sur cette invasion de l’Irak ; et que la partie US n’était, après tout, pas plus assurée de l’aventure.

«All of Tony Blair's closest aides had “severe moments of doubt” about his decision to join the American invasion of Iraq, Alastair Campbell reveals in his diaries, published today.

»Downing Street's former director of communications suggests that Mr Blair was the only member of his inner circle who did not have private reservations about the decision to topple Saddam Hussein.

»The Blair Years describes the scene in the former prime minister's Commons room after he won the crucial vote on the eve of the war despite a rebellion by 139 Labour MPs. He wrote at the time: “All of us, I think, had had pretty severe moments of doubt but he hadn't really, or if he had he had hidden them from us. Now there was no going back at all.”

»The previous day, the Cabinet met without Robin Cook, who had resigned over the war. According to Mr Campbell, John Prescott, John Reid and one or two other cabinet ministers “looked physically sick”.

»Clare Short, who did not resign for another two months, told colleagues: “I'm going to have my little agonising overnight.” Mr Campbell accuses her of “making a complete fool of herself”.

»In a prophetic remark, Mr Reid told the Cabinet: “We will be judged by the Iraq that replaces Saddam's Iraq, and by the Middle East.” Lord Irvine of Lairg, then Lord Chancellor, warned that the public would think America and Britain needed a further United Nations resolution before taking military action because the Government had made so much effort to get one. Mr Blair admitted that public opinion in Britain was less favourable towards intervention than in the United States.

»The Campbell book sheds light on a dispute at the highest levels of the Bush administration over whether it should back Britain's call for another UN resolution. Six months before the invasion, Karen Hughes, President George Bush's communications adviser, said “not too convincingly” that the US President was always going to go down the UN route, Mr Campbell writes. But Dick Cheney, the Vice-President, “looked very sour” throughout talks at Camp David because he favoured immediate action. “After dinner, when TB and Bush walked alone to the chopper, Bush was open with him that Cheney was in a different position,” says Mr Campbell.»

Le piège de la Fin Dernière

C’était donc cela. Comme vous et moi, comme des millions d’imbéciles adeptes de l’“esprit de Munich” descendus dans les rues du village globalisé en février 2003, comme ces stupides et lâches Français, ces “cheese-eating surrender monkeys”, comme ce pourri de Chirac qui ne sut même pas traiter Saddam comme BAE traite Prince Bandar, — eh bien, il s’avère qu’il aurait mieux valu ne pas y aller et que nombre d’entre eux n’avaient pas vraiment envie d’y aller. Le courageux Colin Powell, qui eut son heure de gloire d’une gloire ignorée (au contraire de la gloire du 5 février 2003 devant l’ONU et le monde, présentant les preuves flagrantes et fabriquées de l’infamie saddamesque), Colin eut son heure de gloire ignorée de tout de même deux heures et demi, pour tenter de convaincre Bush de ne pas y aller ; lequel, d’après Campbell, n’aurait pas toujours eu vraiment envie d’y aller, mais il fallait bien y aller puisque Cheney boudait dans son coin. Le clairvoyant Reid, l’homme de la mobilisation apocalyptique et anti-terreur des attentats de Londres du 7 juillet 2005, qui les avertissait tous : «We will be judged by the Iraq that replaces Saddam's Iraq, and by the Middle East.» Même les courageuses pommes frites, passées un temps de l’infâme surnom de “French fries” au courageux titre de noblesse de «Freedom fries”, en étaient entre temps revenues, l’huile devenue rance, à “French fries”.

Et ainsi de suite, jusqu’au New York Times, prenant sa pontifiante baguette de maître en morale politique et en morale tout court, pour nous avertir, nous autres pauvres mortels qui avons cru aux folies du roi George post-moderne : mes bien chers frères, «This country faces a choice…» Alors, regagnez l’empire de la raison que vous n’auriez jamais dû quitter et écoutez la voix de la raison de l’inaltérable vertu : «We can go on allowing Mr. Bush to drag out this war without end or purpose. Or we can insist that American troops are withdrawn as quickly and safely as we can manage — with as much effort as possible to stop the chaos from spreading.» Le NYT a eu assez de patience, sa patience est à bout devant ce roitelet de la Maison-Blanche qui, seul, entraîna cette belle nation sur la voie de l’erreur grossière et fatale, — et il recommande le retrait : «Like many Americans, we have put off that conclusion, waiting for a sign that President Bush was seriously trying to dig the United States out of the disaster he created by invading Iraq without sufficient cause, in the face of global opposition, and without a plan to stabilize the country afterward.»

(Pour le reste, voyez ce qu’ils nous disaient au temps de la raison et de la morale également triomphantes, mais dans le mode extatique.) (Ah oui… Ils étaient tous hésitants voire contre, sauf un, sauf l’inaltérable Tony, l’homme au sourire entre les dents. Celui-là y a cru depuis le début et y croira jusqu’au bout. Dont acte. Mais Tony s’est échappé de l’asile, il s’est fait remplacer par Gordon Brown.)

