L’économie US, les dettes et le dollar: Armageddon comme les Twin Towers?

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L’économie US, les dettes et le dollar: Armageddon comme les Twin Towers?


26 novembre 2004 — Depuis quelques mois, le dollar suit une baisse régulière et vertigineuse qui le conduit à des niveaux inquiétants. Plus qu’un événement économique, le phénomène est devenu un événement politique, d’autant qu’il est parallèle, voire lié à l’autre événement essentiel qu’est l’évolution de la guerre en Irak et l’évolution du prix du pétrole. (Du point de vue économique américain, bien sûr, cette évolution du dollar se poursuit sur fond et à cause d’une situation d’endettement sans précédent dans l’histoire économique.)

Cet affaiblissement du dollar touche l’un des deux fondements matériels de la puissance américaine, alors que le second est lui-même gravement touché par l’aventure irakienne. Ci-après, voici une rapide définition de ces deux fondements, avec la réserve que nous ne partageons pas l’appréciation sur la puissance militaire américaine qui y est donnée. (Extrait d’un article de William Engdahl, dans Current Concerns, 2003/4.).


« …since the emergence of the United States as the dominant global superpower after 1945, U.S. hegemony has rested on two un-challengeable pillars. First, the overwhelming U.S. military superiority over all other rivals. The United States today spends on defense more than three times the total for the entire European Union, some $ 396 billion versus $118 billion last year, and more than the next 15 largest nations combined. Washington plans an added $ 2.1 trillion over the coming five years on defense. No nation or group of nations can come close in defense spending. China is at least 30 years away from becoming a serious military threat. No one is serious about taking on U.S. military might.

» The second pillar of American dominance in the world is the dominant role of the U.S. dollar as reserve currency. Until the advent of the Euro in late 1999, there was no potential challenge to this dollar hegemony in world trade. The Petrodollar has been at the heart of the dollar hegemony since the 1970’s. The dollar hegemony is strategic to the future of American global pre-dominance, in many respects as important if not more so, than the overwhelming military power. »


Il nous paraît évident que l’évolution parallèle des deux fondements de la puissance américaine est directement liée. Ce parallélisme est le phénomène le plus important de la situation actuelle, et la cause en est double.

• Dans la définition de la puissance américaine, à côté des deux fondements cités, il nous semble qu’il faut ajouter un troisième fondement, beaucoup moins concret, beaucoup moins mesurable : la puissance d’influence. C’est l’effondrement de celle-ci, depuis le 11 septembre 2001, avec l’émergence d’une impopularité américaniste allant jusqu’à l’anti-américanisme, qui est une des causes directes de ce lien entre les revers politico-militaires et l’effondrement du dollar.

• L’existence de l’euro est évidemment la deuxième cause du sort actuel du dollar. L’existence d’une deuxième “monnaie de référence” est un point extrêmement important, mais il est si important parce que cette situation monétaire correspond à une situation politique. La concurrence de facto entre l’euro et le dollar correspond à une tension grandissante entre l’Europe et les USA et à la perception que l’Europe évolue de plus en plus vers une situation où elle pourrait apparaître comme une puissance alternative à la puissance américaine. Quelle que soit la réalité de cette perception, notamment pour ce qui est de la réalité des puissances en question, il s’agit d’une perception qui ne cesse de s’affirmer, et elle contribue puissamment à l’émergence de l’euro, — cette fois, d’une façon très pratique, avec la possibilité de transferts d’investissements et de paiement du pétrole en euros plutôt qu’en dollars (notamment avec le cas de la Russie, évoqué depuis plus d’un an avec insistance).

Ces diverses conditions favorisent de nouvelles hypothèses concernant l’économie américaine, son sort, éventuellement le risque d’un effondrement (“Armageddon économique”). Celle de Joseph Stroupe, publiée sur atimes.com le 25 novembre, est des plus intéressantes. L’intérêt de cette hypothèse est son appréciation structurelle, basée sur l’image des Twin Towers de New York, et les caractéristiques qui en découlent : quelques points d’extrême vulnérabilité dissimulés dans une masse d’une extrême puissance ; les effets catastrophiques d’une frappe contre ces points de vulnérabilité, résultant dans l’effondrement de l’ensemble. La même chose peut être dite de l’économie, comme des Twin Towers.


« When analyzing such matters as the vulnerability of the US economy and the chances of its collapse, it is vital to avoid the two extremes of ''calamity howling'' on one hand and investing blind faith in the status quo on the other. Unforeseen and unexpected attack-induced collapses of grand proportions can and do occur. The sudden collapse of both towers of New York's World Trade Center, for example, took everyone by surprise - who could have foreseen that the two towers, which survived the massive lateral impact of two huge planes, would, only minutes later, collapse vertically upon themselves, their own massive weight ensuring their demise?

» Structurally, the two towers were impressive indeed. They had actually been designed to take a lateral and direct impact of a Boeing 747 jumbo jet and survive without collapsing. Nonetheless, certain fundamental structural vulnerabilities did exist in the towers. These were not entirely evident before September 11, 2001, but were hidden beneath their massive and stable outward appearance. When those vulnerabilities were carefully targeted and exploited, down the massive towers came within mere minutes of the attack.

(…)

» Just before September 11, 2001, the US economy was also extremely unlikely to be susceptible to a sideways hit. It did show its resilience in the immediate aftermath of the attacks on its economic infrastructure. But the key to the success of the attacks, from al-Qaeda's perspective, was the igniting of the jet fuel and its impact on the primary steel support girders. Hence it was not the immediate result of the impact itself, but rather the delayed result of the fire that counted. The steel girders were the actual framework of the towers, around which the structures were constructed. When the flames softened the framework, the whole structure caved in.

