Notes sur une “politique russe”

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Notes sur une “politique russe”

La “politique étrangère” existe-t-elle encore? La question nous vient à l’esprit à la suite de diverses remarques de lecteurs, souvent critiques, parfois polémiques, etc., sur notre façon d’analyser les événements. Souvent, ces critiques font appel à des concepts que nous avons installés nous-mêmes, – à notre connaissance, dans tous les cas, – mais dans un sens que nous n’approuvons pas toujours, tant s’en faut. Comme nous réclamons une certaine paternité à cet égard d’une part, comme il vaut mieux parler des mêmes choses ayant les mêmes significations pour l’un ou l’autre même mot employé d’autre part, nous commençons cette analyse en parlant du “virtualisme” et de l’“époque maistrienne”.

…Cela tombe bien puisqu’ainsi, avec ces deux concepts, nous entrons directement dans la réponse à la question posée en ce début d’analyse. C’est la “politique russe”, celle d’Obama en particulier puis étendue à d’autres acteurs du camp occidentaliste, qui sera le support de cette réflexion, particulièrement après les derniers développements de la visite d’Hillary Clinton à Moscou.

Effectivement, l’on verra également que ce concept de “politique russe” ne se limite certainement pas aux USA, bien que ce pays en soit aujourd’hui le principal promoteur. L’idée de “politique russe” en tant que telle s’impose à différents acteurs, en plus des USA, notamment à l’OTAN, devenue dans ce cas un acteur intermédiaire, et, bien sûr, à l’Europe, avec les multiples points d’interrogation, souvent piteux, qu’on imagine. Ces divers cas constituent des tests, si l’on veut, pour déterminer ce qu’est ou ce que pourrait peut-être une politique étrangère régénérée selon les conceptions classiques et anciennes de la chose. L’oxymore implicite de la remarque – “régénérer” quelque chose avec des “conceptions classiques et anciennes” – donne une bonne mesure de la décadence de notre politique en général, et de l’urgente nécessité de la modifier.

(Nous limitons le concept de “politique russe” comme démonstration du possible retour à une politique étrangère féconde et intelligente aux pays occidentalistes du champ euro-atlantique parce que ces pays ont cette exclusivité douteuse d’avoir, ces dernières années, complètement massacré le concept de politique étrangère au profit d’une bouillie pour les chats mélangeant les exacerbations de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” aux énervements de la doctrine (?) dite du “droitdel’hommisme”. Leur exemple est instructif, passant de la nullité considérée comme un des beaux-arts à l’ébauche d’une mesure et de la raison.)

D’une époque virtualiste

@PAYANT Le succès de la visite d’Hillary Clinton à Moscou a été à peine signalée. La principale chose retenue par la plupart des commentateurs est le refus des Russes de soutenir des sanctions dures contre l’Iran. “La plupart des commentateurs” en sont encore au champ de réflexion fécond de l'activisme virtualiste de l'époque Bush. A côté de cela s’est développé et continue à se développer ce qu’on ne nommerait certainement pas une polémique, mais, disons, un désordre de déclarations plutôt parallèles mais semble-t-il en sens contraires, plutôt que réellement contradictoires, concernant d’éventuels éléments du nouveau réseau anti-missiles installés ou utilisés en Ukraine.

Nous dirions que nous nous trouvons là devant un domaine essentiellement virtualiste. L’affaire iranienne ne cesse d’être dramatisée depuis quatre bonnes années pour ce qui est d’une menace implicite, voire explicite d’attaque militaire, et depuis bien plus longtemps pour ce qui est d’une hostilité générale (depuis 1979-1980 et l’affaire des otages de l'ambassade US de Téhéran pour les USA). Pourtant, rien de décisif ne se passe. Cette tension, parcourue par ailleurs de diverses sanctions plus ou moins appliquées, n’empêche pas certains pays importants, et ayant des liens sérieux avec la horde anti-iranienne, agressive et occidentaliste, d’entretenir des relations courantes avec l’Iran. On citera la Chine, la Russie, la Turquie, l’Inde.

Le même qualificatif de “virtualiste” doit être appliqué au réseau BMDE, dont on a déjà souvent parlé, notamment pour cet aspect. Là aussi, il s’agit d’une querelle, ou d’une crise, créée de toutes pièces, qui a constitué une sorte de tracassin constant mais qui n’a eu à aucun moment la capacité d’influer sur l’essentiel. La preuve ultime de ce caractère virtualiste du BMDE est une preuve par l’absurde: dans leur totale impuissance à “riposter” aux Russes dans la crise géorgienne, les USA de GW Bush ne trouvèrent qu’une chose à faire: accélérer la signature de l’accord BMDE avec la Pologne. Cela fait, rien ne changea dans la situation et, aujourd’hui, la Pologne et l’accord sont jetés aux oubliettes, avec, comme dédommagement pour les Polonais, quelques batteries de missiles sol-air Patriot dont on connaît la totale et dangereuse (pour les avions amis) inefficacité.

