Comment l’insupportable Pologne contribue à sauver ce qui peut l’être de l’Europe

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Comment l’insupportable Pologne contribue à sauver ce qui peut l’être de l’Europe


11 novembre 2006 — Les nouvelles venues de Pologne sont dans la nature des choses. Elles décrivent une offensive puissante et continue des dirigeants polonais contre toute initiative européenne 1) qui ne sied pas aux intérêts nationaux polonais, dans un sens très strict ; 2) qui ne sied pas aux intérêts nationaux américanistes, dans le sens de l’influence américaniste en Europe. A cet égard, les Polonais sont une bénédiction : ils jouent cartes sur table et ne laissent personne dans le doute.

Détaillons quelques-unes des dernières nouvelles :

• L’annonce par EUObserver, aujourd’hui, que la Pologne mettra son veto à la signature du “traité de partenariat stratégique” entre l’UE et la Russie sur les questions d’énergie. Explications :

«Poland is threatening to veto a new EU-Russia ‘Strategic Partnership Treaty’ unless the text calls on Russia to ratify an earlier Energy Charter Treaty (ECT) on gas and oil market access, in the latest in a line of unilateral positions taken by Warsaw.

»Asked by EUobserver in Warsaw on Thursday (9 November) if Poland would block the EU's common position on the Strategic Partnership Treaty if it does not contain an explicit call for ECT ratification, Poland's Europe minister Witold Sobkow answered “Yes, without any problems.”

»“We want Russia to respect what is written in the existing [treaties],” he added. “We want to talk to Russia, we don't want to isolate it. We want to start from a position of friendship but also to speak with a strong voice. This is what we think knowing Russia, knowing how it works.”

»The politician hinted the veto threat could be traded for other concessions toward Polish national interests in the Strategic Partnership Treaty, mentioning Poland's opposition to the planned Russian-German Baltic Sea gas pipeline and Russia's year-long blockade of Polish meat and vegetable exports.

(…)

»The remarks come ahead of an EU foreign ministers meeting in Brussels on Monday that will discuss EU ratification of a “common position” on the new EU-Russia pact, but if Poland blocks the common position it could delay the launch of EU-Russia treaty negotiations in Finland on 24 November.

»Russia has refused to ratify the ECT – a 1991 multinational pact on access for EU firms to former Soviet Union pipelines and gas fields – for the past 15 years, with most EU member states and the European Commission losing hope and favouring the insertion of more pragmatic energy market “principles” in the new EU-Russia treaty instead.»

• Ce matin, dans l’International Herald Tribune, William Pfaff s’interroge sur la proposition du SPD allemand de créer une “armée européenne” de 100.000 hommes. Il note dans le cours de son texte:

«However, the Atlanticist members of the EU don't need to be told the time of day. President Lech Kaczynski of Poland immediately said yes to the European army, but only as part of NATO.»

L’insupportable Pologne utile par contre-emploi

Tout cela est cousu notamment de fils blanc, rouge et bleu, — ceux qu’on utilise pour tisser la bannière étoilée qui ne claque jamais très loin de l’Europe de la Commission européenne. Les Polonais sont en passe de devenir les meilleurs alliés de l’Europe au travers de leurs comportements à la fois ultra-nationalistes et ultra pro-américanistes. (Curieux esprit polonais, qui rejoint l’anormalité perverse des Britanniques, incapable de distinguer la contradiction entre ceci et cela.)

Le paradoxe qui ne surprendra personne parmi ceux qui sont au fait des réalités de cette époque paradoxale est que ces diverses positions ont un immense avantage pour l’Europe, qu’on peut définir en plusieurs perspectives.

• Les Polonais deviennent les premiers défenseurs de la nation au sein de l’Europe, à côté et un peu plus haut que les Britanniques. Cela fait une belle résistance contre la dérive la plus perverse de l’idée européenne, qui est la réduction de l’idée de nation, avec sa souveraineté et son autonomie de substance. Les Français ne sont plus aujourd’hui les seuls, tant s’en faut, qu’on pourrait soupçonner de la tare inimaginable d’envisager d’opposer leur veto à une proposition européenne.

