Une campagne au vent des crises

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Une campagne au vent des crises

17 septembre 2008 — D’ores et déjà, les effets du “lundi vert de gris” se font sentir sur la campagne électorale US. Les candidats sont pris dans les effets de la crise, soumis à la question à cet égard. Aussitôt, ils jurent que rien ne les préoccupent plus que la situation financière et économique des USA. Il y a quinze jours, rien ne les préoccupait plus que le situation en Géorgie et ils nous instruisaient sur leur capacité à renchérir sur la menace de riposte, sur la façon de mettre la Russie à raison et ainsi de suite.

Selon les commentateurs, c’est McCain qui est perdant dans cette nouvelle embardée et les démocrates espèrent qu’ils vont ainsi se débarrasser de l’“effet Palin” qui leur cause tant de soucis. Tom Baldwin, du Times de Londres, rapporte la chose de cette façon, aujourd’hui.

«John McCain embarked on a desperate – but defiant – damage-control exercise yesterday as he sought to justify his claim that despite violent convulsions in America’s financial markets the “fundamentals of our economy are strong”.

»His Democratic rival has pounced on the comment as proof that the 72-year-old Republican nominee is “out of touch” not only with the plight of investors on Wall Street, but also the pain of homeowners and workers on Main Street. Barack Obama released an advertisement that quoted Mr McCain’s remark no less than three times, spliced with headlines such as “Lehman Brothers Collapses,” “Markets In Turmoil” and “Foreclosures at 9,800 A Day”. It asked how can he “fix our economy if he doesn’t understand it’s broken?”

»Mr McCain appeared on six morning TV shows, saying that what he meant was that “the fundamental of our economy is the American worker”. He added: “They have been betrayed by a casino on Wall Street of greed, corruption and excess that has damaged their futures.” Mr McCain called for an inquiry modelled on the 9/11 Commission “to find out what happened” as he alleged that the “old-boy network and corruption in Washington is involved”. He added: “I know how to fix it.”»

Effectivement, les stratèges de l’équipe Obama semblent se réjouir (?) de la crise de Wall Street et de ses effets. Ils estiment qu’elle met un terme à la popularité très dommageable pour Obama de la co-listière de McCain, en ramenant l’attention sur McCain lui-même et, par conséquent, en renouvelant une vision critique de l’équipe républicaine.

«His [Obama’s] team believed that they [the Republicans] have been vindicated by events after spending more than a fortnight struggling to gain traction with a message focused on the gathering economic storm when voters were fixated on Mr McCain’s running-mate, Sarah Palin. Senior Democrats believe that the “Palin phenomenon” is fading and that this week will be seen as a turning point with the spotlight returning to Mr McCain and the failures of President Bush.»

L’optimiste démocrate est-il justifié? “Optimisme” est un curieux mot dans la circonstance d’une crise de cette dimension catastrophique, pourtant il a toute sa place pour décrire ces commentaires. Le plus étonnant est qu’il n’est peut-être pas injustifié, qu’il se pourrait effectivement que, disons, l’“effet Lehman Brothers” supplante l’“effet Palin”. La chose tient à la façon dont l’équipe républicaine réagira et, surtout, dans la façon dont se comportera naturellement la candidate Sarah Palin, – savoir si elle saura, elle, conserver le dynamisme qu’elle a suscité autour d’elle avec son apparition sur la scène politique.

C’est un problème intéressant de tactique. Ce n’est certainement pas un problème fondamental, et nous ne nous y attarderons pas car il n’y a pas grand’chose de plus à en dire. Le commentaire doit surtout porter sur les événements ainsi décrits.

Une première depuis 1952

… En effet, que les démocrates puissent parler d’un “turning point” (disons: un “tournant décisif”) à propos de Palin («Senior Democrats believe that the “Palin phenomenon” is fading and that this week will be seen as a turning point…»), alors que Palin représente elle-même un “turning point” depuis le 29 août, – quel rythme, quelle chevauchée! Tout cela, évidemment, sans la moindre substance de rien, sans que rien n’ait été dit ni suggéré d’essentiel et de fondamental sur quoi que ce soit. Notamment, depuis l’effondrement de “Lehman Brothers” et le possible “turning point”, rien, strictement dit, qui importe et puisse apparaître comme novateur n’a été dit par l’un ou l’autre (Obama et McCain) sur la crise financière dont on vous dit, entre deux whiskies, qu’elle est peut-être pire que 1929 et qu’elle représente peut-être un des derniers soubresauts avant l’effondrement du système. Passons à autre chose…

C’est une litote de dire que cette campagne n’a aucune substance. En fait, on se demande comment elle pourrait avoir la moindre substance, même si elle était sérieuse, dans les règles contraintes où elle est obligée d’intervenir, où les “turning point” dans le domaine des communications succèdent aux “turning point” dans le même domaine. Le gouverneur encore musclé de Californie Arnold Schwarzenegger disait la semaine dernière au Spiegel qu’aux USA, les campagnes électorales ne sont jamais «about the issues» (à propos des grands dossiers politiques)… Le comble est que cette vérité habituelle est peut-être fausse, comme le montre après tout l’“effet Lehman Brothers” selon les démocrates. La fortune des deux équipes suit tout de même les “issues”, sans y comprendre grand’chose ni dire quoi que ce soit qui importe, mais en étant tout de même obligées de s’y impliquer à cause de l’importance de ces “issues” et de l’atonie de l’administration.

