Le système BMD plonge dans la bouilloire washingtonienne

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Le système BDM plonge dans la bouilloire washingtonienne


21 mars 2007 — Les choses allant vite, suivons-les à leur rythme. Le 17 mars, nous faisions état de l’ idyllique vision pentagonesque de l’affaire des missiles anti-missiles (BMD). Nous mentionnions en passant combien, dans tous les cas, cette affaire importait, du point de vue du Pentagone, d’abord dans le domaine intérieur ; et combien ce domaine intérieur était perçu, ou disons présenté dans tous les cas, comme favorable et devenant de plus en plus favorable :

«L’affaire des BMD se joue donc, du point de vue US, simplement et uniquement au niveau intérieur, — où, d’ailleurs, les choses se présentent de la meilleure des façons possibles (“Eric Edelman, U.S. defense undersecretary for policy, said he believes the deployment plan has bipartisan support in Congress”).»

C’est cette dernière phrase (citation en anglais) qui nous arrête. Venue d’un article de Defense News du 16 mars, elle est exactement, parfaitement, complètement, absolument contredite par cet article du même Defense News du 20 mars, exactement sur le même sujet, comme nous le dit le titre lui-même : «Officials: Congress Faces Temptation of Missile Cuts To Pay Mounting Bills». Bien entendu, Defense News n’est pas en cause. L’hebdomadaire et son site quotidien ne font que refléter l’évolution des choses, — extrêmement rapide, on le confirme.

L’article du 20 mars détaille l’état d’esprit du débat washingtonien, rencontré lors d’une conférence à Washington le 19 mars. L’on y voit notamment le même général Obering de l’USAF si optimiste en Europe, montrant un pessimisme bien différent à Washington.

«“Sustaining the high level of funding” the Missile Defense Agency (MDA) has received in recent years “will be a challenge” as Congress continues work on a three-part budget package the White House sent to Capitol Hill in February, Sen. Daniel Inouye, D-Hawaii, chairman of the Senate Appropriations defense subcommittee, said at a March 19 conference in Washington hosted by the AIAA and MDA.

(…)

»While the senior Democrat did not address the scope of potential missile defense cuts, Lt. Gen. Henry Obering, chief of MDA, issued a blunt warning about the upcoming budget cycle.

“There is the potential for a significant reduction in spite of [the] support” that has been building on Capitol Hill for U.S. missile defense programs, Obering told the conference.

»To safeguard its funding levels, Obering said MDA and missile defense proponents must “re-affirm the need for missile defense.”

»Another appropriator, Rep. Todd Tiahrt, R-Kan., also said missile programs “will be an important topic” during the 2008 budget cycle. He warned that there will be “a temptation” among appropriators to take from the MDA budget to pay for other things.

»“Congress will have to make tough decisions on missile defense,” Tiahrt said.»

L’affaire est simple. Malgré son budget pharaonique, le Pentagone est au bord de la banqueroute. La situation de l’U.S. Army et du Marine Corps est très grave. Il faut de l’argent, encore de l’argent. Il faut désormais trouver cet argent dans d’autres programmes. Les grands programmes de technologies avancées, très coûteux, à l’utilité douteuse même dans l’atmosphère virtualiste de Washington, sont les bonnes cibles : par exemple, le JSF et, nouveau venu dans le tir aux pigeons, le programme BMD. L’affaire est grave pour qu’on songe à toucher au BMD, qui est jusqu’à ce jour une des principales “vaches sacrées” de l’administration GW Bush.

Pressions sur les Européens

On mesure l’ambiance et on apprécie les indications que nous donne cette passe d’armes où tout le monde est d’accord pour dire que tout va mal.

• D’abord, nous avons une indication éclairante selon laquelle les Européens sont informés en priorité des appréciations totalement mensongères et absolument virtualistes du Pentagone, démenties trois jours plus tard. L’incroyable contraste entre l’optimisme du 16 mars à Paris et le pessimisme du 19 mars à Washington mérite de faire date.

• Bien entendu, c’est Washington qui compte, et le Congrès en particulier. Comme on le constate, la crise qui s’est nouée fortement en Europe commence à se nouer également à Washington, dans le domaine aujourd’hui essentiel du budget.

• Face à cette crise, la bureaucratie ne désarme pas, bien au contraire. Elle lance un appel à la mobilisation générale (« Obering said MDA and missile defense proponents must “re-affirm the need for missile defense”»).

La scène de la crise est désormais bien campée. Elle a pris ouvertement les allures générales d’une crise transatlantique sur la stratégie européenne et les armements : un“dialogue” bureaucratie (Pentagone)-Europe, un dialogue bureaucratie (administration)-Congrès. Inutile de dire que, pour la bureaucratie (administration en général et Pentagone), l’essentiel de la partie est confirmé comme étant à Washington. Il s’en déduit que la bureaucratie va être de plus en plus tentée de se servir des Européens comme outil pour combattre son infortune. Il serait alors demandé aux Européens de suivre et de servir de moyens de pression sur le Congrès, notamment en proclamant leur besoin fondamental du système, éventuellement en y participant, — par exemple, pourquoi pas, au niveau des charges (budgétaires, oui oui) …

Il est possible d’entrevoir des prolongements intéressants, si cette tension budgétaire avec le Congrès se confirme. Le Pentagone va être pressé pour montrer l’importance fondamentale, selon lui, du système. (Pour l’instant, rien n’indique que l’un ou l’autre centre de pouvoir à l’intérieur de l’administration s’oppose à l’expansion accélérée du système.) Le Pentagone le fera en faisant feu de tous ses moyens de pression. Cela devrait impliquer notamment :

• Des pressions renouvelées sur les Européens, soit pour leur engagement dans le système (les Polonais et les Tchèques), soit pour leur soutien au système. A contrario, les adversaires du système (les Allemands d’abord) vont être l’objet de pressions hostiles, d’origine bureaucratique US autant que d’origine des pays européens engagés dans le système. Tensions garanties.

• Il est effectivement possible que le Pentagone envisage, d’une façon ou l’autre, de demander une participation européenne autre que l’engagement actuel. Le Pentagone peut très bien demander un soutien financier à ceux qui “profiteront” de la protection du réseau BMD sans prendre le risque d’en abriter des bases. La demande pourrait même s’adresser aux adversaires de l’installation du système, pour corser le débat.

• Il est également possible que le Pentagone adopte une tactique d’“otanisation” : accepter la demande allemande de porter le cas du système BMD devant l’OTAN. Mais, pour la bureaucratie pentagonesque, il s’agirait d’obtenir un soutien de l’OTAN à ses demandes, y compris d’éventuelles demandes budgétaires ; avec la menace qu’un refus déclencherait une crise existentielle de l’OTAN. Dans ce cas de dramatisation de la crise, il est possible que le Pentagone soit soutenu par tout le monde à Washington, y compris par le Congrès qui cherche désespérément de l’argent pour les forces armées en crise grave.

• Dans ce cas, d’autres complications apparaîtraient. Les Français, par exemple, semblent aujourd’hui hostiles à l’entrée de la “crise-BMD” au sein de l’OTAN.

L’imbroglio s’étend, se ramifie, se complique. La crise se noue en un nombre de plus en plus élevé de dispositifs de blocage et d’occasions de confrontation. Plus cette évolution progresse, plus il apparaît que la crise est de plus en plus transatlantique, bien plus qu’avec les Russes bien que la chose en soit l’occasion. Le sourire des Russes devant le désordre causé à l’ensemble UE-OTAN-USA ne cesse de s’élargir.