Psychologies au bord de la crise de nerfs

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Psychologies au bord de la crise de nerfs

Comme disait l’autre il y a exactement un siècle (le 31 juillet 1914, à 16H00 à Paris), en décrétant la mobilisation générale, – «La mobilisation n’est pas la guerre» (président Raymond Poincaré) ; ainsi semblerait-on vouloir dire, en observant quelques manifestations ici et là du côté du bloc BAO où l’on est pris d’un discret vertige annonciateur de la crise de nerfs : “les sanctions ne sont pas la guerre”...

Effectivement, un train important de sanctions contre la Russie a été décidé, par les USA et par l’UE ou par l’UE et par les USA selon l’ordre qu’on affectionne du doublé gagnant. Pourquoi, “contre la Russie” ? On répondra directement et avec le goût de la précision, “parce que c’est la Russie et parce que c’est Poutine”, comme Montaigne disait de La Boétie et de lui-même, «parce que c’était lui, parce que c’était moi» ; puisque, sur le fait même, sur la conjecture qui a conduit à ce train de sanctions, – savoir la destruction du MH17, – à part le “tribunal révolutionnaire et populaire” de la presse-Système (comme l’on disait “tribunal révolutionnaire et populaire” des révolutionnaires, du temps des révolutions), rien n’a été conclu quant aux responsabilités, et que même les indices autant que la logique de l’effet politique et de communication de l’acte font penser que la Russie est le moins probable des coupables potentiels, respectivement derrière l’Ukraine de Kiev, l’accident du hasard et les résistants du Donbass ; bref, et puisque nous sommes dans le jeu de l’analogie des bonnes recettes, “les voies du Sanctionneur sont impénétrables”.

• Il est vrai que le “tribunal révolutionnaire et populaire” de la presse-Système n’y va pas avec le dos de la cuillère. La presse-Système a toujours ce réflexe sensationnaliste, type-tabloïd qui fait vendre, à côté de la vertu en sautoir et du mépris écrasant pour la presse non-professionnelle (l’internet, les “réseaux sociaux” auxquels le département d’État renvoie les compliqués coupeurs de cheveux en quatre qui réclament des preuves de la culpabilité-sans-nécessité-de-preuves de la Russie et de Poutine). La presse-Système fait dans le grossier, l’énorme, parce que quand il s’agit de la vérité enfin révélée au bon peuple-Système, la louche est recommandée comme instrument de mesure de la pensée. On connaît les “unes” sensationnelles de Time, de Newsweek, du Spiegel, du Nouvel Obs’ et ainsi de suite, montrant Poutine comme ceci, Poutine comme cela, en lunettes noires type-KGB, en regard dissimulé type-KGB, en col de cuir noir relevé type-KGB, en torse-nu type-KGB, en sourire sardonique type-KGB... (Voir aussi, avec bien d’autres précisions, détails, etc., sur les performances de la presse-Système, le “Saker-français”, le 22 juillet 2014 et Les Crises.fr le 28 juillet 2014.) Il faut enfin signaler, pour disposer de tout le dossier professionnel dressé par la presse-Système contre l’accusé présumé-coupable Poutine, un excellent article de WSWS.org de David North et Alex Lantier, du 30 juillet 2014. WSWS.org, qui en perd presque son ton sérieux et parfois un peu compassé et guindé, dans tous les cas idéologiquement irréprochable, pour une certaine verve polémique et furieuse, de celle qu’appellent les jugent du “tribunal révolutionnaire et populaire” de la presse-Système... Lisons quelques extraits substantiels de l’article pour se pénétrer de l’esprit de la chose.

«Are you ready for war—including possibly nuclear war—between the United States, Europe, and Russia? That is the question that everyone should be asking him – or herself in light of the developments since the destruction of Malaysian Airlines Flight MH17... [...]

»...Today, on the other hand, the CIA is directing an incendiary propaganda campaign against Russia and its president, Vladimir Putin, a campaign that seems intent on provoking a direct military confrontation with the country with the second largest nuclear arsenal in the world. There is no question that the CIA is mobilizing all the resources and assets it commands—within governments, the media, and among academics—in a carefully orchestrated campaign aimed at polluting public opinion with anti-Russian hysteria... [...]

»Since the beginning of the week, the three most influential mass circulation newsmagazines of the United States, Britain, and Germany—Time, The Economist, and Der Spiegel—have published cover stories that combine wild accusations against Vladimir Putin with demands for a showdown with Russia. The most striking and obvious characteristic of these cover stories is that they are virtually identical. The CIA has scripted them all. The stories employ the same insults and the same fabrications. They denounce Putin’s “web of lies.” The Russian president is portrayed as a “depraved” mass murderer.