D’une époque “maistrienne”

La contrepartie de ce qui précède pourrait être nommé “époque maistrienne”, en référence à Joseph de Maistre à propos duquel nos lecteurs connaissent nos affinités. Dans ce cas, il s’agit de représenter symboliquement certaines nécessités, certaines lignes de force qui dépassent les balbutiements divers des situations virtualistes et les montages de circonstances, voire souvent concurrents, que peuvent élaborer les centres de pouvoir, pour s’imposer comme des dynamiques nécessairement impératives. C’est-à-dire que nous passons de l’accessoire faussaire à la substance impérative. Il nous apparaît évident que la “politique russe” est une de ces dynamiques nécessaires pour les USA, comme l’a encore montré la visite d’Hillary Clinton à Moscou.

Les USA devraient aisément écarter tous les obstacles qui les empêchent de faire avancer cette politique sur la voie de la coopération et, surtout, de la stabilisation de leurs relations avec la Russie. De ce point de vue, l’artefact virtualiste signalé plus haut, le réseau anti-missiles qui s’avérait être en fait une machinerie anti-russe montée de toutes pièces, pourrait servir au contraire de facteur-clef pour cette stabilisation, en conduisant à une coopération des deux puissances. Les antagonismes artificiels seraient ainsi contraints à devenir leur opposé, un outil de coopération entre les deux pays qui imposerait un automatisme d’arrangement pour les autres querelles éventuelles.

Si l’on qualifie cet épisode de prospective de “maistrien”, c’est parce qu’il répond à une logique supérieure, qui prend en compte l’évolution des situations substantielles des deux puissances. Ceux qui ont décidé cette politique ne l’ont pas décidée en tant que telle, ni avec un dessein, ni avec une vision, mais pour répondre à des pressions supérieures. D’une part, il y a l’affaiblissement dramatique de la puissance des USA, qui oblige ce pays à rechercher l’apaisement de toutes les lignes agressives établies artificiellement durant l’administration GW Bush; la “ligne” agressive anti-russe, par sa gratuité et sa sottise, par les risques graves qu’elle implique, est la plus évidente à traiter de ce point de vue. D’autre part, il y a, pour la Russie, une évolution vers une nouvelle méthodologie des relations internationales telle que l’avait définie Poutine lors de son discours de la Wehrkunde, en février 2007, qui implique des relations internationales plus équilibrées.

L’aspect “maistrien” se trouve bien dans ce que ces deux mouvements ainsi favorisés concourent à une évolution impliquant la mise en place d’une situation nouvelle. Nous ne parlons pas nécessairement d’une situation stabilisée, voire idéale, des relations, mais d’abord d’une situation où le système de l’américanisme, notamment en étant mis à l’écart par la direction politique sur ce point précis (notamment par la liquidation du BMDE), est de plus en plus poussé vers la mise en évidence explosive de ses contradictions. Nous croyons en effet à l’amélioration décisive des relations russo-américaine selon le schéma suggéré, mais aussi que cette amélioration sera de plus en plus l’objet d’un affrontement interne très violent aux USA, autour du système de l’américanisme qui reste producteur de situations de tension et d’antagonismes à potentialités catastrophiques.

La “politique russe” de l’OTAN

Ce cas de la “politique russe” est bien le seul cas patent où l’on trouve aujourd’hui la potentialité puissante d’une résurrection d’une véritable politique étrangère, selon les principes classiques de la recherche d’un apaisement des tensions, directement contre la “politique de l’idéologie et de l’instinct”. Mais ce cas est d’une importance considérable, parce que, à partir des USA pour le cas qui nous occupe, il s’ouvre aussitôt sur d’autres acteurs occidentalistes. En effet, la “politique russe” concerne aussi bien l’OTAN elle-même que l’Europe bien entendu.

Parlons d’abord de l’OTAN. Il s’agit alors de considérer cette organisation, non plus selon la vision classique d’un outil au service des USA. Cette vision classique est amplement justifiée, elle est indiscutable, et elle subsiste en un sens. D’autre part, elle est en même temps soumise à une crise épouvantable, à mesure de la crise que connaissent les USA, s’exprimant principalement, pour le cas de l’OTAN, par l’embourbement tragique en Afghanistan. Chaque jour qui passe du conflit de l’Afghanistan prouve l’impuissance, l’inutilité et l’inefficacité de l’OTAN. Plus encore, une affaire récente (le cas italien par rapport aux Français) a mis en évidence combien la position et l’action de l’OTAN, dans ces conditions, favorisaient la destruction complète de la solidarité entre alliés.

