L’axe Chavez-Maradona contre le désarroi yankee

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L’axe Chavez-Maradona contre le désarroi yankee


6 novembre 2005 — Le sommet des Amériques en Argentine (Mar Del Plata) restera comme une marque significative dans le cheminement du déclin de la puissance d’influence des Etats-Unis. La discussion principale, pivot du test de l’influence américaine, devait porter sur le projet de traité FTAA (libre-échange) et rester donc économique, — là où Washington peut encore espérer imposer sa loi. Argument supplémentaire pour juger que la réunion aurait dû être favorable aux États-Unis: la zone géographique, celle de l’Amérique Latine, espace traditionnel de l’influence états-unienne. Rien ne se passa dans ce sens.

Résumé par le Washington Post:

« Leaders from across the Americas ended their tumultuous two-day summit Saturday without agreeing to restart talks on a U.S.-favored free trade zone stretching from Alaska to Chile.

» Argentine Foreign Minister Rafael Bielsa said the 34-nation summit's declaration would state two opposing views: one by 29 nations favoring the proposed Free Trade Area of the Americas, and another by the remaining five saying discussions should wait until after World Trade Organization talks in December.

»  The decision came after negotiations extended eight hours past the scheduled deadline. Almost all the leaders — including President Bush — left during the discussions and put other negotiators in charge.

» The summit was marked by street battles between riot police and protesters opposed to Bush and the FTAA. The protesters ransacked and burned businesses just 10 blocks from the theater where the summit opened. Sixty-four people were arrested, but police reported no deaths or major injuries. »

Cette remarque du ministre des affaires étrangères du Chili, rapportée par Reuters, est significative (outre qu’elle montre chez un ministre qui aurait dû se montrer dépité des résultats du sommet puisque son pays est favorable au FTAA, une jubilation qui en dit long sur les dispositions psychologiques anti-américaines régnant dans la réunion): « Something happened here that rarely happened in other meetings: the call to speak out loud was taken up by everyone. At times, we all talked out loud, perhaps too loud, but it made the meeting that more interesting. »

En d’autres termes, ce fut un débat “démocratique”, voire “révolutionnaire”. Les États-Unis le perdirent, notamment parce qu’ils n’ont rien à opposer aux arguments des autres, que leur dossier politique est sans aucune justification alors que la discussion fut effectivement politique, que leur direction est totalement déstabilisée, que leur puissance est en déclin accéléré et qu’il n’y a aucune région du monde où la chose est aussi frappante qu’en Amérique Latine.

GW Bush garda dans ces débats “a low profile” comme l’on dit. Il prêta surtout attention à ne pas croiser Hugo Chavez pour ne pas être obligé de lui parler (c’est-à-dire, probablement selon ce qu’il craignait, essuyer ses invectives ou subir ses sarcasmes). C’est exactement ce que confirme le conseiller du président et directeur du NSC, Stephen Hadley, dont le terne langage bureaucratique qui reflète complètement son caractère contraint et étroit nous dit exactement ce qu’il faut comprendre: « “His approach is to not to try and dominate but to participate as one of equals and listen, and that's what he did,” Hadley said. “At critical times he made his views obviously clear.” Bush and Chavez did not interact at the meetings. “Their paths did not cross,” Hadley said. » Traduction: GW n’est guère intervenu tandis que les autres débattaient avec animation et il a pris garde à éviter Chavez

Dans les rues, autour du sommet, ce fut le désordre qu’on sait, avec deux têtes d’affiche: Diego Maradona, footballeur de rêve et toxicomane repenti devenu vedette politique et médiatique, et “meneur altermondialiste”, une sorte de José Bové-bis, — et, bien entendu, l’inoxydable Hugo Chavez, un pied dans la conférence, un pied chez les casseurs de capitaux américains. The Financial Times rapporte ceci, qui restitue le sentiment de la rue à peine différent de celui de la conférence, qui illustre le climat qui enfièvre l’Amérique Latine: « Evo Morales, the leader of Boliva's indigenous coca growers, who could become president following election's next month, told the FT that Mr Chavez “breeds solidarity and speaks for the Latin American people. He is an immense figure in the region.” »

Ce fut donc l’axe Chavez-Maradona qui l’emporta. Les discussions sur le traité de libre-échange FTAA sont toujours au point mort (pour le mieux, en attendant le résultat des négociations de l’OMC, en décembre, — lesquelles peuvent déboucher sur un échec qui affecterait encore plus le destin du FTAA en accélérant le regroupement régional type Mercosur, centré sur la seule Amérique Latine). Cinq des 34 participants ont voulu ce blocage (mais quels cinq avec, aux côtés du Paraguay, de l’Uruguay et du Venezuela, l’Argentine et le Brésil). La proposition du Mexicain Vicente Fox de discuter d’un traité ramené à 29 seulement fit long feu. (Fox, joue actuellement le missi dominici des Américains. Il est dans sa dernière année de présidence et il songe à être recasé aux bons soins de ses voisins du Nord. Tout s’explique par le petit bout de la lorgnette.)

Fox enrageait vendredi : « Tous les dossiers sont politisés, ici! » C’est exactement le cas. A cause de l’activisme de Chavez, soutenu par quelques grosses pointures (les Argentins surtout, qui se radicalisent, et les Brésiliens), à cause aussi de la mollesse des 29 autres, Américains en premier, le sommet a tout apprécié d’un point de vue politique, voire idéologique. De ce point de vue, aujourd’hui, et malgré l’apparence du 29 contre 5 à laquelle se réfèreront nombre de commentateurs, Washington est perdant partout.

Mar Del Plata est une nouvelle mise en évidence des effets dévastateurs de la politique bushiste et américaniste sur l’aspect le plus impressionnant de ce qui fut la puissance US, — l’influence. C’est une dégradation supplémentaire de la position de GW Bush, à l’extérieur aussi bien qu’à Washington. C’est un renforcement de la position de Chavez, qui devient pour les Américains l’épouvantable épouvantail, capable de mettre en pièces une politique qui a toujours montré, depuis plus de deux siècles, une efficacité redoutable. Moins noté mais tout aussi important, Mar Del Plata fut l’occasion d’une radicalisation de la position de l’Argentine, qui évolue de plus en plus vers le populisme antiaméricaniste du temps du péronisme, modernisé à la sauce Chavez.