»What is the Russian president to make of the use of this sort of language in the most influential newsmagazines? He is on the receiving end of the same campaign of vilification that was previously directed against Serbia’s Slobodan Milosevic, Iraq’s Saddam Hussein, Libya’s Muammar Gaddafi, and Syria’s Bashar al-Assad. Putin certainly knows the outcome of these propaganda campaigns. Serbia was bombed into political submission and Milosevic was carted off to The Hague, where he died, mysteriously, in prison. Iraq was invaded and Hussein executed. Libya was also invaded, and Gaddafi —much to the amusement of Hillary Clinton—was savagely tortured and lynched. As for Assad, the United States has directed a bloody insurgency that has resulted in the deaths of more than 100,000 Syrians. Given this record, Putin could hardly be accused of paranoia were he to conclude that the United States and its European allies want him dead. Therefore, one must ask, what impact might this well-grounded suspicion have on his own course of action as the confrontation escalates?

»In all three cover stories, the governments of Western Europe and the United States are taken to task for failing to move against Putin and Russia. The three magazines adopt a tone of angry impatience with what they perceive to be insufficient aggressiveness. They all argue that the time for talk is over. Der Spiegel declares “The wreckage of MH17 is also the wreckage of diplomacy.” How should this statement be interpreted? If diplomacy has failed, it can only mean that war is imminent.

»In its article “In Russia, Crime without Punishment,” Time attacks Obama for asking Putin to assist in the investigation of the crash rather than immediately threatening Russia with war. It writes, “This was the crisis in a nutshell: the least Putin could do was the most Obama could ask for. The American President announced no deadlines, drew no red lines and made no threats.” The invocation of “deadlines,” “redlines,” and “threats” is the language of war. How else should these words be read?

»Time attacks Italy and France and even the Obama administration and the American people for not backing aggression against Russia: “Putin doesn’t have a lot to worry about when he looks at the forces aligned against him. Obama, as the leader of a war-weary nation, has ruled out all military options, including the provision of weapons to Ukraine.” Clearly, Time wants to place military options on the table. In its lead editorial, entitled “A web of lies,” The Economist follows the same script, accusing the West of vacillation. “The Germans and Italians claim to want to keep diplomatic avenues open, partly because sanctions would undermine their commercial interests. Britain calls for sanctions, but it is reluctant to harm the City of London’s profitable Russian business. America is talking tough but has done nothing new.”

»The coordinated media campaign is already producing the desired effect. On Tuesday the Obama administration and the European Union announced that they had agreed on a new set of tougher sanctions. These measures are being interpreted as a transitional measure toward what Financial Times columnist Wolfgang Munchau describes as “The Atom Bomb of Financial War.” Munchau’s piece has been published not only in the Financial Times but also in Der Spiegel...»

• «Are you ready for war – including possibly nuclear war –between the United States, Europe, and Russia?» Eh bien, finalement, pas vraiment... Toute cette ivresse des juges du “tribunal révolutionnaire et populaire” de la presse-Système a fini par peser gravement sur les psychologies de divers élites-Système, qui s’avisent, sanctions prises, qu’il se passe quelque chose, que peut-être les esprits mesurés de certains parmi elles-mêmes, ces élites-Système, se laissent emporter sur un terrain drôlement miné. Abus d’enthousiasme, d’amphétamines et d’Extasy, de suprême vertu révolutionnaire, que sais-je encore ? Toujours est-il que The Guardian publie un éditorial sur un ton sentencieux mais terriblement “backpedaling” où, certes, s’il est question d’une “Guerre froide 2.0” on rappelle que la “Guerre froide 1.0” était aussi, sinon surtout certes, le temps de la négociation, des arrangements, des compromis (voir ce que nous en disions le 20 mars 2014). L’édito (le 31 juillet 2014) est donc tout entier consacré à une plaidoirie pour une attitude exactement inverse à celle que prône le Guardian depuis des semaines à l’encontre de Poutine et des Russes, – pas question de négocier, il faut frapper vite et fort, – et pour ce cas, c’est surtout “plus question de frapper vite et fort, il faut négocier”... Car le danger, très-cher Vladimir Vladimirovitch, soyons raisonnables vous et nous, il est pour «all of us, east and west»...

«What we do know, from the old cold war is that restraint is more likely when an alternative path is opened up. Talks are due to take place in Minsk soon between Russia, Ukraine and the Organisation for Security and Cooperation in Europe. The immediate topic is the security of the site of the crashed Malaysian airliner. Yet perhaps there is a shred of hope that this encounter, or back-channel talks which we do not at this moment know about, might offer a way back from the dangerous ground all of us, east and west, are now treading.»

