Ubu Roi est aux manettes

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Ubu Roi est aux manettes

Nous poursuivons, par la présente analyse, notre réflexion sur l’aliénation des rapports en société dans un contexte où la communication s’apparente à une mise-en-scène théâtrale du réel. Plus que jamais, la vérité représente cette quête qui nous permet de fonder notre relation avec le monde qui nous entoure. Le «monde» est utilisé, ici, comme une métaphore illustrant les rapports en société. Dans un monde où le mensonge prend toutes les apparences de la vertu, la vérité s’impose d’elle-même pour ceux qui sont capable de prendre du recul, de mettre à distance la machination spectaculaire des médias. Prendre du recul, c’est prendre de la hauteur.

Il faut consentir à perdre du temps si nous désirons nous extraire de cette fiction afin de pouvoir prendre la mesure de la vérité. Parce que seule la vérité nous donne la pleine mesure de notre réalité quotidienne et historique. Si l’«épreuve du réel» peut, certes, nous aider à appréhender la vérité à l’œuvre au cœur du monde, encore faudrait-il pouvoir s’extraire de la «narrative» des élites aux manettes.

Mon propos, à mi-chemin entre l’analyse politique et le questionnement philosophique, ambitionne de jeter les bases d’un récit qui prendra différentes formes littéraires avec le temps. Pour ceux et celles qui s’interrogeraient sur la pertinence de mon questionnement, qu’il me soit permis de leur rappeler certains faits récents qui confortent cette idée d’une réalité-fiction mise en scène par les médias.

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La réalité dépasse la fiction

Tout dernièrement, les médias français nous apprenaient que le maire de Venelles, Robert Chardon, est disparu de la circulation après avoir twitté (un autre mode de communication virtuelle de l’instantané) qu’il fallait interdire le culte musulman en France. Les médias aux ordres ont répété, en boucle, que le principal intéressé aurait été «interné d’office en raison de l’énormité de ses propos» et exclu, du même coup, de sa propre formation politique (UMP). Puis, après avoir propagé la funeste nouvelle, nos bouches d’aération de la rectitude politique se sont tues, silence radio. Depuis, ses comptes facebook et twitter ont été fermés et l’infortuné maire serait tenu captif dans un asile psychiatrique. Où? Nul ne le sait guère et un journaliste a même déposé un signalement de disparition de personne au Tribunal de Grande Instance d’Aix-en-Provence.

Curieuse nouvelle, qui nous prend de court, dans un contexte où la classe politique française vient d’adopter des mesures de contrôle de la liberté d’expression qui sont carrément liberticides et qui semblent s’inspirer des pratiques d’un stalinisme pourtant dénoncé par ceux-là même qui tirent les ficelles du pouvoir. Robert Chardon aurait-il bel et bien «pété les plombs» à un moment donné ou assistons-nous à un début de répression politique sous couvert de mesures psychiatriques idoines ? Toujours est-il que le maire de Venelles est bel et bien disparu sans laisser de trace. Cette opération choc semble avoir été taillée sur mesure afin de provoquer une onde de peur parmi les citoyens qui osent défier la «narrative» en fonction.

Notre propos n’est absolument pas de cautionner ou de dénoncer la diatribe en question. Ce qui nous importe c’est de questionner l’étendu des dommages causés par cette «narrative» qui s’insinue à chaque instant pour nous forcer à douter du réel et nous pousser à adopter la doxa officielle de bon ou mauvais gré. Robert Chardon a-t-il été interné de force par les autorités ou enlevé par un groupuscule ou … que sais-je ? Le doute qui fait tache d’huile propage un sentiment d’anxiété à propos de cette narration des événements quotidiens qui nous est servie par les médias dominants.