L’“effet Lehman Brothers” est là pour nous suggérer cette remarque. Depuis plusieurs mois, la campagne présidentielle US joue au yo-yo en étant forcée par les événements de revenir sur tel ou tel dossier après l’avoir repoussé comme trop embarrassant, et particulièrement la situation économique au sens le plus large (y compris la déroute financière). Les candidats n’aiment pas du tout ce thème. (On ne cessera jamais de s’ébahir littéralement que cette remarque vaille malgré tout pour Obama également, alors que ce thème-là est la clef, pour lui, de la seule vraie possibilité d’une victoire incontestable. Qu’il ne parvienne pas, dans l’hypothèse acceptable où il le voudrait, à s’en emparer, y compris contre les vœux du parti démocrate ou de son service de communication, nous en dit malheureusement beaucoup sur ses capacités à s’imposer.) Qu’importe, la chose (la crise générale du système) revient constamment sur le chemin de la campagne électorale et des candidats, par les crises successives, ou disons les soubresauts (il y a eu au moins trois soubresauts majeurs de la crise financière depuis janvier, sinon quatre). Le phénomène est un peu comme le fameux sparadrap dont le capitaine Haddock ne parvient pas à se débarrasser, et nous choisissons à dessein cette image pour illustrer la dérision de cette situation au regard de l’enjeu colossal qu’elle recouvre.

On est obligé de conclure que, pour l’instant, les candidats ne font, dans ce qu’il y a de sérieux dans leur entreprise, que de se battre contre la réalité qui est que le système dans son entier vacille et tremble sur ses bases. Ils préfèrent, selon les consignes implicites du conformisme, les joutes personnelles assorties de coups fourrés divers sur les sujets les plus futiles. On pourrait donc dire qu’ils sont en action, aujourd’hui, pour compléter le travail de communication de l’administration et du Congrès, qui est l’essentiel de l’action politique aujourd’hui; ce travail de communication ayant pour dessein de dissimuler à tout prix ce qu’on perçoit vaguement de gravité extraordinaire dans le destin chancelant du système.

Pourtant, ils ne parviennent pas à remplir leur mission parce que les événements sont beaucoup, beaucoup plus rapides que la pâle classe politique qui nous sert de direction. Le résultat pourrait être étonnant dans cette élection qui est exceptionnelle per se, notamment dans cette volonté d’éviter les véritables questions de fond; cette élection également exceptionnelle dans un autre domaine, celui des liens avec l’administration sortantes, – une première depuis 1952. (C’est la première fois depuis 1952 que les deux candidats sont formellement indépendants de l’administration en place. Depuis cette élection de 1952, – le républicain Dwight D. Eisenhower contre le démocrate Adlaï Stevenson, [alors gouverneur de l’Illinois, tiens, le même Etat dont Obama est sénateur] – il y a toujours eu l’un des deux candidats qui était soit le président sortant, soit le vice-président sortant.)

Ce qu’on remarque, c’est que, face à une administration Bush à la dérive et un président notablement indifférent à des affaires (la crise financière, la Géorgie) qui n’ont rien à voir avec “son” aventure irakienne, les deux candidats sont contraints à prendre le devant de la scène pour des prises de position, comme s’ils parlaient chacun, déjà, au nom de leur future administration; comme s’ils étaient sans lien, ni de soutien ni critique, avec cette administration, cela facilité par le cas sans précédent depuis 1952 souligné plus haute. Ces interventions sont bien plus nombreuses qu’il est de coutume dans les campagnes présidentielles US, où les candidats parlent en général du passé inspirateur du futur (pour le candidat qui vient de l’administration ou en est proche) et du futur en rupture avec le passé (pour le candidat du parti adverse). Ce fut remarquable avec la Géorgie, ça l’est aujourd’hui avec la crise financière. Bien sûr, la chose leur est imposée par les événements, mais cela suffit amplement pour les occuper, même contre leur gré. Même s’ils cherchent par tous les moyens à éviter les grands dossiers, ils y sont tout de même impliqués de la façon la plus défavorable, en y étant contraints, en se prononçant dans le sens le plus conforme, généralement selon les lignes de la politiques US que suit l'administration Bush plus qu'elle ne la dirige, presque par automatisme.

Le résultat pourrait être un curieux effet de “fatigue” politique des deux candidats, chacun d’eux étant “usé” du point de vue politique avant même l’élection, et le vainqueur allant à la Maison-Blanche, dans cet état, comme s’il n’apportait rien de nouveau puisqu’il a été forcé à se prononcer dans le sens conformiste sur les grandes crises pendant la campagne, – et même, conduit et pressé par ce précédent de la campagne, à n’y rien changer. Le résultat ne serait pas la poursuite de la politique US “as usual” mais la poursuite du désordre US “as usual”.


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