Notes sur une colère noire devenue catastrophique

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Notes sur une colère noire devenue catastrophique

24 octobre 2013 – «Avec des alliés comme ça, qui a besoin d’ennemis ?», s’exclame Julian Borger, dans son article de commentaire dans le Guardian du 23 octobre 2013. En fait, c’est le titre de son commentaire : «Merkel spying claim: with allies like these, who needs enemies?» Il nous en dit beaucoup sur l’évolution “diluvienne” (toujours ce qualificatif [voir le 2 août 2013] de la crise Snowden/NSA), sur ce qui devient dans le chef des conséquences diplomatiques pour les USA “une crise dans la crise”, et même “une crise au-dessus de la crise”.

En trois jours, BHO a eu une intense activité diplomatique et téléphonique, et certains rêveurs optimistes, et américanolâtres, pourraient croire que le “maître du monde” est de nouveau parmi nous ... Pas vraiment, en fait. Hollande lundi, le Mexicain Enrico Pena Nieto mardi avec un communiqué officiel, hier en fin d’après-midi Angela Merkel. Un déluge diplomatique, chacun avec le même message, de plus en plus durement exprimé : “La NSA, y en a marre !” L’appel de Merkel, dont les communications personnelles sont suivies par la NSA, représente sans doute le coup le plus cruel jusqu’à ce jour pour le président US, qui commence à accuser durement l’effet de la succession des coups et la conséquence générale de cette avalanche.

Borger : «For the third time in a week, Barack Obama has found himself trying to placate the leaders of closely allied nations who have discovered the extent of NSA surveillance in their countries. As the flood of spying scandals threatens to engulf the White House, it has raised the question over whether the negotiating edge such secret eavesdropping provides is worth the reputational damage to Washington once it is secret no more, mostly as a result of the revelations of former NSA contractor Edward Snowden.

»With each leak, American soft power haemorrhages, and hard power threatens to seep away with it... [...]

»[...N]othing could be more personal for a foreign leader than to find their own mobile phones tapped by a nation they considered an essential friend and ally. That appears to be the case for Angela Merkel, as it has been for Mexico's Enrique Peña Nieto. The other humiliating phone call of the week was on Monday with François Hollande, whose phone was not bugged as far as he knew, but who demanded an explanation for the revelation – once more from the Snowden files – that the NSA had been recording tens of millions of French phone calls a month. The White House was forced to admit that the evidence raised “legitimate questions for our friends and allies”.»

Une crise dans la crise : la crise-Damoclès

Les événements de ces trois derniers jours mettent en évidence ce qui doit être désormais considéré comme “une crise dans la crise”, une crise à l’intérieur du bloc BAO (avec quelques affiliés extérieurs) née de la formidable crise Snowden/NSA. La vérité de la situation ne peut plus ignorer comme un fait majeur, bientôt un fait structurel des relations à l’intérieur du bloc, ces interférences continuelles et catastrophiques des révélations diluviennes de la crise Snowden/NSA. La cohésion du bloc, l’influence des USA, le leadership de Saint-Obama, tout cela est passé au rythme infernal de la moulinette-Snowden.

Le pire de cette situation est sa terrible imprévisibilité. Nul ne sait de quoi demain, non, de quoi l’heure prochaine sera faite : quelle publication ? Venue d’où ? Touchant qui ? Cette crise-là doit être figurée comme une épée de Damoclès pesant en permanence sur les directions politiques du bloc BAO, et frappant à son heure, là où elle veut. Il n’y a pas de situation pire qu’on puisse imaginer, sans affrontement nécessaire, sans cause extérieure qu’on puisse voir venir et appréhender. Il n’y a aucune montée de la tension, aucune pression qu’on sent grandir, – mais une tension permanente, une pression qui ne cesse pas. La crise Snowden/NSA frappe où elle veut, quand elle il lui plaît, comme venue du Ciel intouchable.