La peur, principale alliée des supputations

Le temps que dure le suspens, les consommateurs d’information se perdront en conjecture tout en brodant des hypothèses déconnectées de la réalité de Robert Chardon. Et, après un certain laps de temps, les autorités concernées (lesquelles au juste?) sortiront de leur mutisme pour nous annoncer la «version autorisée» des événements «réels» qui entourent toute cette affaire. Sur ces entrefaites, une pléiade d’associations et de regroupements vont entreprendre de croiser le fer avec une ardeur redoublée. Les médias, par le biais de leurs émissions d’affaires publiques poseront la question du jour: faut-il «repérer et traiter» ceux qui propagent des «pensées haineuses» comme le proposait, dans le sillage de l’affaire Charlie Hebdo, une médiacrate aux manettes ? Et, le pouvoir politique, par le biais d’un spécialiste médicale autorisé, finira par nous servir SA version des «faits».

Le temps que les autorités médicales «traitantes» s’occupent de neutraliser les capacités cognitives et émotionnelles de Robert Chardon, le pouvoir politique aura tout le temps nécessaire afin d’éplucher les dossiers qui se rapportent à la vie politique de l’interpelé, à sa vie familiale, à son passé médical et à ses prises de positions antérieures. Ses proches seront interrogés à savoir s’ils cautionnent ou pas les propos incriminés et ils comprendront vite qu’il convient de prendre très au sérieux les considérations d’un pouvoir qui est de plus en plus aux abois. La «narrative» finira par nous déballer le «pot aux roses»: Robert Chardon souffrait de fréquents troubles d’anxiété et avaient déjà eu des démêlés avec telle ou telle association des «amis de l’Islam» … bref, le scénario est en plein processus d’écriture au moment de pondre notre analyse.

Tout cela nous rappelle les fréquents «dérapages» d’un Jean-Marie Le Pen, politique populiste qui semble avoir été taillé sur mesure pour que la «narrative» puisse ponctuer son ronron de déclarations intempestives qui seront reproduites par les médias sur le mode des «propos et confidences de l’ennemi public numéro 1».

Les éléments constitutifs du récit médiatique

Les cameos de Jean-Marie Le Pen, comme la disparition de Robert Chardon, servent de moments clef pour les régisseurs de la machination médiatique. Le récit officiel – doxa du pouvoir – doit pouvoir étayer son propos par le biais d’événements charnières ou déclencheurs qui feront en sorte de détourner l’attention des consommateurs d’informations. L’attention est tenue en alerte par la «narrative», elle est en état de captivité permanente. Il est, donc, facile de la détourner pour que le point de vue du consommateur soit retourné en temps opportun. C’est ce que je qualifiais de «stase» dans une autre analyse critique mise en ligne sur Dedefensa.org. L’état hypnotique du consommateur permet aux régisseurs de procéder à un «renforcement positif» des «valeurs» qu’il convient d’inoculer. La mise en tension permanente des affects du consommateur fait partie du dispositif de manipulation des consciences qui est à l’œuvre au cœur de la matrice médiatique.

Ainsi, les propos intempestifs de Jean-Marie Le Pen, provoqués par les mercenaires du pouvoir médiatique, permettront-ils d’induire une nouvelle dimension au récit politique en cours. Pourquoi Jean-Marie Le Pen est-il en guerre contre les «mignons» qui font partie de la cour de sa propre fille ? Souhaite-t-il faire exploser le Front National au simple motif qu’il serait jaloux de Marine Le Pen ou bien désire-t-il plutôt lancer un signal d’alerte en bonne et due forme ? La fille du patriarche doit se distancier du fondateur de la formation frontiste si elle désire gagner en respectabilité politique. Toutefois, elle risque de s’aliéner une portion appréciable des anciens militants du parti.

Au-delà de cette cadrature du cercle, il y a toute une mécanique de la mise-en-scène politique qui se joue, ici, sur les planches du théâtre médiatique. Les analystes politiques et leurs affidés supputent, pour les malentendants (nous, les cons de citoyens), une foule d’extrapolations à propos des causes et des effets d’un procès politique qui n’est qu’une vulgaire commedia dell’arte.

