Semaine du 25 au 31 mars 2001

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Les Irakiens embrassent les princes du Golfe, Arafat ne se rend pas, les Européens sont furieux : une très mauvaise semaine pour GW

Le 28 mars, à Beyrouth, au sommet de la Ligue Arabe, le Prince Abdullah, héritier de la couronne d'Arabie Saoudite, et l'Irakien Izzat Ibrahim, envoyé irakien au sommet, se sont embrassés. Passant ensuite devant le délégué koweitien, Ibrahim lui a serré chaleureusement la main. Pour cette occasion, les Irakiens avaient annoncé qu'ils renonçaient à leurs ambitions territoriales chez leurs voisins, les grands pays pétroliers du Golfe, — ce qui avait été la cause de l'attaque irakienne du 1er-2 août 1990. C'est un événement qui prit l'allure d'un coup de théâtre, cette réconciliation entre l'Irak et les pays du Golfe. A côté de cela, pour compléter le tableau de cette situation que n'ont pas vu venir les Américains, on peut avancer avec une quasi-certitude que la CIA n'était pas au courant à l'avance de cette réconciliation et qu'aucun de ses interlocuteurs, ni saoudien, ni koweïtien, n'avait averti le vice-président Cheney lors de son voyage au Moyen-Orient, au milieu du mois. Quelle curieuse situation, car qui est l'ennemi de qui et qui va attaquer qui, lorsqu'on voit les Irakiens s'embrasser avec des dirigeants arabes qui font des cachotteries aux Américains, et sur lesquels, pourtant, ces Américains comptent pour les aider décisivement à attaquer les Irakiens qu'ils embrassent désormais ?

Ce rapprochement, est-ce sérieux, dans ces conditions presque vaudevillesques ? « Au Moyen-orient, tout est possible, dit un diplomate égyptien, y compris qu'une réconciliation soit sérieuse. » Il est bien possible que les Koweïtiens, les Saoudiens et les Irakiens, et d'autres, aient aujourd'hui des intérêts communs, tant les rodomontades américaines font peur à tous. Quant à voir le Moyen-Orient s'embraser, les Arabes modérés du Golfe préfèrent que ce soit au nom d'une cause que le monde entier (sauf les USA) comprend et, peut-être, soutient, comme la cause des Palestiniens, et en plus une cause favorable aux Arabes, plutôt qu'au nom d'une cause qui verrait des Arabes s'affronter (les Irakiens contre d'autres), et qui serait beaucoup plus déstabilisante. « Voilà pourquoi cette réconciliation a des chances de durer », conclut le diplomate égyptien.

On verra. En attendant, notons pour conclure, avec le journaliste Jim Lobe, de atimes.com, que cet événement a été l'un de ceux qui a contribué à faire de cette semaine l'une des plus mauvaises de GW depuis 9/11. Les Américains de GW ont eu à subir ce sommet de Beyrouth, la crise Sharon-Arafat, la colère des Européens et la confirmation des mesures de représailles commerciales de ces derniers, entre autres. Et puis, l'ironie des Démocrates.

« But ''it's not easy ruling the world'', noted one caustic congressional staffer whose Democratic boss has been among those lawmakers gradually more willing to question the administration's goals in its anti-terrorist campaign. »

Avant la visite de Blair chez Bush, au Texas, on peut mesurer le malaise grandissant au Royaume-Uni pour la situation à Londres et pour la situation à Washington

Avant la rencontre entre Tony Blair et GW Bush, au Texas, dans le ranch du président, un des textes les plus intéressants, à méditer pour ses informations autant que pour ce qu'il nous dit indirectement de la situation dans les deux pays (USA et UK), c'est celui de Dan Plesch, dans The Independent du 31 mars, avec le titre évocateur : « Blair is walking into a dogfight on Bush's ranche - Internal rivalry and factionalism are driving US policy on Iraq. So where do we fit in? »

Le texte de Plesch est intéressant, d'abord à cause de la personnalité de l'auteur. Auteur de Sheriff and Outlaw in the Global Village, Plesch est chercheur au Royal United Services Institute, dans ces milieux intermédiaires d'experts, proches des divers milieux du pouvoir et avec assez de connections et de liberté d'action pour pouvoir exposer la réalité des situations de la façon la plus éclairée et la plus incisive. Sa carrière lui permet également d'être l'un des experts britanniques les mieux introduits à Washington, notamment avec son expérience de fondateur en 1987 et directeur jusqu'à l'année dernière de BASIC (British American Security Information Council). Plesch est particulièrement habilité pour compléter son portrait de la situation britannique, particulièrement éclairant, d'une appréciation correspondante de la situation washingtonienne. Le tableau qu'il nous donne dans cet article est éclairant et n'a rien d'optimiste. Il faut le détailler pour mieux apprécier la peinture, et comprendre qu'il s'agit aussi bien d'un signal d'alarme sérieux pour ce qui concerne la situation du pouvoir à Londres, entre un Blair isolé et le reste, et la situation du pouvoir à Washington, entre un président évanescent et la lutte impitoyable de toutes les factions du pouvoir, livrée autour de lui.