L’une des seules échappatoires pour l’OTAN devant cette catastrophe qui se développe à une vitesse turbo est l’idée d’une “politique russe”. C’est le seul cas où l’Afghanistan peut être d’une certaine utilité, notamment par les idées de coopération qui commencent à apparaître entre Russes et l’OTAN, notamment jusqu’à des idées de coopération au niveau de la planification. De ce côté (du côté de la Russie, on veut dire), le secrétariat général de l’OTAN n’est pas avare de signes d’ouverture.

On considérera comme d’une grande signification qu’un journaliste représentant la tendance atlantiste dans le débat actuel – et nous dirions même “la tendance atlantiste dans l’OTAN”, ce qui n’est peut-être plus un pléonasme – trouve comme proposition pour poursuivre le mouvement actuel, et, en réalité, bloquer certaines initiatives que les atlantistes craignent hautement (un rapprochement Russie-France un peu trop marqué), l’idée de l’entrée de la Russie dans l’OTAN. C’est effectivement la proposition de Tony Halpin, du Times, dont on a rapporté la substance le 3 octobre 2009. Comme proposition de “damage control”, ce n’est pas rien, car la Russie dans l’OTAN, cela ferait un joyeux chambard.

L’impossible “politique russe” de l’OTAN

Tout cela n’est pas, pour notre cas, de proclamer un soudain amour pour l’OTAN, ou pour annoncer que l’OTAN va véritablement compter comme quelque chose qui peut avoir sa politique. La première de nos intentions ici est de poursuivre notre analyse selon laquelle la “politique russe”, d’où qu’elle vienne, est aujourd’hui un facteur de créativité qui implique qu’il s’agit d’un courant politique d’une singulière importance, et qu’il n’est pas du tout virtualiste (création d’une fausse réalité), et qu’il est fondamentalement “maistrien” (poussée d’une dynamique supérieure imposant effectivement une politique étrangère pleine de substance).

Notre seconde intention est d’abord d’observer que, malgré toute son alacrité, l’OTAN n’arrivera à rien de fondamental avec la Russie. Cette organisation n’a, pas sa nature même, aucune identité politique propre, aucune souveraineté bien sûr, et une telle chose ne peut traiter avec un pays qui a son identité et sa souveraineté si fortement exprimées, comme dans le cas de la Russie.

L’effet de la poussée otanienne, dans ce cas combinée à la poussée US vers la Russie mais sans aucune coordination entre les deux ni identité d’objectifs, sera surtout d’imposer à l’Europe une pression supplémentaire pour que celle-ci fasse quelque chose avec la Russie. On dira avec juste raison qu’il s’agit d’une tâche herculéenne, voire impossible. Mais il y a des prolongements possibles, et c’est ce qui nous intéresse.

La question de la politique européenne

Il paraît que certains, y compris à la Commission européenne, commencent à se dire qu’il serait temps d’avoir une “politique russe” autre qu’une récitation sur le des droits de l’homme, alors que les Américains ont la leur, et l’OTAN également. Mais comment faire à 27, avec certains pays qui cultivent l’irresponsabilité comme une orchidée noire?

Il est donc tout à fait probable que, s’il y a une “politique russe” en Europe, elle sera le fait d’un ou plusieurs Etats-membres, en tant qu’entités nationales. Les autres suivront ou s’abstiendront. Le premier candidat sur la liste est sans aucun doute la France. On voit par ailleurs, sur ce site, ce même 19 octobre 2009, dans quel sens une telle orientation pourrait se dessiner. Dans tous les cas, il paraît impossible que tel ou tel acteur européen ne soit pas partie prenante dans une “politique russe” en Europe dès 2010. Cela se fera, une fois de plus, aux dépens d’une “politique européenne” (institutionnalisée) qui s’avère de plus en plus être une illusion sans guère d’intérêt, et qui jouera un rôle de plus en plus réduit.

Une réussite russe

C’est bien le point central qu’il nous importe de mettre en évidence. Dans le chaos sans précédent que sont devenues les relations internationales, la “politique russe”, c’est-à-dire essentiellement les relations internationales des divers centres en Europe et dans l’espace euro-atlantique avec la Russie, commencerait à devenir un point de référence d’une politique étrangère structurée. Dans le chaos général, effectivement, cette “politique russe” commence à émerger comme un développement plus rationnel et plus équilibré, qu’on pourrait recommencer à songer à désigner comme “une politique étrangère” dans le sens rationnel et mesuré du terme.

