Comment les 10 soldats français furent tués en Afghanistan en août 2008

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Quatorze mois après, le Times de Londres donne l’explication de l’embuscade qui coûta la vie à dix soldats français en Afghanistan (le 18 août 2008), dans un article présenté comme exclusif ce 15 octobre 2009. L’attaque avait été une surprise puisque la zone où elle eut lieu était restée calme; mais elle l’était, calme, parce que les services de renseignement italiens (les Italiens occupaient cette zone précédemment) payaient les “seigneurs de guerre” locaux pour maintenir le calme. Les Italiens ayant quitté la zone, le paiement avait été interrompu. Les Français, qui prirent la zone sous leur contrôle un mois avant l’incident, ignoraient cette situation du temps des Italiens et le changement intervenu.

«What [the French] did not know was that in the months before the French soldiers arrived in mid-2008, the Italian secret service had been paying tens of thousands of dollars to Taleban commanders and local warlords to keep the area quiet, The Times has learnt. The clandestine payments, whose existence was hidden from the incoming French forces, were disclosed by Western military officials.

»US intelligence officials were flabbergasted when they found out through intercepted telephone conversations that the Italians had also been buying off militants, notably in Herat province in the far west. In June 2008, several weeks before the ambush, the US Ambassador in Rome made a démarche, or diplomatic protest, to the Berlusconi Government over allegations concerning the tactic.

»However, a number of high-ranking officers in Nato have told The Times that payments were subsequently discovered to have been made in the Sarobi area as well. Western officials say that because the French knew nothing of the payments they made a catastrophically incorrect threat assessment. “One cannot be too doctrinaire about these things,” a senior Nato officer in Kabul said. “It might well make sense to buy off local groups and use non-violence to keep violence down. But it is madness to do so and not inform your allies.”»

On trouve dans ces circonstances, rapportées par le Times, toutes les caractéristiques de ce type de guerre dont le sens est impossible à saisir parce qu’il n’existe pas, où les pratiques mercantiles remplacent bien souvent les opérations normales de guerre pour la “pacification” ou la “sécurisation”, où l’absence de coordination, la méfiance, l’absence de solidarité ou l’indifférence marquent les rapports entre alliés. (Les Italiens n’ont pas averti les Français. Les Américains espionnent tout le monde, donc les Italiens dans ce cas, et étaient intervenus dans cette circonstance contre cette pratique italienne alors qu’ils l’utilisent eux-mêmes dans nombre de circonstances.)

Il est difficile de trouver mieux résumés, dans une circonstance tragique dont les conditions sont révélées par le Times, les attendus d’une condamnation plus complète d’une guerre dont personne ne comprend le sens, entre la narrative officielle et la réalité évidente. Chacun affirme sa solidarité et proclame les buts humanitaires du conflit, ou sa nécessité stratégique. Mais tout le monde s’y trouve pour des raisons médiocres d’opportunité politique ou de situation intérieure de communication. La plupart des alliés sont en Afghanistan parce que les Américains le leur demandent et que leur politique de servilité à cet égard leur interdit de refuser, mais leur engagement est minimal et l’objet de tous les arrangements possibles. Les Américains s’y trouvent parce qu’ils suivent une voie (la “politique de l’idéologie et de l’instinct”) dont ils ne peuvent sortir, par crainte d’être accusés de couardise par leur public et leur opposition, et parce que la machine de guerre US se refusent à abandonner ce qu’elle croit tenir ferme. Personne, parmi ceux qui connaissent les conditions réelles du conflit, ne croit fondamentalement à tout ce que débite la narrative officielle et tout le monde joue pour son compte sans se préoccuper de l’allié, ni l’informer de ses réelles conditions d’engagement. Dans ces conditions, payer les potentats locaux a évidemment un sens et, comme dit l’officiel cité, «One cannot be too doctrinaire about these things».

Toutes les conditions de la profondeur du gouffre séparant la présentation virtualiste de la chose (la narrative) et la réalité sont réunies. L’un des effets de la chose est que les hommes et des femmes meurent pour cette étrange “cause” qui est celle de la plus complète perversion qu’on puisse imaginer pour un système politique. Peut-être l'affaire va-t-elle trouver quelque prolongement dans des protestations des familles touchées, déclenchant peut-être des protestations entre les alliés impliqués – ou peut-être pas tant les circonstances sont peu glorieuses, et on fera comme si rien n'avait été publié. Rien, absolument rien ne sera dit sur l’essentiel, qui est de faire, on ne peut rêver plus mal et plus stupidement, une guerre sans but ni sens, que tout le monde juge au fond de soi inutile, coûteuse et sans perspective, et qui est inutilement cruelle pour des soldats qui comprennent si peu de choses au sens d’un combat qui n’a guère de sens.


Mis en ligne le 15 octobre 2009à 06H38