• On signalera aussi The Independent du 31 juillet 2014, qui, plein d’espoir, nous révèle que Poutine et Merkel négocient depuis des lustres et en coulisses pour un arrangement qui nous donnerait une miraculeuse résolution de la crise, – ouf, pas de “Troisième dernière” (dito, Troisième Guerre mondiale). Le journal nous donne divers détails, nombreux et très ambitieux, sur ce que pourrait être cet accord toujours en négociation, – quoique des négociations gelées depuis un certain MH17 : «However, these attempts by Ms Merkel to act as a broker between President Putin and the Ukraine’s President, Petro Poroshenko, were put on the back-burner following the shooting down of the MH17 plane in eastern Ukraine.» Bref, le “tribunal révolutionnaire et populaire“ semblerait tout de même vouloir entendre certains témoins de dernière minute, à décharge, après avoir confirmé le verdict de culpabilité sans appel comme préalable évident au procès... Manœuvre délicate, dont on doute qu’elle aboutisse pleinement, vu le zèle révolutionnaire du moment. (Notamment, dans la plan magique Merkel-Poutine, le point où le rattachement de la Crimée à la Russie serait acceptée par l’intransigeante “communauté internationale” nous paraît extrêmement improbable, vue les gages d’humeur à ce propos données par la susdite “communauté”.)

• ... Mais nous en arrivons au principal, – toujours britannique, tant il semble que les Britanniques, parfaitement dans leur rôle habituel de caméléon ultra-rapide selon les circonstances, semblent les plus zélés pour freiner des quatre fers après avoir été les incendiaires les plus zélés. Quoi qu’il en soit, le Premier ministre de Sa Majesté semble bien être le premier pour la séquence parmi les dirigeants-Système à avoir enfin osé prononcer, ou dans tous les cas évoqué l’expression terrible jusqu’alors réservés aux commentateurs antiSystème et autres “comploteurs”, – “Troisième Guerre mondiale”, – mais pour aussitôt la réfuter : «We won’t start World War Three over Ukraine», selon Russia Today le 30 juillet 2014. Non sans rappeler que l’équipe Russie-Poutine est évidemment coupable dans l’affaire MH17, selon des “évidences circonstancielles” dont l’évocation nous laisse cois, il va au principal... Les sanctions oui, la guerre certainement pas, oh dear... «The British Prime Minister, David Cameron, has said Britain was not going to “launch a European war or send the fleet to the Black Sea” over the Ukraine crisis, applying economic pressure instead.»

Après avoir développé l’évidence “circonstancielle” de la culpabilité russe, de la vilenie russe, il salue la gloire présente du bloc BAO qui a une attitude beaucoup plus ferme qu’à l’orée des Première et Seconde Guerres mondiales, et qui ainsi nous évitera la grande “Troisième dernière”... «In light of this, the US and the EU should use the economic power that they have, said Cameron, referring to the imposition of sanctions against the Russian economy, a further wave of which was announced by the EU and the US Tuesday.

»“We are not about to launch a European war, we are not about to send the fleet to the Black Sea, we are not looking for a military confrontation, but what we should do is use the economic power that we have,” Cameron said. The Prime Minister added that he thought the economic pressure would work because “in the end Russia needs Europe and America more than America and Europe need Russia.”»

Donc, les diverses psychologies des élites-Système du bloc BAO dont on s’aperçoit soudain qu’elles pourraient bien être au bord de la crise de nerfs, lorsqu’on soulève le voile et qu’on découvre que le dieu de la guerre est nu... Bien, le tableau général de ces diverses remarques, qui ne prétendent pas embrasser l’ensemble mais qui, à notre sens, en dessinent ce qui pourrait être une tendance nouvelle et puissante, est qu’il naît soudain une réaction de crainte, qui ne serait pas loin de la panique dans certaines circonstances et pour un tout petit peu, devant les perspectives réservées par la dynamique-Système en mode turbo dans les relations (?) avec la Russie à partir de la crise ukrainienne. Il s’agirait alors du premier “choc en retour” notable de la crise, dans le chef de la politique-Système aveuglément suivie par le bloc BAO. Il n’est nullement assuré que cette tendance nouvelle finira finalement par s’imposer, ni même qu’elle durera de façon marquante tant la pression de la communication absolument orientée dans la russophobie est grande, mais elle existe incontestablement. Question plus pressante et encore plus risquée : sera-ce suffisant pour arrêter la dynamique-Système ? Nous serions grandement étonnés si c’était le cas, tant cette dynamique-Système est extrêmement puissante, et la sagesse raisonnable (soyons généreux) de ces dirigeants-Système à peine épisodique et surtout erratique, et de toutes les façons accidentelle et insaisissable. Contre l’hybris déchaînée, la partie nous paraît très largement perdue d’avance...