Dans cette situation, Obama est comme un boxeur groggy qui ne sait d’où viennent les coups et qui continue à encaisser. Les amis du bloc BAO ne tiennent pas du tout à lui asséner ces coups, mais ils ne peuvent faire autrement que de les asséner. Le système de la communication, les opinions publiques dont on ne sait rien de précis mais dont craint tout, tout cela est une force impitoyable qui ne cesse de se transmuter dans la conviction qu’il est nécessaire de réagir. C’est le deus ex machina (la crise Snowden/NSA) qui décide ... Comme Obama, le bloc BAO est lui-même “comme un boxeur groggy qui ne sait d’où viennent les coups et qui continue à encaisser”.

Echange Clapper-Le Monde : 0-1

Revenons à la France, membre estimée du bloc BAO, avec une suite intéressante à l’affaire révélée lundi par Le Monde ... Les révélations du Monde (voir le 22 octobre 2013), c’est-à-dire un zeste du fonds Snowden concernant l’espionnage de la NSA en France, ont suscité une riposte violente de James Clapper, le DCI (Directeur Central Intelligence) US, sous l’administration duquel se trouve notamment la NSA. Clapper affirmait que les informations diffusées par Le Monde, notamment les 70,3 millions de communications téléphoniques interceptées par la NSA du 10 décembre 2012 au 8 janvier 2013, étaient fausses. Cette démarche était extrêmement spécifique, et nullement le fait d’une indication accidentelle ou marginale, puisqu’il s’agit d’un communiqué diffusé par Clapper, le plus officiellement du monde. Russia Today rapporte cette intervention le 23 octobre 2013.

«The NSA did not record 70 million French telephone calls, but it does carry out espionage in France, Intelligence Director James Clapper has said. Responding to media reports on NSA activities in France, he dismissed them as “false and misleading.” The head of the National Security Agency (NSA) stopped short of denying the US carried out espionage in France, but claimed the contents of a report by Le Monde were “false.” [...]

»“Recent articles published in the French newspaper Le Monde contain inaccurate and misleading information regarding US foreign intelligence activities,” Clapper said in a statement released on Tuesday. Specifically addressing the claims that the NSA had tapped French citizens’ phone calls, Clapper stated, “The allegation that the NSA collected more than 70 million 'recordings of French citizens' telephone data' is false.” However, the intelligence chief did consent that “the United States gathers intelligence of the type gathered by all nations.”»

Bien évidemment, Le Monde a répondu. Le fonds Snowden n’est pas une affaire gérée à la légère ... (On remarquera d’ailleurs que le crédit de Snowden en tant que maître-source de l’information est en général au plus haut niveau qui soit. Tous les gouvernements concernés prennent quasiment pour du comptant tout ce qui vient de Snowden, dès qu’il y a publication. Seuls quelques hurluberlus un peu instables et très fatigués, type-Clapper, se permettent d’en douter pour tenter de justifier leurs salaires...)

La réponse du Monde est tout sauf polémique, et absolument pas spectaculaire. Elle vient au fond d’un article qui titre sur la très bonne volonté du président-poire, qui a sermonné BHO comme il se doit, mais pour aussitôt proposer une “coopération bilatérale” USA-France en fait de renseignements. La France-poire continue à manifester toute sa fermeté principielle, et le président-poire sa raideur souveraine, du genre dont Teddy Roosevelt, alors vice-président, affublait son président McKinley (“Il a autant de colonne vertébrale qu’un éclair au chocolat”). Il n’empêche, la polémique reste la polémique, et les révélations autant que les réactions de la NSA à ces révélations sont les unes et les autres incontrôlables ... Même un président-poire est obligé de s’infliger une certaine raideur.

Dans le texte du 23 octobre 2013, la réponse du Monde à Clapper se trouve en conclusion, suivie d’un graphique : «Pointé du doigt, la NSA, qui a effectué 70,3 millions d'enregistrements de données téléphoniques de Français entre le 10 décembre 2012 et le 8 janvier 2013, a étendu son espionnage aux représentations diplomatiques françaises.

»Des informations que le directeur du renseignement américain (DNI), James R. Clapper, considère, en partie, comme “inexactes” et “trompeuses”. Dans une lettre rendue publique, il dément l'ampleur de la collecte. Voici le document issu de la NSA, remis en cause par M. Clapper. Il indique clairement que les données de 70,3 millions d'appels français ont été enregistrées par l'agence.»

