Séparatistes de tous les pays, rendez-vous à Donetsk

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Séparatistes de tous les pays, rendez-vous à Donetsk

Il s’agit d’une assez étrange alchimie, mais qu’importe la recette si le plat concocté dégage un fumet antiSystème. Voici donc Alexandre Ionov, présenté par Sputnik-français comme “dirigeant du Mouvement Antimondialiste de Russie”. C’est lui, nous dit la nouvelle du 25 mars 2015, qui a invité à Moscou Nathan Smith, numéro trois du mouvement sécessionniste du Texas qui affirme compter 250.000 membres. (Le Texas est, avec le Vermont, l’État de l’Union qui est le plus actif dans sa tendance sécessionniste.) Ionov annonce l’organisation d’un rassemblement de séparatistes/sécessionnistes internationaux sur le territoire de la Novorussia, chez les séparatistes du Donbass, pour cette année. Outre les Texans, les Catalans et les Flamands sont cités.

Il y a d’abord des déclarations de Nathan Smith, qui expose les conceptions des sécessionnistes texans, constituées pour l’essentiel par une critique aiguë du centre washingtoniens selon les arguments habituels mais toujours valables, et de plus en plus valables d’ailleurs, selon le développement de l’activisme surpuissant du susdit “centre”... «“Nous avons besoin de l'indépendance, parce que nous sommes différents [...] Nous ne sommes pas d'accord avec la politique du gouvernement fédéral américain... [...] Pourquoi les Texans doivent-ils financer le budget militaire astronomique des Etats-Unis? Nous ne sommes pas d'accord avec cette politique”, a indiqué M. Smith, en visite à Moscou depuis vendredi dernier... [...]

»“Le gouvernement fédéral prend plus qu’il ne donne au Texas. Le Texas ne reçoit rien du gouvernement américain, alors que nos richesses servent à financer les autres États. Le système économique américain est en danger. Le gouvernement ne contrôle pas les dépenses. Les États-Unis ont une dette publique supérieure au PIB national. Et le plus grave est que la situation économique actuelle n'a pas d'issue. Ils ne font qu'imprimer de l'argent”, a déclaré M. Smith au journal russe ‘Vzgliad’. “Nous voyons que le rôle du centre fédéral est toujours en hausse et personne ne s'intéresse à l'opinion des États. Le président américain Barack Obama ne s'adresse même pas au pouvoir législatif, il émet des décrets présidentiels. Ce n'est pas une démocratie, c'est une dictature. Cela nuit au pays et cela nuit au Texas”, a conclu M. Smith.»

Quant à Ionov, cité également dans le même texte, il parle essentiellement du projet de grand rassemblement des sécessionnistes/séparatistes ... «Le séparatisme américain et européen prend de l'ampleur. Des délégations américaines et européennes, qui plaident pour le droit de leurs nations à l'autodétermination, ont noué des liens étroits. Les Catalans, Flamands et Texans ont l'intention de tenir une conférence sur le territoire de la DNR (république populaire autoproclamée de Donetsk, à l'est de l'Ukraine) en 2015.»

On ne se prononcera pas sur la validité et l’importance du projet exposé ici (conférence en Ukraine orientale, sur le territoire de la DNR), non plus que sur les intentions et les capacités des différents acteurs de la chose. Il est encore trop tôt pour émettre un avis, encore moins un jugement, et l’on dispose de trop peu d’indications à cet égard. La seule remarque que l’on peut faire est qu’il y a un intérêt des médias russes, et notamment de l’ensemble médiatique gouvernemental Sputnik pour cette ébauche de dynamique, ce qui pourrait sembler indiquer que la Russie pourrait avoir l’intention de lui faire bon accueil, voire de participer à son développement.

