Un discours sans cérémonie

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Un discours sans cérémonie


4 février 2005 — Dans son article du 3 février dans le Guardian, Sidney Blumenthal, qui ne s’en laisse pas conter, résume l’état d’esprit du discours sur l’état de l’Union par ces mots : « President Bush's state of the union address adds the element of euphoria to the utopianism of his inaugural speech. Coming between the two speeches, the Iraqi election has given him a significant event over which to drape his universal abstractions. »

Le discours sur l’état de l’Union a été “durci” ces derniers jours par Michael Gerson, le discret et néanmoins évangéliste speechwriter du président. C’est depuis l’élection irakienne que cette opération a été effectuée. Elle vise à exploiter l’image d’une victoire médiatique et virtualiste consacrant la thèse américaine que l’appareil américaniste a réussi à imposer dans les milieux médiatiques évidemment sensibles à toute affirmation de la puissance américaine, et dans les milieux politiques étrangers les plus affaiblis.

Le durcissement se trouve exprimé dans l’avertissement direct adressé à la Syrie et, surtout à l’Iran. Pour GW, la “victoire” des élections de dimanche est l’application, voire la sanctification immédiate de son discours d’investiture sur la liberté. D’autres pays, durant ce second terme, pourraient, devraient en être les nouveaux exercices pratiques ; c’est sans aucun doute le sens que GW donne à ses avertissements. La même tactique que celle du discours d’investigation, mais inversée, a été utilisée: donner la soi-disant substance du discours selon une appréciation biaisée par des confidences calculées mettant en évidence une soi-disant ouverture vers des négociations, puis émettre cet avertissement qui durcit brutalement l’atmosphère. Le Guardian a parfaitement illustré l’effet de la manœuvre en éditant simultanément deux textes, le premier rapportant les confidences (« Bush defuses Iran strike fears, President emphasises need for negotiation »), le second rapportant le durcissement (« Bush warns Syria and Iran over terror »). Le journal note cette évolution dans son second texte: « The state of the union address to Congress had been billed as reconciliatory, but, along with a series of references to alliances and international initiatives, there were some blunt words. »

D’une certaine façon, cette manoeuvre tactique rattrape la première (celle du discours d’inauguration). Le discours du 20 janvier, présenté sans chichis ni précautions, avait éclaté comme une bombe à retardement : d’abord peu de réactions, le temps de se frotter les yeux, puis la réalisation de ce que cela nous disait implicitement, enfin un tsunami de commentaires effarés et affolés. Cela avait forcé parallèlement l’équipe Bush à mettre en piste quelques “officiels” bien informés pour faire savoir au monde entier que GW avait dit cela mais qu’il ne l’avait pas dit vraiment.

(Certes, GW a dit cela et il le pense vraiment, c’est sa pensée pur sucre. Il n’est pas manipulé. Il est transcrit. Comme l’observe Sébastien Fath dans Dieu bénisse l’Amérique, le faiseur de discours du président, Michael Gerson, épiscopalien de tendance évangéliste, « n’influe pas directement sur le fond des discours du président, qu’il connaît bien. Il se contente de transcrire, avec le plus de style et d’efficacité possible, la pensée de son boss ».)

L’équipe GW, avec GW en tête, n’a pas digéré cette reculade rendue nécessaire par son inattention en matière de manipulation de la communication. Elle a donc procédé à l’opération inverse, cette fois en maîtrisant le processus: d’abord des fuites pour faire dire que le discours sur l’état de l’Union serait soft, très consensuel, comme on l’attend et l’espère partout avec une confiance fiévreuse. Puis un discours qui renouvelle les menaces habituelles, cette fois appuyées sur le cimier brûlant du casque du croisé de la liberté, donc sans qu’il soit nécessaire de beaucoup s’étendre sur le thème dans le texte. En nommant l’Iran et la Syrie, tout le monde a compris.

« Bush also showed he has not lost his appetite for regime change and muscle-flexing », note David Corn dans un texte étrange de The Nation, où l’on perçoit une certaine fascination du progressiste d’opposition pour l’esprit simple de l’ange exterminateur que nous fait goûter le bon GW. Corn continue : « He warned Iran to abandon any pursuit of nuclear weapons, vowing that America will stand with Iranians who seek liberty. He placed Syria in the crosshairs. There was no reference to the “axis of evil,” but Bush did move Syria ahead of North Korea in the you-better-worry-next category. »

Ainsi tout le monde a-t-il l’air de trouver tout cela, — ces menaces réitérées, confirmées, etc — comme la chose la plus naturelle du monde, le petit four au five o’clock tea. La banalisation du discours belliciste de GW entreprise de facto par certains commentaires, médias, appréciations, etc., donne aujourd’hui un plein effet. L’opération par rapport au discours d’inauguration a réussi. Les fuites préalables ont installé un climat apaisant, qui tendait à confirmer la reculade d’après le 20 janvier. Le discours lui-même, durci comme on l’a vu, permet d’introduire les vraies et bonnes menaces que les commentateurs ayant suivi dans la voie de l’apaisement ne relèveront pas trop précisément pour ne pas assombrir le climat. Pour ce qui est de la réalité, on sait désormais à quoi s’en tenir.