Qui contrôle la NSA ? Edward Snowden, pardi

Pourquoi Clapper s’est-il engagé sur ce terrain miné, car c’est bien le cas de tous les documents provenant du fonds Snowden, dont on a dit le sérieux face à cette usine à gaz en déroute qu’est la NSA ? C’est la première fois que Clapper répond directement à une telle publication, et de façon si formelle (communiqué). Nous avançons deux hypothèses, qui ne s’excluent aucune l’une de l’autre, et qui même se complètent fort gracieusement.

• La première hypothèse est qu’Obama en a marre. Il a sur les bras les suites du shutdown avec une perspective pas très rose dans ce domaine pour le début 2014 ; et puis les soubresauts de son grand œuvre, la grande réforme type-Sécurité Sociale nommée Obamacare, pour l’instant dans un état catastrophique avec le fonctionnement déficient du site qui doit recueillir les inscriptions des citoyens américains et donc sanctifier la chose d’une adhésion populaire massive. (Le site a coûté, selon le Washington Times [le 10 octobre 2013], $630 millions à partir d’un coût initial de $94 millions, et est structurée par des millions de lignes de code, – bref, une sorte de JSF, avec les ennuis qui vont avec.) L’hypothèse conclut donc qu’Obama a tenté de passer le bébé à la NSA elle-même en la personne de son contrôleur général, le DCI Clapper qui supervise toutes les agences de renseignement.

• La seconde hypothèse est que Clapper a obtenu de la NSA des informations erratiques sur son action en France, par rapport à ce qu’en dit le fonds Snowden ... Parce que la NSA ment sciemment à ce propos, en espérant que son “autorité” et celle de Clapper l’emporteront contre le fonds Snowden, alors que le fonds Snowden fonctionne avec une admirable documentation ? On laissera cette explication hypothétique pour une autre, beaucoup plus probable : la NSA ne sait pas ce qu’elle fait, dans le sens qu’elle ne connaît pas la structure, l’ampleur, l’orientation de ses actions, parce qu’elle est un monstre sans tête qui fonctionne par automatisme, que personne ne contrôle, – et qu’un obscur employé informaticien comme Snowden, qui connaît les arcanes de la documentation interne de ces automatismes, en connaît, lui, beaucoup plus que les dirigeants de la NSA. (D’ailleurs, la NSA elle-même ne sait pas ce dont Snowden dispose.) On voit bien que cette seconde hypothèse complète la première : nulle duplicité, nulle tentative absurde de tromperie, mais simplement l’ignorance complète de ceux qui sont où ils sont pour savoir et pour connaître et qui se retrouvent, ne sachant rien et ne connaissant rien, totalement débordés, totalement manipulés par l’énorme machine qui s’avère en plus se définir mieux comme une énorme usine à gaz.

• Conclusion sans surprise : personne ne contrôle la NSA ni ne connaît ses activités, ce qui rend bien difficile la moindre défense, et encore plus la prévision des contestations venues de tous les coins du bloc BAO ... Mais non, ce n’est pas tout à fait juste, ce “personne ne contrôle la NSA ni ne connaît ses activités”... Une personne en vérité contrôle la NSA, et c’est Edward Snowden et nul autre.

Chronique du désordre

Mais l’épisode français et la réaction de Clapper d’hier ont aussitôt été dépassés par l’accumulation des interventions anti-NSA. Celle de Merkel, signalée en entrée de ce texte, domine toutes les autres, mais il y en a d’autres. L’accumulation donne le vertige.

• On signalera donc, pour la chronique, l’intervention indirecte extrêmement pressante du président mexicain auprès d’Obama. (Voir McClatchy.News le 22 octobre 2013.) Les Mexicains, jusqu’ici restés dans une discrétion qui se mesure inversement à leur proximité des USA, ont décidé cette fois, sous la pression des choses et des révélations en cascade, de mettre au grand jour leur mécontentement : «Foreign Secretary Jose Antonio Meade, reading a statement in Geneva, lambasted the alleged NSA penetration of email accounts belonging to President Enrique Pena Nieto and former President Felipe Calderon. The reports, which came out in the German news outlet Der Spiegel, were based on documents leaked by former NSA contractor Edward Snowden, who’s in exile in Moscow.»

