Villiers, Hollande, la Russie et l’Europe

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Villiers, Hollande, la Russie et l’Europe

On interroge dans Le Figaro (FigaroVox) Philippe de Villiers, ce qui est tout de même plus instructif qu’un Manuel Valls multiplié par plusieurs BHL. On lira ses réponses sur des sujets importants, particulièrement l’Ukraine, la Russie, la France et son président, l’Europe... On notera son approbation appuyée de la position évoluée depuis quelques semaines de Hollande dans la crise ukrainienne et les relations avec la Russie, sa perception appuyée de la dimension culturelle et spirituelle de ces affaires, ses attaques contre l’Europe, très violentes et parfaitement justifiées par leur dénonciation implicite du phénomène de la déstructuration, et son affirmation que la Grèce finira par quitter l’euro. Une fois de plus est illustré le mélange des genres que suscite la Grande Crise, entre gauche et droite selon les anciens classements archaïques que le Système voudrait à tout prix conserver pour cultiver la division entre les forces antiSystème.

On notera également, d’un autre point de vue, que cette interview a été reprise par Sputnik.News sur son réseau anglais (le 24 février 2015). Cette observation nous conduit à l’hypothèse que les Russes ont dû lire cette interview avec grand intérêt d’une part, et que Villiers, qui a des relations avec la Russie et sa direction (voir le 16 octobre 2014), exprime des idées qui ne sont pas éloignées de celles qu’entretient cette direction. (L’interview de Philippe de Villiers sur FigaroVox le 23 février 2015.)

FigaroVox – «Que pensez-vous des accords de Minsk négociés par François Hollande et Angela Merkel avec Vladimir Poutine?»

Philippe de Villiers – «Les accords de Minsk sont très importants car ils recèlent quatre novations. D'abord ils ont permis aux protagonistes de sortir d'une logique de guerre. La voie diplomatique des petits pas augure un possible avenir pacifique. Deuxièmement, deux grands États européens, la France et l'Allemagne, ont mené la négociation et se sont portés garants de l'exécution de l'accord aux côtés de la Russie. Il est patent que ni l'Union européenne ni l'Amérique n'ont la capacité ou la volonté de faire la paix là-bas. Ces accords montrent que c'est seulement lorsque l'Europe parle à l'Europe qu'une paix réelle devient envisageable, – c'est l'Europe des États. Troisièmement, l'accord ouvre la voie à la seule solution qui subsiste pour l'unité territoriale de l'Ukraine: l'acceptation par Kiev d'un statut spécifique pour l'est du pays avec un droit à la langue maternelle russe. Enfin, à la différence de l'accord de septembre, celui-ci est doté d'un calendrier pour chaque phase.»

FigaroVox – «Une fois n'est pas coutume, vous saluez donc l'initiative de François Hollande?»

Philippe de Villiers – «Oui, car l'Europe ne doit plus écrire son avenir avec le stylo américain. François Hollande s'est comporté en chef d'État sans prendre garde aux consignes américaines. Il a su résister à la prétention des États-Unis d'exiger l'entrée de l'Ukraine dans l'Otan. Désormais, il faut encourager la France à aller au-delà de cette première phase positive d'émancipation. François Hollande doit maintenant livrer le Mistral à la Russie et respecter ainsi le contrat commercial signé par la France et payé par les Russes à hauteur d'un milliard d'euros. Il doit également lever les sanctions qui sont aujourd'hui des actes de guerre encore plus défavorables à l'économie française qu'à l'économie russe et ne touchent aucunement l'économie américaine. Mais le plus important, plutôt que de s'entêter à construire l'Europe artificielle de Maastricht, sera de préparer demain la seule Europe viable et raisonnable pour mettre en œuvre un grand partenariat stratégique et culturel avec la Russie, l'Europe de l'Atlantique à l'Oural.

»Le plus important sera de préparer demain la seule Europe viable et raisonnable pour mettre en œuvre un grand partenariat stratégique et culturel avec la Russie, l'Europe de l'Atlantique à l'Oural.»

FigaroVox – «L'accord a déjà été violé par les séparatistes ukrainiens. Peut-on faire confiance à Vladimir Poutine?»