» The US economy is also constructed around a fundamental framework - its currency, the almighty dollar, and the apparently firm and virtually unbreakable international support it enjoys. Similar to the framework of the Twin Towers that supported their massive weight, the dollar supports a massive load of debt, now totaling well over US$7 trillion in the public sector alone. Much of this debt load is, in effect, tenuously suspended at the upper portions of the US economic structure, where it places an undue load upon the lower, traditionally more stable part of the economic framework. »


L’intérêt de l’analogie entre l’économie américaine et les Twin Towers (l’attaque contre les Twin Towers) est évident. La dimension psychologique présente dans ce texte est également intéressante. L’analyse accepte en général l’idée implicite dans l’histoire américaine de l’absence du déclin progressif transformant une position de force en une position de faiblesse au profit ( !) du risque de l’effondrement brutal à partir d’une position de force. C’est ce qui caractérise l’économie américaine : le risque de l’effondrement, et le plus souvent l’effondrement alors qu’elle se trouve au faîte de la puissance (puissance acceptée par la psychologie, mais souvent frelatée, construite sur l’illusion de la Bourse, l’illusion de la dette, — aujourd’hui, — l’illusion du modernisme d’une façon générale ; et puissance dont la fragilité se révèle en ce sens, effectivement, par la vulnérabilité en tel ou tel point). C’est ce qui s’est passé en 1929-33 (krach boursier en octobre 1929, alors que la folie de la hausse boursière battait son plein), à l'effondrement de 1986, à l'effondrement de 2000, etc. Dans ces trois cas, l’Amérique est au sommet (un des sommets) de sa puissance.

La tension générée par cette constance de l’histoire américaine, — justement, de faire dépendre la puissance du risque de l’effondrement, — est à son comble aujourd’hui, où la puissance américaine n’a jamais été aussi hautement, ou hystériquement affirmée, et où les instruments et les risques, — les signes pour certains, — de l’effondrement, aussi bien économiques que politiques, n’ont jamais été aussi présents. La psychologie américaine s’en ressent, encore plus après une campagne électorale épuisante, terminée par la confirmation à son poste de celui qui est perçu, à cause de son espèce d’inconscience et de sa pose religieuse et mystique continuelle, comme un deus ex machina ou un diabolus ex machina c’est selon. Aujourd’hui, l’état de la psychologie américaine oriente la réflexion effectivement vers des perspectives d’effondrement économique, que ce soit le fait d’un Robert Reich, d’un Paul Krugman, d’un Stephen Roach — ou, comme ici, d’un Seymour Hersh :


« “Soon China and Russia will start buying oil in Euros,” Hersh said. “They'll stop buying American in Europe because they hate us so much - Disney in Paris is already going down. Large American corporations doing business abroad are going down. We could see more anti-American violence abroad. The dollar will fall. Billionaires are now telling other billionaires to get out of the stock market and buy foreign currency and stocks.”

(…)

» “We have put ourselves in an enormous hole,” he said. “There's no magic story to get us out. The market will crash. Maybe people will come to their senses. Maybe some Democrat will step forward to do the right thing. And maybe the Easter bunny will turn out to be real.” »


Joseph Stroupe poursuit son scénario en déroulant les chiffres complètement irréels des dettes américaines, où l’on raisonne et décompte désormais en trillions de dollars (autant de “mille milliards”…) : vous avez les 7 trillions de la dette nationale, qui grimpent à 51 trillions lorsqu’on y ajoute les dettes des soins de santé, qui s’égarent dans des sommets encore plus irréalistes, surréalistes, non-réalistes, etc … « The Japan Times recently stated, “Stephen Roach, Morgan Stanley's perceptive economist, drew attention to the fact that some of the numbers are nothing short of frightening. The US currently has $38 trillion in debts, and there is a $54 trillion federal funding gap — the difference between what the government is committed to pay out and what it will receive in tax revenues. »

Enfin, il y a les détonateurs : la menace des pétro-dollars qui pourraient devenir euro-dollars. La Norvège, gros producteurs de pétrole, où des voix pressent de plus en plus le gouvernement, qui se rapproche de l’Europe très vite, de prendre cette décision. Il y a aussi et surtout l’énigmatique Poutine, dont l’importance est centrale dans cette pièce malgré les âneries des moralistes occidentaux qui s’époumonent dès qu’un remous affecte un des pays de l’ex-Empire et nous annoncent sa chute certaine… Poutine joue un rôle essentiel dans le scénario de Stroupe.


« President Vladimir Putin has stated both publicly and privately that invoicing Russia's crude-oil and gas exports to the European Union in euros instead of in dollars makes very good sense for both Russia and the EU. Putin is known to have very close relations with “old Europe”, primarily Germany and France. His statements and those of German and French leaders have even on occasion drawn attention to the fact that US global dominance fundamentally rests on the fact that the dollar is the international currency, and that if an exit from the dollar were to occur in the sphere of global petro-transactions, the effect would be seriously to undermine that global dominance. Furthermore, a number of oil-exporting countries have already gone on public record as to their preference to make an exit from petro-dollars in favor of petro-euros. They have indicated that if Russia begins such a move to petro-euros, they will rapidly follow Russia's lead. The net effect would be a rapid international abandonment of the dollar as the international currency, which would in turn “bring down the towers” of the heavily debt-ridden US economy. »


Il y a, dans cette montée générale des appréciations apocalyptiques, appuyées sur l’effondrement du dollar et la mine anormalement sombre d’Alan Greenspan, comme une sorte de “besoin de catastrophe”, voire de “nécessité de catastrophe”. La psychologie est prête aux pires prolongements.