La mise en examen des suspects

D’autres acteurs «subversifs ou anticonformistes», actifs sur les planches médiatiques, nous ont déjà gratifiés de leurs propos intempestifs dans le sillage de l’affaire Charlie Hebdo. Les analystes en poste se sont fendus d’innombrables exégèses à propos du sens de telle ou telle locution, des sous-entendus en jeu ou du côté «récidiviste» des infortunés pamphlétaires mis en examen. D’ailleurs, la «mise en examen» semble être devenue une pratique courante au pays de Molière, dans un contexte où les défenseurs de la «laïcité républicaine» sont devenus les nouveaux censeurs autorisés. On se rappellera la pièce d’Alfred Jarry, «Ubu Roi», une savoureuse pantalonnade qui esquisse avec brio les traits de caractère du pouvoir en ce qu’il comporte de plus auto-complaisant.

On peut lire sur le site theatre-contemporain.net qu’ «Ubu roi est une parodie burlesque sur le pouvoir, la prise de pouvoir, l’abus de pouvoir, l’amour insensé du pouvoir total». Le personnage vedette de cette pièce, Père Ubu, est imbu de lui-même et son comportement s’apparente à celui d’un pervers narcissique au faîte de sa névrose mortifère. Il personnifie, avec générosité, le furoncle le plus abject du pouvoir tel qu’il se présente aux yeux de ses victimes consentantes. Alfred Jarry a mis en scène une sorte de tyran égotique qui rêve d’anéantir tout ce qui peut faire obstacle à son proverbial appétit pour la rapine, le viol des consciences et l’autosatisfaction d’un égo de cochon. «Sa seule source d’inquiétude est que quelqu’un puisse lui contester une part de ce pouvoir. Ce qui l’amène à tout faire pour être de plus en plus puissant, c’est à dire omnipotent. Il en arrive donc à cette pensée totalement absurde qui est l’aboutissement suprême et le dernier axiome du potentat: Il est le seul être digne de vie», peut-on encore lire sur le site theatre-contemporain.net.

Ubu Roi c’est toute la classe politique de France, avec à sa tête un petit potentat qui s’improvise préfet de discipline par les temps qui courent. Dans un contexte où le plus mauvais gouvernement français de tous les temps doit impérativement sauver la face, il importe, d’abord et avant tout, de débusquer des boucs émissaires qui seront «repérés et traités» en temps réel. Quand même! Sans être juriste (ou parangon de vertu républicaine) l’auteur de cette analyse sait, pertinemment, qu’il est légal d’intercepter manu militari quiconque profère des menaces de mort (ou l’équivalent) sur la place publique. Mais, de là à interner quelqu’un qui professe quelques opinions plus ou moins «recevables» … il y a une marge que nos Ubu de procureurs n’hésitent pas à transgresser.

Curieusement, à l’heure où des enfants d’école, des carabins, quelques tribuns mal dégrossis ou des activistes politiques déguisés en comédien sont «mis en examen», qu’il nous soit permis, pour le bénéfice de nos lecteurs, de pousser notre analyse un cran plus loin. Et, si la consommation de nos médias délétères s’apparentait à une «mise en examen» quotidienne de notre conscience de consommateurs formatés ? Les médias à la botte d’Ubu Roi nous abreuvent, vaille que vaille, de leurs insanités quotidiennes, après quoi nous sommes invités à en discuter (entre nous…) sur les médias sociaux et à participer à des vox pop expressément conçus afin de propager un semblant de consultation populaire. Puis, les régisseurs de service touillent et laissent reposer … sur ces entrefaites, quelques récalcitrants sont subrepticement «mis en examen», histoire de nous aider à mieux intérioriser notre rôle de «citoyens» consentants.

Mieux vaut consentir que d’être mis en examen. Voilà la devise de cette doxa républicaine que l’on est forcé d’ingurgiter, jour après jour. Et, au rythme où vont les choses, nous seront bientôt invités à dénoncer notre propre entourage en guise de prévention pour que «la haine ne se propage pas». Ceux et celles qui s’aviseraient de rouspéter seront «repérés», interceptés (ce que notre médiacrate de service avait omis de dire) et dûment «traités» avant de pouvoir regagner l’agora des agneaux consentants et replets. Comme le disait si bien Philippe Grasset, l’éditeur du site Dedefensa.org, on serait tenté de reconnaître que «ces braves Femens» ne font que souligner l’air du temps, à une époque où l’on bastonnera bientôt les octogénaires qui ne se sentent pas Charlie.

Patrice-Hans Perrier