Par contre, et là est sans aucun doute l’intérêt de cette étape, il s’agit peut-être des premiers signes de ce que nous désignions, dès notre texte du 3 mars 2014, comme un “choc psychologique” colossal devant la réalisation de ce qui est en train de se passer, avec la possibilité d’intéressantes conséquences.

« “Une guerre stupide pour en finir avec toutes les guerres stupides” (“la mère de toutes les guerres stupides”, doit ricaner Saddam de Là-Haut), – et l’on comprend bien sûr que cela est écrit, consciemment ou pas, avec une arrière-pensée apocalyptique, et le “en finir” a alors une connotation affreuse et terrible ; parce qu’entre les conditions du possible conflit en Ukraine avec la puissante armée russe, et l’incapacité du bloc BAO d’y répondre au même niveau conventionnel, l’alternative d’une guerre-malgré-tout c’est le nucléaire... [...]

»Cette prise de conscience paradoxalement inconsciente du danger suprême est-elle en train de se faire dans le bloc BAO ? Notre sentiment est que cette hypothèse doit être prise en compte : ce pourrait bien être le cas, et si c’est le cas cela devrait être nécessairement très rapide, comme vont les choses aujourd’hui. La prise de conscience n’est alors plus, pour le bloc BAO, une évolution psychologique mais un formidable choc psychologique. On devrait voir, à partir de cette proposition du “choc psychologique”, si c’est effectivement le cas dans le très court terme, à mesure de la détérioration de la situation ukrainienne. S’ouvrirait alors la perspective d’une nouvelle et terrible inconnue dans l’équation de ces temps fondamentaux, car l’issue apocalyptique, c’est-à-dire le risque du conflit nucléaire, n’est pas une assurance événementielle (qu’on pardonne l’étrange assemblage de mots si étrangers). Cette “nouvelle et terrible inconnue”, c’est d’abord d’observer ce que ce “formidable choc psychologique” produirait comme effets sur le bloc BAO. Aucune prospective n’est à faire, car il serait déraisonnable de spéculer sur l’inconnu, sur cette terra incognita que serait cette réalisation de la possibilité de l’apocalypse nucléaire ; il serait déraisonnable de spéculer sur l’effet d’un “choc psychologique” qui, s’il a lieu, bouleversait tout dans notre perception, dans notre jugement, dans notre attitude. Personne ne serait épargné, y compris les Russes d’ailleurs, car s’ils ont, eux, ce risque terrible à l’esprit, il va de soi qu’ils n’en veulent à aucun prix, – mais ils ont ceci de plus que les autres, dans le sens du tragique, qu’ils y sont préparés. [...]

»Ainsi notre analyse est-elle que la possibilité du pire est en train de naître avec la crise ukrainienne rencontrant le néo-isolationnisme de l’effondrement américaniste (avec la psychologie américaniste à mesure) exprimé dans sa déroute budgétaire et monstrueuse, qu’elle existe peut-être désormais, mais que cela ne signifie pas que l’évolution de la situation va nécessairement dans ce sens du pire exprimé en un conflit nucléaire inéluctable. Cela signifie d’abord la possibilité, sinon la probabilité de ce “formidable choc psychologique” qui devrait changer toutes les conditions du jugement et même, en amont de la réflexion, de la perception elle-même, et par conséquent du comportement, des décisions, de la soumission à des événements à la course complètement nouvelle et inattendue débouchant plus sur le désordre cul-par-dessus tête que par l’impasse de l’apocalypse. L’analogie guerrière qui vient à l’esprit, mis à part absolument la question apocalyptique de l’emploi du nucléaire mais en la comptant comme un formidable facteur psychologique, s’accorde parfaitement avec l’autre symbole du centenaire de 1914, – car cette analogie est bien celle de la Grande Guerre, bien plus que de la Deuxième Guerre mondiale... [...] On comprend que ce qui nous rapproche de 1914, ce n’est pas nécessairement l’événement (la guerre) mais l’esprit d’un temps perdu dans une ivresse aveuglante et qui se trouve soudain confronté aux réalités catastrophiques de lui-même. La crise ukrainienne, et la réalisation que les pressions du Système (du bloc BAO, son factotum) peuvent conduire à l’extrême catastrophique des affaires du monde, peuvent aussi bien, grâce au “formidable choc psychologique” dont nous parlons et à l’immense crainte qu’il recèle, déclencher une autre dynamique d’une puissance inouïe. Notre hypothèse à cet égard, [...] est que cette dynamique est celle de l’effondrement du Système dont rien, absolument rien ne réclame qu’il se fasse dans l’apocalypse nucléaire, parce qu’alors elle pourrait bien être, cette dynamique, le fruit de la panique psychologique totale naissant de la perspective soudain apparue que le risque de la guerre nucléaire existe plus que jamais.»


Mis en ligne le 31 juillet 2014 à 08H23

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