Philippe de Villiers – «Lorsque l'on revient à la source des événements, on constate le mensonge permanent de l'Union européenne et les fantasmes véhiculés par la presse occidentale. Le cessez-le-feu, à ma connaissance, est observé sur la ligne de front, sauf à Debaltseve, problème particulier né juste avant les accords de Minsk. Mais, même là-bas, les armes lourdes sont aujourd'hui en voie d'être retirées. Les mécanismes de contrôle se mettent en place et les chefs d'État se parlent. Quand les médias affirment que des camions humanitaires russes traversent la frontière ukrainienne chargés de munitions, je m'interroge: à l'heure des satellites qui voient tout, des iPhone qui filment en permanence, qu'attend-on pour nous donner des preuves? Où sont les photos?»

FigaroVox – «Le concept du Puy du Fou va être décliné en Russie. Votre soutien inconditionnel à Vladimir Poutine est-il intéressé?»

Philippe de Villiers – «C'est l'inverse. Ayant appris à connaître la Russie par la mise en œuvre de ce projet franco-russe, j'ai découvert deux choses. D'abord que la Russie est profondément européenne. Toute sa culture, toutes ses élites et tout son peuple regardent vers l'Europe. Soljenitsyne me l'avait dit: “Ne commettez pas l'erreur de tourner le dos à la Russie. Il en va de notre avenir.”

»En outre, j'ai découvert que Poutine était un vrai chef d'État. J'ai aussi compris pourquoi en Occident les élites mondialistes ne cessent de le critiquer: l'Amérique veut que l'Europe soit la cinquante et unième étoile du drapeau américain. Pour cela, elle doit maintenir les Européens inféodés dans l'Otan. Vladimir Poutine est le prétexte parfait, le diable idéal. N'oublions pas les causes de l'engrenage ukrainien. D'abord un coup d'État fomenté par l'Otan. Ensuite une faute du gouvernement ukrainien, l'interdiction de la langue russe. Enfin, la prétention américaine de l'entrée de l'Ukraine dans l'Otan. Comment pouvait-on imaginer que les Russes allaient accepter de voir l'Otan à leurs portes? Vladimir Poutine ne veut pas le démembrement de l'Ukraine. Il souhaite simplement la reconnaissance de la langue maternelle dans les régions russophones, un statut pour ces régions, et enfin une neutralité de l'Ukraine par rapport à l'Otan.»

FigaroVox – «La Russie semble retrouver une certaine fierté nationale. Le risque n'est-il pas de verser dans un excès de nationalisme?»

Philippe de Villiers – «La différence avec la France est la suivante: en Russie, il y a une véritable restauration des valeurs morales, civiques, patriotiques, spirituelles. Les petits Russes apprennent la fierté d'être russes. On parle aux Russes de la Russie, de sa grandeur, de son riche patrimoine, de son rayonnement eurasiatique. Que dit-on aux jeunes Français? Que la France est une honte, que les Français sont des racistes et que le patriotisme est une tare. Il y a plus de liberté d'expression en Russie que chez nous. Comme l'avait prophétisé Philippe Muray, nous nous sommes enfermés dans la cage aux «phobes»: islamophobes, xénophobes, europhobes, homophobes. Plus personne ne bouge! Et nous avons une classe politique essorée, aseptisée, passée au micro-onde qui bénit le partage du travail entre les laïcards qui font le vide spirituel et les islamistes qui remplissent le vide...» [...]

FigaroVox – «Alors que les négociations entre l'Union européenne et la Grèce piétinent, Tsipras peut-il se tourner vers la Russie?»

Philippe de Villiers – «Pour l'oligarchie européenne, Tsipras est en état de péché mortel. Il sera bientôt immolé sur le Parthénon puisqu'il ne fait pas la génuflexion devant l'euro et qu'il confesse un penchant de la Grèce pour la Russie. Il trouve des vertus au diable. Mais les adorateurs de Bruxelles et Francfort n'ont toujours pas compris que la rédemption par l'euro ne marche pas pour les économies européennes. La Grèce quittera l'euro: les négociations ne font que repousser l'échéance. Toute cette construction européenne est une déconstruction mortifère. L'Union européenne d'aujourd'hui est une tentative thaumaturgique folle d'anéantir les États, les frontières et de livrer les peuples et les activités industrieuses aux maîtres de la mondialisation qui y trouvent d'immenses bénéfices.» [...]


Mis en ligne le 26 février 2015 à 18H59