Wall Street mène la danse

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Bien, ce n’est pas une grande nouvelle; mais cela est tout de même dit officiellement, par un parlementaire démocrate qui tente de faire passer une loi qui chercherait à instituer des mécanismes régulant la circulation de l’argent et le fonctionnement des organismes financier dans le circuit bancaire. Le parlementaire dit à propos du Congrès US: «The banks run the place […] I will tell you what the problem is — they give three times more money than the next biggest group. It’s huge the amount of money they put into politics.»

Dans un long article sur le pouvoir corrupteur, – pardon, le pouvoir de lobbying des banques (de Wall Street) sur les parlementaires, le New York Times cite, ce 1er juin 2009, le démocrate de la Chambre des représentants Collin C. Peterson, du Minnesota, dont la position est puissante puisqu’il préside la Commission de l’agriculture de cette même Chambre.

«Mr. Peterson, whose constituents include farmers, who are historically suspicious of Wall Street and whose livelihoods depend on efficient markets, is a longstanding critic of loose regulation. And since his committee oversees the Commodity Futures Trading Commission, he would retain more of his prerogatives overseeing the market if the C.F.T.C. were the main regulator.

»Mr. Peterson’s bill specifically bars derivatives trading in a clearinghouse regulated by the New York Federal Reserve, which he said in an interview “is a tool of the big banks” that “wouldn’t do much” to regulate the contracts.

»Because the banks’ lobbyists persuaded some of his Republican colleagues to resist more sweeping changes, Mr. Peterson said, he has had to modify a bill he introduced that is similar to Mr. Harkin’s in calling for wide-ranging limits on derivatives. “The banks run the place,” Mr. Peterson said. “I will tell you what the problem is — they give three times more money than the next biggest group. It’s huge the amount of money they put into politics.”»

RAW Story, qui signale (le 1er juin 2009) le commentaire de Peterson, donne des précisions chiffrées sur l’intervention financière de Wall Street auprès des candidats à la présidence, dans la campagne présidentielle, d’une façon générale au Congrès, etc. Sans surprise, tout cela.

«How much did President Barack Obama receive in contributions from those employed in the financial sector? $69,823,872 if you include real estate, according to the Center for Responsive Politics. (Sen. John McCain got $60,605,254, with the total between the two exceeding $130 million). The biggest donor to the presidential campaigns? The banks. Followed by lawyers and lobbyists, at $95 million. The banking and financial services industry have their own lobbyists, so the total donations of the industry are undercounted.

»All told, according to the New York Times, financial sector employees gave $152 million in political donations from 2007 to 2008. Goldman Sachs, Citigroup, JP Morgan Chase, Bank of America and Credit Suisse gave $22.7 million and spent a combined total of $25 million on lobbying activities — in a single year… And President George W. Bush’s largest individual donor employer in 2004? MBNA, the credit card behemoth that was bought up by — Bank of America.»

…Et ainsi de suite. Peterson veut donc introduire une législation qui donnerait à un organisme qu’on peut juger assez indépendant (le CFTC, contrôlé par sa propre commission de la Chambre) le pouvoir du contrôle et de la régulation des banques. Le secrétaire au trésor Geithner préfèrerait que ce soit la Federal Reserve de New York, ce qui revient, en raison des connexions existantes, à confier aux banques le soin de se réguler elles-mêmes. Bonne formule, formule en raccourci et en boucle; on n’est jamais si excellemment surveillé que par soi-même.

Que faire? Comme disait Lénine… Certains restent optimistes, en arguant du fait que jamais l’équilibre des forces n’a été autant favorable au public contre les banques, – ou plutôt, disons que l’équilibre des forces n’a jamais été aussi peu en faveur des banques, bien qu’il le soit encore, bien entendu. «“The outrage among the public means that things have a chance to change, if things move quickly,” said Michael Greenberger, a professor at the University of Maryland Law School and a former director of trading and markets at the C.F.T.C. “We’re in this brief moment of time when the average citizen is on a level playing field with the lobbyist.”»

Mais la véritable question, qui n’est abordée ici qu’indirectement, sans être détaillée pour ce qu’elle est, est le cas du lobbying de Wall Street, sur laquelle rien de nouveau ne nous est appris. Mais nous avons une déclaration officielle, substantive, sans la moindre hésitation, d’un élu de la Grande République, sur la situation de corruption structurelle qui anime les élus de la même Grande République, exactement comme une clef dans le dos, sinon un peu plus bas, qui anime un automate. Il est un peu court et fort insuffisant de parler du lobbying comme s’il s’agissait d’un simple aspect du monde politique, sans plus, sans mettre en évidence qu’il ne s’agit de rien de moins que du fait de la corruption établi en une institution fondamentalement nécessaire à la bonne marche du système. Simplement, aujourd’hui cela fait un peu plus désordre alors que le monde s’écroule autour d’eux, et l’on attaque cette institution du lobbying en mettant en évidence ses aspects malfaisants, – ce qui est encore une indication insuffisante, puisqu’elle supposerait qu'il y a des côtés bienfaisants.

Nulle part encore, dans cette sorte d’analyse et de déclaration, il n’y a la condamnation du fait fondamental, qui n’est ni l’activité du lobbying, ni la corruption, etc., – toutes choses qui existent depuis longtemps et dont il semble vain d’espérer la disparition par quelque disposition d’amélioration naturelle de la vertu dans la nature humaine que ce soit, – mais le fait de l’institutionnalisation de la chose dans l’architecture politique. Même si certains peuvent estimer qu’une telle structure est acceptable lorsque le système fonctionne, la situation actuelle montre que ce jugement est faux, que cette intégration dans la structure du pouvoir est totalement insupportable pour l’exercice du pouvoir lorsque les situations atteignent certains degrés de tension.

La corruption est un mal connu sinon un mal inévitable, contre lequel on peut plus ou moins lutter, qui existe toujours à l’état latent de menace, comme une pathologie qui menacerait la politique (entre autres, bien sûr). L’institutionnalisation de la chose, sous la forme du lobbying, implique un degré différent, une autre substance. Le mal est intégré dans la structure même, il fait partie de la politique, il est une partie intégrante du système. Par le fait de la chose, il finit par perdre son aspect d’imposture, la légalisation finissant par lui donner une certaine légitimité devenant légitimité" certaine, enfin il devient une exigence même de la vie politique. Dans les situations de tension comme aujourd’hui, on en arrive à des occurrences conflictuelles inévitables. A un moment ou à un autre, selon les circonstances, la paralysie et le blocage sont inévitables. Le système s’est mis lui-même en état de succomber à ses propres outrances. Ce n'est pas nouveau mais cela se confirme.


Mis en ligne le 2 juin 2009 à 15H17