• L’Italie est aussi engagée dans une opération “mains blanches” qui, pour une fois, ne concerne pas ses propres pratiques, du moins pas complètement... Ce pays est touché comme tant d’autres par l’activisme de la NSA qui ne reconnaît aucune borne ni aucune frontière, et il est question de la rengaine sempiternelle (surveillance, “millions d’email” interceptés, écoutes, bla bla bla). Une enquête a été décidée par la COPASIR, une commission parlementaire chargée de la surveillance des activités de renseignement. Une délégation de la COPASIR s’est rendue il y a trois semaines aux USA et en est revenue avec la confirmation de l’ampleur de l’opération. La COPASIR est décidée à n’en rester pas là et se trouve au contraire engagée dans une dynamique de mise en accusation. La direction italienne, qui est une des plus alignées sur les consignes-Système de Washington, a mené un combat défensif de retardement de cette dynamique inquisitrice de la COPASIR, mais que peut-elle désormais dans le climat actuel ? Même la presse-Système s’y met : «As part of the program, phone calls and computer communications of “millions of Italians” are reportedly being gathered. Moreover, Corriere della Sera added that the implications extended to “a monitoring network that started years ago and is still active,” of which the Italian government and spy agencies might have been well aware of...» (Russia Today, le 23 octobre 2013).

• Aujourd’hui, au sommet de l’UE, on parlera évidemment de la crise Snowden/NSA (EUObserver, le 22 octobre 2013) qui affecte profondément le bloc BAO et l’UE par rapport aux USA. Avec l’affaire Merkel qui s’est ajoutée au cas français, les discussions seront très sérieuses. Le Parlement européen est désormais en rythme-turbo pour faire pression pour l’établissement de mesures extrêmement strictes de “défense électronique” du continent contre la NSA. La plongée au cœur de la crise n’est désormais plus évitable, l’arme suprême de l’hypocrisie qui fait fonctionner cahin-caha le bloc BAO ne fonctionnant plus (voir plus loin ci-dessous).

L’honorabilité d’Edward Snowden

Parallèlement à ce tintamarre étourdissant et qui semble ne jamais devoir cesser, – Greenwald, ricanant en-dedans lui, ne cesse d’annoncer de nouvelles charretées de documents inédits, – le statut d’Edward Snowden ne cesse de se modifier dans le sens d’une paradoxale honorabilité. Un événement significatif à cet égard, très symbolique de l’évolution des esprits sous les coups de la vérité de la situation qui ne cesse de se révéler, est l’article du commentateur du Washington Post Richard Cohen, le 23 octobre 2013.

Le mea culpa de cet influent journaliste du Post, qui n’a jamais ménagé son soutien à la structure-Système de l’américanisme, est particulièrement révélateur. Il est présenté en pleine lumière, sans une seule réserve sur l’erreur que lui-même, Cohen, a faite initialement. Le gentil Snowden, un temps fustigé par Cohen comme méprisable et pathologique, est devenu l’équivalent d’un Paul Revere moderne, un de ces héros de l’Amérique des origines, de la Révolution des Pères Fondateurs. Cette sorte de prise de position secoue les psychologies et le Système lui-même, en montrant l’extrême désarroi qui y règne aujourd’hui.

«What are we to make of Edward Snowden? I know what I once made of him. He was no real whistleblower, I wrote, but “ridiculously cinematic” and “narcissistic” as well. As time has proved, my judgments were just plain wrong. Whatever Snowden is, he is curiously modest and has bent over backward to ensure that the information he has divulged has done as little damage as possible. As a “traitor,” he lacks the requisite intent and menace.

»But traitor is what Snowden has been roundly called. Harry Reid: “I think Snowden is a traitor.” John Boehner: “He’s a traitor.” Rep. Peter King: “This guy is a traitor; he’s a defector.” And Dick Cheney not only denounced Snowden as a “traitor” but also suggested that he might have shared information with the Chinese. This innuendo, as with Saddam Hussein’s weapons of mass destruction, is more proof of Cheney’s unerring determination to be cosmically wrong... [...]

