L’ouragan Galloway ridiculise le maccarthysme transatlantique

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L’ouragan Galloway ridiculise le maccarthysme transatlantique


19 mai 2005 — La presse britannique en fait des gorges chaudes, même si elle n’aime pas souvent George Galloway et exerce contre lui un ostracisme bien dans les méthodes de l’establishment libéral et démocratique. Le député britannique anti-guerre et beau parleur est venu à Washington moucher les dignes sénateurs du Congrès des Etats-Unis. La scène valait son pesant d’or, ou bien de maccarthysme… Effectivement, à une question du président de la commission, le sénateur républicain Norm Coleman, Galloway répondit : « Senator, I am not now nor have I ever been an oil trader and neither has anyone on my behalf, » Cette formule est un écho des auditions de la commission des activités anti-américaines, dont celle de Joe McCarthy, dans les années 1940-1950, lorsque la question était posée au “témoin” de savoir s’il avait été ou s’il était membre du parti communiste, et où le “témoin” répondait en général: « I am not now nor have I ever been a member of Communist Party and neither has anyone on my behalf, ».

« Stunning ferocity », ce mot de Julian Borger, du Guardian, résume le comportement de Galloway face aux sénateurs (lesquels n’étaient pas nombreux, quatre au début de l’audition, deux à la fin, — au contraire du public, très nombreux, entre journalistes et étudiants en politique venus prendre une leçon de démocratie). Un autre commentaire du même Guardian (excellent pour la couverture de cet événement jubilatoire) nous fait goûter le sel de la chose sous un titre bienvenu (« Galloway and the mother of all invective »), notamment les capacités peu communes de réplique de Galloway: « The culture clash between Mr Galloway's bruising style and the soporific gentility of senate proceedings could hardly have been more pronounced, and drew audible gasps and laughs of disbelief from the audience. “I met Saddam Hussein exactly the same number of times as Donald Rumsfeld met him,” Mr Galloway went on. “The difference is that Donald Rumsfeld met him to sell him guns, and to give him maps the better to target those guns.” »

Un autre passage intéressant (il faudrait les citer tous) intervient lorsque Coleman interpelle Galloway sur la provenance de l’argent d’un donateur jordanien à une organisation caritative qu’avait mise en place le député britannique.


« In their cross-examination, the senators focused on Mr Galloway's relationship with Fawaz Zureikat, a Jordanian businessmen with extensive dealings in pre-war Iraq who served as chairman of and as principal contributor to Mr Galloway's charity, the Mariam Appeal. They suggested Mr Zureikat had been oil trading in his name, and the MP must have known about it.

» Once more, the accused sought to turn the tables on his accusers. When Mr Coleman asked how he could have failed to be aware of Mr Zureikat's oil deals, Mr Galloway turned the attention to Mr Coleman's campaign fundraising.

» He said: “Well, there's a lot of contributors, I've just been checking your website...”

» “Not many at that level, Mr Galloway,” the senator interjected.

» “No, let me assure you there are,” Mr Galloway went on. “I've checked your website. There are lots of contributors to your political campaign funds, I don't suppose you ask any of them how they made the money they give you.”

» Mr Coleman stuck to his task. “If I can get back to Mr Zureikat one more time, do you recall a time when you specifically had a conversation with him about oil dealings in Iraq?”

» “I've already answered that question,'' Mr Galloway replied. “I can assure you, Mr Zureikat never gave me a penny from an oil deal, from a cake deal, from a bread deal or from any deal.” »


Au-delà de l’anecdote, pourtant bien croustillante, c’était donc une affaire de démocratie, ou une confrontation entre deux conceptions de la démocratie. (CNN a désigné cette audition comme une « blistering attack on senators rarely heard or seen on Capitol Hill » et Galloway était conscient du sens de son intervention à cet égard: « A jubilant Mr Galloway later told an American television interviewer that it marked a victory for the “British parliamentary style” over the more sedate senate. »)

Galloway est venu secouer un système pompeux, conformiste à un point qu'il transforme le patriotisme en une corvée assommante et en un bouclier contre les questions embarrassantes (« Mr Galloway used anti-war rhetoric far more raw than most politicians are accustomed to in America, where shared patriotism normally trumps outrage »), un système ennuyeux au-delà de tout («  the soporific gentility of senate proceedings »), — tous ces travers formels de la vie parlementaire américaine qui dissimulent à peine, ou bien au contraire portent témoignage de la profonde corruption du système. Il y avait la « low businesslike voice » du sénateur contrastant avec sa gêne lorsque Galloway l’interpella sur l’origine de l’argent de ses donateurs, dans un « bruising style » qui faisait trembler les voûtes antiques et vénérables du Sénat. On pouvait alors se demander de quel côté se trouvaient la vigueur et la clarté de l’esprit entre le parlementaire venu de la vieille Europe et le sénateur représentant de l’American Dream et de l’Amérique toujours jeune.

Galloway a fasciné le corps des journalistes américains présents en groupe compact, stupéfaits de tant d’alacrité jusqu’à en oublier le sens commun et les besoins naturels des gens. (« American reporters seemed as fascinated as the British media: at one point yesterday, before it was his turn to speak, Mr Galloway strode from the room, sending journalists of all nationalities rushing after him — only to discover that he was going to the lavatory. »)

Bien entendu, Galloway a utilisé à fond la situation irakienne, après différentes invectives aimablement lancées à l’adresse des sénateurs avant son audition (“neo-cons”, “Zionists”, “pro-war lynch mob”) : « I gave my heart and soul to stop you committing the disaster that you did commit in invading Iraq. Senator, in everything I said about Iraq, I turned out to be right and you turned out to be wrong. »

En un mot et comme il l’avait promis, Galloway a été parfait et égal à sa réputation de polémiste. Qu’il soit contesté dans son pays (mais pas par les électeurs, si l’on en juge par son élection triomphale du 5 mai), qu’il soit d’une position politique critiquée dans le monde politique britannique, tout cela n’a guère d’importance pour ce cas. C’est bien en représentant d’une opinion britannique et européenne anti-guerre et excédée par les pompeuses leçons de moralisme d’une Amérique belliciste et irresponsable qu’il a parlé mardi.

Galloway a donné une bonne mesure des différences de tradition, de comportement et d’état d’esprit qui séparent l’Amérique et l’Europe. Cette sorte d’événements anecdotiques a l’intérêt d’illustrer de façon frappante des faits fondamentaux, souvent écartés parce qu’ils paraissent trop simples, c’est-à-dire trop “primaires”, — dans ce cas, le fait bien réel de l’opposition fondamentale dans la réalité que recouvrent les psalmodies rhétoriques et transatlantiques sur les “valeurs communes”. Le mot “démocratie”, quel que soit l’état assez pitoyable de la chose en général, recouvre des situations qui n’ont rien en commun lorsqu’on en vient à comparer l’Amérique et l’Europe sur un fait de la vie bien réelle.


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