Les scories imbéciles de l’idéologie occidentaliste sont en train de se dissiper. Les absurdes exigences et leçons de morale sur les droits de l’homme, la démocratie, etc., se font de plus en plus rares. D’un autre côté, l’appréciation de la Russie dans le prisme mille fois réchauffé de la Guerre froide perd, elle aussi, de plus en plus de crédit, en même temps que l’influence des pays d’Europe de l’Est mobilisés par les lobbies néo-conservateurs et autres dans ce sens. Les accusations de l’utilisation de l’énergie utilisée par la Russie comme arme de pression et de chantage sur l’Europe (qui ne dépend que de 20 à 25% de la Russie pour son énergie!) n’ont plus guère de crédit.

Cette évolution a de multiples causes, sans aucun doute, mais l’une des principales est la solidité et la très bonne coordination du trio Medvedev-Poutine-Lavrov (auquel on pourrait rajouter Zorodine à l’OTAN) pour mettre en place les conditions d’une politique efficace et, en un sens, pacifiée. Pour autant, la Russie n’a perdu aucun des atouts diplomatiques dont elle dispose. Le dernier sommet Russie-Hillary Clinton en est une bonne illustration. Ce sommet doit être objectivement considéré comme un véritable succès alors que Hillary n’a rien obtenu d’essentiel des Russes sur l’Iran. L’intelligence des Russes, dans ce cas, a été d’orienter le sommet sur la seule voie des relations directes entre la Russie et les USA (et la Russie et l’Occident), et d’en faire un succès par l’entente qui s’en est dégagée.

Pacification pour affronter les crises

La “politique russe” est un exemple de la voie qui peut conduire vers une “nouvelle” politique étrangère, ou plutôt de “nouvelles” relations internationales; exempte de tensions inutiles, cherchant et trouvant des arrangements là où ils peuvent être trouvés, imposant un respect mutuel pour les souverainetés respectées en écartant les “ingérences humanitaires” et l’idéologie de communication qui empoisonnent les relations internationales.

Si une politiquée étrangère digne de ce nom existe encore, ou existe à nouveau, c’est là, sur l’axe Russie-Occident (Russie-Europe et Russie-USA) qu’on peut la trouver. Il est urgent de s’en inspirer car cette pacification des relations internationales est d’une urgence extraordinaire. Elle doit permettre d’établir des relations nouvelles relativement pacifiées dans un but explicite évident, qui est l’affrontement des crises eschatologiques et de leurs effets qui ne cessent de s’affirmer de plus en plus fortement. Il s’agit des crises des ressources et des crises de l’environnement; il s’agit également de la crise du système général de l’américanisme lui-même (système financier, bureaucratie, paralysie de la décision, absence de contrôle des centres de pouvoir), qui a pris de telles proportions qu’on peut considérer qu’elle est hors de tout contrôle humain sérieux, donc effectivement devenue elle-même une crise eschatologique. (“Eschatologie”, indiquant un fait dont l’homme ne contrôle pas tous les éléments, et selon la définition de Roger Garaudy: «L’eschatologie ne consiste pas à dire: voilà où l’on va aboutir, mais à dire: demain peut être différent, c’est-à-dire: tout ne peut pas être réduit à ce qui existe aujourd’hui.»)

“Politique maistrienne” contre virtualisme

Si l’on veut bien reprendre la classification subjective que nous avons proposée au début de cette analyse entre “politique virtualiste” et “politique maistrienne“, on comprendra que la première désigne une politique d’apparence de contrôle humain réalisé sur des données accessoires, fabriquées, déstabilisantes et déstructurantes, mises en place par des centres de pouvoir irresponsables et qui donnent l’impression d’une politique contrôlée alors qu’il ne s’agit que d’une politique faussaire, subvertie et sans réalité. La “politique maistrienne”, elle, consiste en l’acceptation de courants historiques qui nous dépasse, notre adaptation à ces courants faite de la façon la plus réaliste et la plus pacifiée possible.

Ce qui fonde aujourd’hui une “politique étrangère” au sens classique et enrichi du terme se rapproche du modèle “maistrien”, parce que nous devons admettre que nous ne contrôlons plus les grands courants historiques à l’œuvre – si nous les avons jamais contrôlés – mais il fut des temps où, grâce à une sagesse plus répandue, l’absence de contrôle semblait moins généralisé. La “politique étrangère” devient donc l’art de s’y adapter, au lieu d’en nier le fondement et l’existence à l’aide d’une affirmation virtualiste. La “politique russe” est le modèle de cette “politique étrangère” répondant aux impératifs d’une époque maistrienne.


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