»My initial column on Snowden was predicated on the belief that, really, nothing he revealed was new. Didn’t members of Congress know all this stuff and hadn’t much of it leaked? Yes, that’s largely true. But my mouth is agape at the sheer size of these data-gathering programs — a cascade of news stories that leads me to conclude that this very column was known to the National Security Agency before it was known to my editors. I also wrote that “No one lied about the various programs” Snowden disclosed. But then we found out that James Clapper did. The director of national intelligence was asked at a Senate hearing in March if “the story that we have millions or hundreds of millions of dossiers on people is completely false” and he replied that it was. Actually, it was his answer that was “completely false.”

»Snowden is one of those people for whom the conjunction “and” is apt. Normally, I prefer the more emphatic “but” so I could say “Snowden did some good but he did a greater amount of damage.” Trouble is, I’m not sure of that. I am sure, though, that he has instigated a worthwhile debate. I am sure that police powers granted the government will be abused over time and that Snowden is an authentic whistleblower, appalled at what he saw on his computer screen and wishing, like Longfellow’s Paul Revere, to tell “every Middlesex village and farm” what our intelligence agencies were doing. Who do they think they are, Google?»

La fin de l’hypocrisie

La dimension épique qu’a prise la crise Snowden/NSA ne cesse d’élargir le domaine de son intervention, de son influence, et, par conséquent, son essence constitutive elle-même. Avec ce point que signale John Glaser, dans Antiwar.com, le 23 octobre 2013, on touche à l’approfondissement de la signification de la crise (son essence elle-même) que met dramatiquement en évidence son extension.

Ce qui est à la fois paradoxal et significatif dans le cas signalé ici, c’est qu’il s’agit d’une intervention qui est présentée dans Foreign Affairs, la publication du Council of Foreign Relations, le tout-puissant CFR qui est le pilier de l’establishment washingtonien. Glaser signale un article de deux professeurs de l’université George Washington dans le numéro de novembre-décembre 2013 de la revue. Henry Farrell et Martha Finnemore ont signé l’article The End of Hypocrisy, qui argumente que les whistleblower Manning et Snowden, – et Snowden essentiellement, certes, – ont compromis peut-être irrémédiablement le véritable soft power des USA, qui est simplement l’hypocrisie de leur démarche diplomatico-morale courante. Il s’agit de l’affirmation implicite des USA, dans leurs contacts avec ses alliés, que les USA ont le droit de parler d’autorité et d’influence parce qu’ils sont moralement la puissance exceptionnaliste que l’on sait.

L’action d’un Snowden, aujourd’hui, ne permet plus cela, comme on le mesure à l’embarras grandissant d’Obama, qui n’est même pas capable de parvenir à une esquisse de contrôle du monstre-NSA et qui reçoit chaque jour un coup de téléphone d’un président ami et furieux. Glaser remarque que personne à Washington n’a été capable de définir précisément en quoi l’action d’un Snowden (et Manning) est une “menace contre la sécurité nationale des USA”. La simple réponse est que cette menace existe réellement mais qu’elle ne peut être exprimée en tant que telle, c’est-à-dire qu’elle affecte un aspect de la “sécurité nationale” d’une extrême puissance mais toujours conservé dans la dissimulation la plus complète de la philosophie-Système et moderniste : «a “deeper threat that leakers such as Manning and Snowden pose is more subtle than a direct assault on U.S. national security: they undermine Washington’s ability to act hypocritically and get away with it.»

Hypocrisie out, RIP soft power

Glaser donne un extrait significatif de cette étude si peu conventionnelle sinon “révolutionnaire” dans le sens antiSystème, – et qu’elle paraisse dans Foreign Affairs est bien le comble de la capacité d’infiltration de la dynamique antiSystème. L’étude met à découvert le fondement, aussi bien de la démarche de Washington que de la complicité active des complices du bloc BAO jouant le jeu de la reconnaissance du magistère moral des USA. Désormais, le visage presque innocent de Snowden se glisse systématiquement dans leurs rencontres et dans leurs dialogues ...

