“Votergate”, aller-retour

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“Votergate”, aller-retour


31 octobre 2005 — L’on peut raisonnablement considérer que l’hypothèse de “la spirale des scandales” est en train de progresser dans le cas de l’administration GW-Rove (bonne place est faite dans ce cas au conseiller de GW, l’homme qui a organisé la stature politicienne et fondamentalement frauduleuse de cette administration). Il s’agit de l’idée qu’un craquement juridique important (le scandale dit “Plamegate”, pour l’instant fixé à l’inculpation de Lewis “Scooter ” Libby) entraîne une dynamique qui peut mettre à jour le tissu fondamentalement illégal de cette présidence. Cette illégalité est partagée par tout le système washingtonien, les démocrates largement complices au moins par couardise de leurs compères républicains du “parti unique”. GW n’est que le symptôme du mal, devenant éventuellement bouc émissaire demain, comme Libby l’est d’ores et déjà aujourd’hui. La réapparition de l’hypothèse dite du “Votergate” est un signe dans ce sens.

“Votergate”? Il s’agit des hypothèses de fraude lors de l’élection présidentielle du 2 novembre 2004, essentiellement l’hypothèse de la fraude dans l’État de l’Ohio. Ces bruits de fraude électorale avaient été, l’année dernière, écartés, étouffés avec le mépris qu’on réserve aux théories “complotistes”. Il y avait pourtant du bon sens à prendre sérieusement des indications bien réelles de fraude. L’année dernière (F&C du 10 novembre 2004) nous écrivions à ce propos:

« Il est intéressant que Votergate soit placé dans ce contexte général de la dépression de l’humeur d’une partie importante des Américains. A cet égard, Votergate est autant un symptôme qu’un fait éventuellement transformable en scandale. Votergate, c’est la pourriture du système poussé à son extrême, habitude (pousser à l’extrême) de l’équipe GW-Rove d’ailleurs. Votergate existe-t-il? Vu le passé de l’équipe GW-Rove, construit uniquement sur le mensonge et la manipulation, tout cela dans l’innocence de la construction virtualiste, il serait tout simplement stupéfiant et rocambolesque que rien n’ait été préparé pour l’élection. Votergate est complètement dans la logique des choses. »

Aujourd’hui, “Votergate” réapparaît. Ce n’est pas le retour d’une lubie passagère de quelques allumés “complotistes” en mal de copie mais un rapport du très officiel Governement Accountability Office (la Cour des Comptes US), publié en septembre et fort peu noté (y compris par nous-mêmes). Le rapport confirme à tout le moins la très grande méfiance accusatrice qu’il convient d’exprimer à l’encontre du vote du 2 novembre 2004, au moins dans l’État-clef de l’Ohio. Le site Free Press.org présente ce rapport dans un texte publié le 26 octobre, le résumant sous cette forme (avant d’en détailler les points marquants): « The non-partisan GAO report has now found that, “some of [the] concerns about electronic voting machines have been realized and have caused problems with recent elections, resulting in the loss and miscount of votes.” »

Les deux auteurs du texte, Bob Fitrakis et Harvey Wasserman, nous donnent également ce commentaire, résumant ce qui constitue une aveuglante évidence de la complète illégalité de ce système qui a complètement abandonné la notion de bien public pour soumettre l’exercice ultime de la démocratie aux intérêts privés, sans la moindre vergogne:

«  The United States is the only major democracy that allows private partisan corporations to secretly count and tabulate the votes with proprietary non-transparent software. Rev. Jesse Jackson, among others, has asserted that “public elections must not be conducted on privately-owned machines.” The CEO of one of the most crucial suppliers of electronic voting machines, Warren O'Dell of Diebold, pledged before the 2004 campaign to deliver Ohio and thus the presidency to George W. Bush.

» Bush's official margin of victory in Ohio was just 118,775 votes out of more than 5.6 million cast. Election protection advocates argue that O'Dell's statement still stands as a clear sign of an effort, apparently successful, to steal the White House. »

Faut-il rappeler ces divers “détails” qui précisent encore la personnalité de O’Dell, l’homme qui a administré, organisé, “managé”, dépouillé (le joli mot à double sens) le vote de l’Ohio le 2 novembre 2004? Voici ce qu’en écrivait Gaby Wood dans The Observer du 7 novembre 2004 : « Why the suspicion? Walden O'Dell, the chief executive of Diebold, lives in Ohio, the make-or-break state. He is a Republican fundraiser who has been a guest at George Bush's ranch. Last year, he pledged his commitment to “helping Ohio deliver its electoral votes to the President”. Also last year, days after a trade fair in which his TruVote system was highly praised for its ability to produce paper receipts, an Ohio accountant named Athan Gibbs was killed in a car crash. Since Gibbs was Diebold's only significant competitor, a far-fetched theory is afloat that his death may not have been entirely accidental. »

Poursuivons avec nos interrogations pleines de la lassitude de la répétition: est-il nécessaire d’en écrire plus sur le fond de cette affaire, ce “scandale de plus” dans la dynamique dont nous parlions ci-dessus? (Même si c’est un scandale déjà ranci par le temps, il est de si bonne taille et d’une nature symboliquement si significative qu’il vaut le déplacement, qu’il vaut le rappel, qu’il vaut la répétition...)

Aujourd’hui, la question posée publiquement (celle que nous posons également à répétition, depuis au moins trois années) n’est plus la question de la culpabilité d’un gouvernement, — la culpabilité par absence de stature morale de l’administration, la culpabilité par absence de compétence de GW. La question porte sur la validité d’un système entier, washingtonien, américaniste et globalisé; la question porte, — allons au-delà et soyons pratiques, — sur la capacité de ce système à résister longtemps au maillage serré d’illégalités dont il est exclusivement constitué. Le retour de Votergate vient à point car il s’agit bien là de “la mère de toutes les illégalités”: quand le vote est manipulé directement par ceux-là mêmes qui ont kidnappé le pouvoir, sans maquillage, sans tromperie en un sens, directement par l’urne elle-même, faite électronique pour faciliter le bazar.

On ne parviendra jamais à vaincre ce système si puissant, si partout présent et dont, bon gré mal gré, nous dépendons tous. Il s’en chargera. Sa faiblesse est dans cette puissance. Le système est puissant et malin mais sa puissance l’aveugle et il en devient stérile au bout du compte, incapable d’imaginer des limites à l’exercice de cette puissance au-delà desquelles l’exercice devient contre-productif et la puissance se retourne contre celui qui la manie; malin dans la manipulation et d’une stupidité sans limite concevable pour le sens et pour les effets de la manipulation, voilà qui définit bien le système.

Le système se tue lui-même, par ses outrances, ses incompétences, ses aveuglements, sa cupidité qui mesurent sa bêtise profonde. Il en est, l’imbécile, à massacrer la dépouille de bonne réputation qu’il s’était fabriquée pour porter beau et permettre aux pères de regarder leurs fils dans les yeux, avant de les inscrire à la Harvard Business School. Le système a achevé de piétiner l’apparence sur laquelle il a cru pouvoir broder la fable de sa légitimité. La question devient donc celle de son calendrier:

• Combien de temps pourra-t-il encore tenir à ce rythme d’illégalité ontologique et d’exposition publique des conséquences multiples de cette illégalité, qui vont jusqu’à mettre en cause tous les trucs et habiletés de son propre fonctionnement?

• Quelle voie, quel moyen prendra-t-il et suivra-t-il pour parvenir à l’implosion finale, — un vrai feu d’artifice, qui supplantera largement la “chute finale” de l’autre, il y a quinze ans?

Un peu de patience, à peine…