(Les Français, qui maudissent à tour de rôle les Britanniques et les Polonais — tout en les aimant beaucoup, à tour de rôle, pour toutes les plus mauvaises raisons du monde — devraient être fort heureux de cet effet du comportement polonais. Tenues par le conformisme autoritaire qui règne dans le discours européen, les élites françaises ignorent les propres intérêts de leur pays. Dans ce cas, elles sont fort malheureuses du comportement polonais, signe qu’effectivement, dans ce champ-là précisément, les Polonais travaillent aussi pour les Français.)

• Certaines des positions polonaises (comme dans le cas de l’énergie) conduisent ou conduiront des pays importants qui, dans d’autres circonstances, eussent cédé au consensus communautaire, à s’appuyer sur des positions nationales fortes pour réaliser l’essentiel de leur politique étrangère. Tant que la Commission et l’UE seront ce qu'elles sont, quelques bons accords bilatéraux de la Russie avec des membres de l’UE auront toute leur place et leur intérêt à côté d’un accord communautaire boiteux avec la Russie.

• Cette position nationaliste met les Polonais en opposition complète, bien entendu, avec la Commission européenne. C’est là le plus heureux résultat possible. La Commission européenne est à peu près aussi pro-américaniste que le sont les Polonais. Par conséquent, l’alliance est impossible entre les deux plus farouches défenseurs des intérêts américanistes en Europe. Cela s’appelle, selon le titre du livre du colonel de Gaulle dans les années 1930, “la discorde chez l’ennemi”. C’est une excellente chose, très bonne pour le moral.

• Les Polonais étant des Européens tout récents, ils se trouvent par là même exclus du “cœur” européen de l’UE (ou “noyau dur”). Leur position, comme par exemple dans le cas de l’opposition à l’idée d’“armée européenne” du SPD, renforce l’idée d’un “noyau dur” au niveau européen (notamment dans ce cas, pour une Europe réduite de la défense, qui est la seule formule possible et utile, maintenant et pour longtemps). C’est la meilleure chose qui puisse arriver à ce qu’il reste d’Europe possible, en évitant à la fois l’absurde formule des 25, en écartant les plus pro-américanistes des Européens (si nombreux parmi les 10 “petits nouveaux” de l’Est), voire en obligeant d’autres pro-américanistes de tradition à l’être moins (cas typique des Allemands).

Les rapports de la Pologne avec l’UE et avec les Etats-Unis représentent ainsi le cas typique des contradictions entraînées par les rapports à la fois proches et ambigus d’une nation affirmée avec des entités (Commission et USA) elles-mêmes prédatrices des souverainetés extérieures par fatalité bureaucratique et systémique. On mesure ainsi un peu mieux les déséquilibres engendrés par les rapports imposés actuellement au sein du monde occidental par une vision accordée au conformisme de fer réglant la pensée de nos élites. On les mesure d’autant mieux que des événements populaires les soulignent régulièrement, que ce soit lorsqu’il s’agit de constater l’extraordinaire hiatus des sentiments vis-à-vis de l’Amérique entre la Commission européenne et les populations de l’UE, que ce soit lors de consultations populaires comme le référendum français de mai 2005.

Nous vivons dans un monde déséquilibré entre le passé que regrettent certains et le présent que d’autres assument sans trop philosopher. Surprise, — comme le remarque Pfaff — les passéistes sont ceux qui s’affirment modernistes et les autres, complètement dans leurs temps, ce sont les autres qui ne perdent pas de temps à se chercher de vertu particulière…

«The United States is not considered a very reliable friend in Western Europe these days. This is the popular sentiment: European elites still live in an Atlanticist past, just as they were living in the past last year when they discovered from the referenda on a new constitution that the public did not want EU expansion, more immigration and more market economics.»

La Pologne, à sa façon, en étant plus polonaise que les pires caricatures qu’on fait d’elle, nous rappelle involontairement à ces réalités. Ainsi, l’insupportable Pologne joue un rôle involontairement constructif en Europe, par contre-emploi si l’on veut.