Plesch nous parle d'abord de la situation au Royaume-Uni, du malaise évident dans divers milieux à la perspective d'un éventuel engagement en Irak auprès des Américains. Les événements de ces six derniers mois n'ont en rien resserré la camaraderie supposée des Anglo-Américains pour la chose militaire. Au contraire, le moindre mot qu'on doive employer est bien : défiance.

« The [British] Chief of Defence Staff, Sir Michael Boyce, has reflected the views of senior figures in the military establishment by suggesting that we should learn to live with weapons of mass destruction, and that if, as he put it, Britain was deliberately going to put its ''hand in the mangle'' of Afghanistan, we should not simultaneously do so in Iraq. Scepticism about military expeditions to Iraq and the recent deployment of troops to Afghanistan has spread beyond the usual suspects. A retired wing commander rang me to express his fears about our troops operating under the command of the US Army. His peacetime service under US Air Force generals had been bad enough, he said, and US Army generals were of poorer quality. »

Ces conditions font que les questions sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus inquiètes pour ce qui concerne la politique et la position personnelle de Tony Blair. Il y a des craintes réelles de l'isolement complet du Premier ministre et des effets de l'influence de son conseiller diplomatique Robert Cooper, qui vient de faire sensation en proposant que l'Ouest établisse sur le reste du monde une sorte de néo-colonialisme. The Times of India du 28 mars rapporte ceci : « One outspoken MP, opposed to widening the war on terror to include Iraq, suggested that ''the Russian Tsarina was better advised by Rasputin than the Prime Minister is by this maniac [Cooper]. To claim that the need for colonialism may be as great as in Victorian times is extraordinary''. »

Climat exécrable, climat londonien certes mais aussi climat autour du Premier ministre. C'est une circonstance assez peu ordinaire de sentir, comme on le sent aujourd'hui, un tel climat de tension dans les sphères du pouvoir au Royaume-Uni, pays réputé pour la stabilité et la fermeté expérimentée de son pouvoir. Ce n'est rien de moins qu'une crise que traverse aujourd'hui le Royaume-Uni, et dont l'enjeu n'est rien moins, à terme, que la pérennité ou la dissolution des special relationships avec les USA. Plesch résume cela, pour le compte de Tony Blair, dont le voyage au Texas prend des allures de test, non seulement pour ses relations avec les USA et pour l'hypothétique guerre contre l'Irak, mais aussi pour la position de Blair au Royaume-Uni.

« I recall the honest query of one of Mr Rumsfeld's aides: ''Why are we getting all this support from Blair? Thatcher we could understand, but we know he's not one of us.'' Why indeed? Mr Blair needs to return from the depths of Texas with an answer to convince his own party, his military top brass and the British people. If he does not, much more than just his premiership will be at stake. »

Pour le reste de ce que nous parle Plesch, c'est-à-dire Washington, on peut lire que nos pires craintes sont confirmées. Les conseillers du président se livrent une guerre sans merci, tandis que le président lui-même semble un homme prêt à se soumettre à quelque influence que ce soit, et un homme dont le zèle religieux, plus fort que jamais, n'est pas vraiment rassurant. Les rapports des militaires avec leurs chefs civils sont également exécrables, ce qui confirme ce que nous avons signalé par ailleurs (voir nos Analyses du 30 mars, du du 28 mars et du du 26 mars). Les rapports inter-services sont également épouvantables et toutes les grandes phases de la guerre d'Afghanistan sont conduites en fonction des espérances budgétaires de chacun des services. Plesch ajoute cette note ironique et dérisoire, en précisant que si les Américains ont demandé l'aide des 1.700 hommes du Royal Marines, c'est pour la raison suivante, «  ...one of our major assets being that we are not part of the [US] inter-service rivalries ».

Plesch détaille les possibilités d'attaque contre l'Irak, en espérant que le voyage de Blair au Texas permettra au moins d'en savoir plus sur les intentions US. (Au passage, Plesch laisse entendre, citant la méconnaissance du MI6 des intentions US, que les Britanniques sont totalement non-informés, pour ne pas dire désinformés à propos des intentions US.) Il explique la volonté US d'attaquer l'Irak par le simple fait, ou plutôt le fait extrêmement primaire suivant : « It has far more to do with the need to show that it is not possible for any state or individual to fight the US and survive. For today's Republicans, ''Make My Day'' is a motto for the real world. »

Beaucoup d'autres choses. Enfin, celle-ci, sur laquelle nous attirons l'attention, qui montre qu'aujourd'hui le decision-making process à Washington, et, par conséquent, le pouvoir lui-même, est devenu une “énigme enveloppée de mystère”. C'est à peu près ce que Churchill disait du pouvoir soviétique dans les années 1950. En vérité, et vu de Londres, nous en sommes là pour la vision européenne réaliste des États-Unis.

Un dernier extrait dans ce sens ... :

« Almost as important is the need to get an understanding of how the US decision-making process works. As one US intelligence official told me, only eight people in Washington are now allowed to read even quite low-level intelligence assessments, which for decades had been circulated to several dozen. Mr Bush's inner team already had a notoriously narrow worldview and are now preventing even their senior advisers from being properly briefed. »