La vision 2006 de l’IISS est crépusculaire

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La vision 2006 de l’IISS est crépusculaire

25 mai 2006 — L’IISS de Londres (International Institute of Strategic Studies) est connu comme un des piliers du système militaro-politique occidental et anglo-saxon. Qualifié d’“indépendant”, l’IISS est en réalité un relais à façade indépendante pour le débat et la diffusion de la pensée stratégique dominante dans le monde de la sécurité anglo-saxon et atlantique. L’édition annuelle de son annuaire analysant la situation stratégique, les forces en présence, etc., est un exercice qui fixe en général les normes de la pensée stratégique de ce même univers.

On ne sait ce qu’il faut dire de l’édition 2006 : fait-elle exception ou bien est-elle une fois de plus le reflet de ce monde stratégique, mais pour mettre en évidence son désarroi, voire sa panique devant les perspectives de la situation générale ? On a le choix pour la réponse qu’on proposerait éventuellement. Reste ce fait absolument frappant, et stratégiquement considérable qu’il s’agit sans aucun doute du constat le plus abrupt, le plus noir, venu d’une source semi-officielle sur la situation stratégique globale. Ce que nous décrit l’IISS, d’une façon générale, c’est une situation stratégique générale bloquée pour les intérêts occidentaux (anglo-saxons), et promise à évoluer vers une seule orientation : le pire.

Nous citons deux journaux londoniens qui présentent le rapport 2006 de l’IISS, chacun sous un angle spécifique, l’un comme l’autre aussi pessimiste.

• Le Guardian met en évidence l’état général de la situation stratégique.

« The wars in Iraq and Afghanistan, the west's growing confrontation with Iran, and efforts to divest North Korea of its nuclear weapons are all approaching crucial turning points that could combine to create a perfect storm of simultaneous international crises, independent defence experts said yesterday. [...] John Chipman, [IISS] director general, said: “Many parts of the world are engaged in brutal combat ... Overall, the dangerous triptych of Iraq, Afghanistan and Iran continues to dominate the security agenda as do the wider, iconic problems of terrorism and proliferation.” »

• Chose assez rare, on trouve dans le document IISS certaines remarques qui sont des critiques directes de la politique washingtonienne, et au profit de pays de bien mauvaise fréquentation. Ce passage, par exemple, qui concerne le constat du blocage des négociations avec la Corée du Nord, et qui en fait implicitement, voire presque explicitement porter la responsabilité à Washington :

« The IISS said North Korea had obtained enough plutonium to build between five and 11 nuclear weapons and long-running talks to induce Pyongyang to disarm were at an impasse. In an implicit criticism of Washington's policy of ostracism and financial sanctions, Dr Chipman said North Korea had concluded that “the Bush administration is not serious about negotiations and [has] hostile intent”. »

• Le Daily Telegraph choisit comme approche la question iranienne, pour annoncer aux pays occidentaux, et particulièrement aux USA, une bien vilaine cascade de mauvaises nouvelles, — avec cette amère cerise sur le gâteau que l’IISS arrive à glisser qu’il y a quelque chose de plus catastrophique encore que la très probable production d’une arme nucléaire par l’Iran, et que c’est l’attaque US que certains s’emploient à préparer à Washington pour empêcher cette fabrication :

« It is all but impossible to stop Iran developing nuclear weapons, a leading British think-tank said yesterday, as the world's powers struggled to find a common strategy to face the threat. [... T]he International Institute for Strategic Studies (IISS) suggested that neither diplomacy nor military action to destroy the nuclear facilities was likely to succeed. “There is a consensus emerging that an Iranian nuclear capability is both inevitable, and certainly bad,” said the IISS director, John Chipman, presenting an assessment of the international military balance.

» He said America's Arab allies in the Gulf feel “the only thing worse than a nuclear-armed Iran is a US military strike against the country, especially if it were still left with a nuclear option”. Bombing Iran might provoke retaliation against coalition forces in Iraq, attacks by Hizbollah on Israel and attempts to choke the flow of oil through the Gulf. »

Implacable constat d’un échec universel

L’édition 2006 de l’IISS sent la fin de règne (pour Blair et Bush) et, surtout, la fin catastrophique des ambitions de l’“anglosphère” proclamées triomphalement en 2002-2003 après l’attaque 9/11. Il est difficile de ne pas rapprocher la sortie de cette analyse générale du voyage de Tony Blair à Washington qui se déroule à partir d’aujourd’hui dans une atmosphère funèbre. Le Times de ce matin nous expose l’extraordinaire différence de perception de Tony Blair des deux côtés de l’Atlantique :

« In the US he is still seen as a clear-eyed braveheart who swiftly recognised 9/11 as an historical turning point that had profoundly affected the American psyche, and then — better than anyone, including Mr Bush — articulated the case for war. In Britain, however, he is more often regarded these days as a naive and vainglorious fool, the poodle who loyally followed the President and has, consequently, tainted his own premiership with alleged falsehoods and failure. »

Tout compte fait et pour répondre à notre interrogation initiale, l’International Institute of Strategic Studies reste finalement assez égal à lui-même dans le rôle de porte-parole de la communauté stratégique transatlantique et anglo-saxonne. Il en exprime aujourd’hui parfaitement la crise profonde, qui semble parvenir à son paroxysme. C’est toute une politique, toute une ambition universelle et toute une vision du monde qui sont en train de s’effondrer tandis que s’accumulent les paroxysmes de crises diverses jusqu’à créer, — expression favorite décidément d’emploi courant, — « a perfect storm of simultaneous international crises ».

L’analyse 2006 de l’IISS ne nous apprend rien de nouveau sur la situation stratégique du monde. Elle nous en fait ressentir beaucoup, par contre, sur la situation de la crise intérieure de l’Occident, et particulièrement de l’Occident anglo-saxon. Commencée par ses ambitions extérieures, la grande crise du 11 septembre 2001 en arrive, au travers de cette aggravation constante des crises extérieures auxquelles nos dirigeants n’ont, à aucun moment, jamais rien compris, à revenir au centre de toutes choses : la crise intérieure fondamentale de la civilisation occidentale sous domination anglo-saxonne depuis 1941-45.

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