Et ainsi de suite (bis)… Nous pourrions poursuivre sur la voie du sarcasme. Ce n’est pas utile. Ces pantalonnades sur ce que fut la guerre et ces rebuffades vertueuses d’aujourd’hui sur ce qu’est devenue cette guerre doivent plutôt nous conduire à une réflexion, — pardonnez-nous nos tics et nos offenses, chers lecteurs, — inspirée de Joseph de Maistre. Ce que nous montrent ces diverses agitations, en vérité, c’est moins la folie humaine que l’inimaginable grandeur de la faiblesse humaine, — mais l’on dira que la folie est peut-être fille de la faiblesse ou vice-versa, — qui sait? Nous parlons de “faiblesse” dans le sens de la pauvreté du caractère, de la médiocrité de l’esprit, de la pusillanimité de l’âme, de la lâcheté du comportement et de la perversion de la psychologie. Il n’y a rien de fondamentalement mauvais ou de puissamment pervers, bref rien d’en-dehors du commun chez tous ces acteurs de série B propulsés au centre de la scène. (Sauf peut-être un vrai fou ou tel autre lunatique, glissé là par inadvertance, un Cheney, un Blair.)

Effectivement, le spectacle qui nous est offert, des hésitations d’hier aux trahisons de soi-même d’aujourd’hui, ressemble plus à celui d’une agitation de créatures débordées et sans véritable autonomie qu’à un complot formidable à l’échelle de la planète. Il est temps de ressortir notre citation favorite, pour la nième fois, simplement en l’ “actualisant” par un changement de notre cru, que Maistre nous pardonnera tant l’esprit de la chose reste intact ; tant cette citation, effectivement, décrit à merveille les années 2002-2007 : «On a remarqué, avec grande raison, que la [guerre en Irak] mène les hommes plus que les hommes la mènent. Cette observation est de la plus grande justesse... [...] Les scélérats mêmes qui paraissent conduire la [guerre], n'y entrent que comme de simples instruments; et dès qu'ils ont la prétention de la dominer, ils tombent ignoblement.»

Effectivement, rien de plus frappant que cette situation de mécanique qui a embrasé et emporté l’Amérique, et le monde avec elle, vers ce conflit étrange et monstrueux. Chemin faisant, on nous a servi tous les arguments rationnels qui vont bien, — car aucun n’est faux mais aucun n’est substantiellement suffisant : l’hégémonie, le pétrole, l’euro à la place du dollar pour commercer le pétrole irakien, la démocratie, la vengeance du père humilié et ainsi de suite ; on a même présenté l’argument du terrorisme qu’il faut éradiquer, c’est dire que rien n’a manqué à l’appel. Mais il y a au départ une sorte de monstre mugissant et rugissant, ce que James Carroll traduit en House of War en parlant du Pentagone ; chacun a sa traduction, qu’importe ; le fait est d’une mécanique irrésistible, d’une puissance à couper le souffle, et “les scélérats” n’y sont là que comme “de simples instruments”, — qu’ils se nomment GW, Rumsfeld, Richard Perle, Campbell. Pour cette raison de la présence d’une force de cette puissance, il nous paraît bien improbable qu’on puisse terminer l’affaire simplement en tirant l’échelle et en disant : “Pouce, on ne joue plus”. Car, autour de cette mécanique, il y a la peur, comme le dit William Pfaff, et, là-dessus, l’échelle ne peut être tirée comme au Vietnam : «No door can be closed this time because both Democrats and Republicans have interiorized the idea of the global war against terror. Integral to that is fear. As the president has repeatedly reminded Americans, Terror will again strike the United States. Polls indicate widespread anxiety about new attacks of Middle Eastern origin, or by Moslem individuals.»

Qui plus est, les individus ont changé, même les “scélérats” les plus communs. Ils se sont endurcis, ils se sont bronzés. Ils y croient. Ils n’ont rien appris, parce que ce n’est pas là leur ambition, parce qu’ils n’ont rien à apprendre ; ils se sont confortés dans ce qu’ils croient être une conviction et ils sont bien décidés à tenir jusqu’au bout de leurs forces. Il sera bien difficile de faire plier GW, l’homme à la volonté de fer. Quand les sondages donneront – 5% (moins 5%) d’opinions positives pour lui, il pourra proclamer qu’Il est seul avec Dieu (et Cheney) à savoir la vérité. C’est une position qui se défend.

Il y a dans l’affaire irakienne comme une sorte de perfection. Il ne semble pas qu’on puisse, du point de vue de l’entrepreneur de la chose et du point de vue des affaires terrestres, faire pire, — plus bête, plus cruel, plus dévastateur, plus mal et plus inutile, — non ce n’est pas possible. Cela doit cacher quelque chose, — là, d’un autre point de vue; peut-être, une façon comme une autre d’attirer le monstre rugissant et mugissant dans le piège de sa Fin Dernière.