On observera bien entendu qu’il existe de grandes disparités, des orientations différentes, des centres d’intérêt éloignés entre les différents acteurs potentiels. On observera également qu’il y a des points de vue politiques différents entre la Russie elle-même et les différents séparatistes et sécessionnistes. Ces réserves renvoient à une situation normale, sinon “normalisée”, des relations internationales, c’est-à-dire une situation que nous ne connaissons plus depuis longtemps puisque nous nous trouvons dans un régime crisique général, avec des crises diverses, devenues structurelles et qui subsistent malgré des différences d’activité considérables. C’est effectivement bien le caractère de ce que nous désignons comme celui d’une infrastructure crisique (voir aussi le “facteur crisique”), qui est de faire du phénomène de “la crise” la structure même de la nouvelle situation du monde ; par conséquent, les situations “normales” ou “normalisées” n’existent plus, et toutes les remarques restrictives que nous avons présentées plus haut sont d’autant affaiblies, sinon éliminées. Dans ce contexte, on peut comprendre que la Russie puisse envisager d’abriter dans son cercle d’influence un mouvement séparatiste mondial, qui regrouperait les séparatismes, si la chose est concevable. Une telle initiative s’inscrirait bien dans l’arsenal que les Russes se constituent depuis le début de la crise ukrainienne, pour lutter contre les USA et le bloc BAO ; il s’agit bien entendu d’un arsenal au niveau de la communication principalement, avant même d’envisager la concrétisation et l’efficacité de tel ou tel projet, et un arsenal dont la finalité est nécessairement antiSystème.

(On retrouve la même logique anarchique, mais à finalité bien identifiée, de l’évolution de type antiSystème. Peu importe pour notre propos, que la Russie ne soit pas entièrement antiSystème, – qu’elle soit à la fois dans le Système et antiSystème ; peu importe que les divers séparatistes/sécessionnistes qui seraient concernés aient des attitudes très différentes vis-à-vis du Système ; etc. L’important et l’essentiel reposent dans la possibilité d’une opportunité où différents acteurs se retrouveraient en rencontrant leurs intérêts dans une dynamique dont la finalité serait évidemment antiSystème, parce qu’elle serait suscitée à partir de Moscou, parce qu’elle menacerait l’intégrité de nombre de pays du bloc BAO, etc.)

Là-dessus, il est incontestable qu’un événement comme le rassemblement dans la république autoproclamée de Donetsk, s’il avait lieu, constituerait une excellente action de communication pour le phénomène dont on évoque la possibilité de se manifester, tant l’attention est braquée sur l’Ukraine et sur les séparatistes ukrainiens. Pour ces derniers, les séparatistes ukrainiens, ce serait également un événement important de relations publiques, qui contribuerait à légitimer leur position, leur statut et même leur lutte. Il contribuerait à l’entrée de la situation ukrainienne dans une nouvelle phase, qu’on dirait post-Minsk2, consistant dans le renforcement et l’affirmation des positions qui sont sorties des combats lancés à la fin du printemps 2014.

On suivra donc l’évolution du cas, pour l’instant sans rien pouvoir en dire de ses possibilités de réussite, d’affirmation, etc. Il reste qu’il s’agit d’une ouverture intéressante, dans la mesure où le caractère nécessairement antiSystème de tout mouvement sécessionniste/séparatiste à l’intérieur d’un pays du bloc BAO, quoiqu’il en soit de ses intentions et de sa réalisation, lui donne une vertu naturelle. La position hypothétique de la Russie par rapport à une telle dynamique, – par rapport au paradoxe d’une sorte de “fédération” internationale de divers mouvements sécessionnistes/séparatistes, — devrait être d’y trouver son intérêt tactique, si vraiment la direction politique russe est convaincue que la confrontation sous toutes ses formes (avec les USA principalement) est désormais une voie assurée. Même si le soutien de tels mouvements pourrait sembler en contradiction dangereuse avec d’éventuelles poussées centrifuges en Russie même, les Russes nous ont habitué à montrer assez de subtilité et d’agilité d’esprit pour contrôler sans trop de dommages cette contradiction ou ce conflit d’intérêt potentiel.


Mis en ligne le 25 mars 2015 à 16H22

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