«Hypocrisy is central to Washington’s soft power — its ability to get other countries to accept the legitimacy of its actions — yet few Americans appreciate its role. Liberals tend to believe that other countries cooperate with the United States because American ideals are attractive and the U.S.-led international system is fair. Realists may be more cynical, yet if they think about Washington’s hypocrisy at all, they consider it irrelevant. For them, it is Washington’s cold, hard power, not its ideals, that encourages other countries to partner with the United States.

»…This system needs the lubricating oil of hypocrisy to keep its gears turning. To ensure that the world order continues to be seen as legitimate, U.S. officials must regularly promote and claim fealty to its core liberal principles; the United States cannot impose its hegemony through force alone. But as the recent leaks have shown, Washington is also unable to consistently abide by the values that it trumpets. This disconnect creates the risk that other states might decide that the U.S.-led order is fundamentally illegitimate.

»Of course, the United States has gotten away with hypocrisy for some time now. It has long preached the virtues of nuclear nonproliferation, for example, and has coerced some states into abandoning their atomic ambitions. At the same time, it tacitly accepted Israel’s nuclearization and, in 2004, signed a formal deal affirming India’s right to civilian nuclear energy despite its having flouted the Nuclear Nonproliferation Treaty by acquiring nuclear weapons. In a similar vein, Washington talks a good game on democracy, yet it stood by as the Egyptian military overthrew an elected government in July, refusing to call a coup a coup. Then there’s the “war on terror”: Washington pushes foreign governments hard on human rights but claims sweeping exceptions for its own behavior when it feels its safety is threatened.

»The reason the United States has until now suffered few consequences for such hypocrisy is that other states have a strong interest in turning a blind eye. Given how much they benefit from the global public goods Washington provides, they have little interest in calling the hegemon on its bad behavior. Public criticism risks pushing the U.S. government toward self-interested positions that would undermine the larger world order. Moreover, the United States can punish those who point out the inconsistency in its actions by downgrading trade relations or through other forms of direct retaliation. Allies thus usually air their concerns in private. Adversaries may point fingers, but few can convincingly occupy the moral high ground. Complaints by China and Russia hardly inspire admiration for their purer policies.

»The ease with which the United States has been able to act inconsistently has bred complacency among its leaders. Since few countries ever point out the nakedness of U.S. hypocrisy, and since those that do can usually be ignored, American politicians have become desensitized to their country’s double standards. But thanks to Manning and Snowden, such double standards are getting harder and harder to ignore.»

Une crise au-dessus de la crise

La crise Snowden/NSA ne cesse de nous surprendre par sa parfaite chronologie, comme si elle vivait d’elle-même et choisissait une superbe tactique pour asséner ses coups qui ont une portée stratégique de plus en plus profonde. Obama commençait à peine à tenter de se remettre d’une “victoire à la Pyrrhus”, celle du shutdown où il a fait reculer les républicains au prix d’un affaiblissement dramatique de son pseudo-leadership dans notre époque extraordinaire, – le sien à Washington, celui des USA dans le monde, qui continue à survivre cahin-caha, comme un cadavre empaillé qu’on continue à exhiber, – par absence totale d’alternative et grâce à ce qu’il reste, ou restait du «lubricating oil of hypocrisy». Et voilà que ce coup terrible lui est asséné avec cet horrible début de semaine, de Hollande à Merkel.

Snowden/NSA est en train de disperser les dernières gouttes de cette potion magique au bout de sa magie (la «lubricating oil of hypocrisy»). La reprise foudroyante de la crise Snowden/NSA ces trois derniers jours accable le cadavre empaillé du leadership de l’exceptionnalisme américaniste et affaiblit à nouveau Obama, lui-même dans l’attente du prochain épisode washingtonien, type-shutdown. Il y a une parfaite coordination dans l’agencement des crises américanistes en cette séquence de “chaîne crisique” spécifique à Washington qu’on a identifiée (voir le 14 octobre 2013) ; dans la coordination de ces crises, dans la superbe puissance de l’infrastructure crisique qui les soutient, dans leur capacité à se relayer et à se relancer les unes les autres.

Il est manifeste que, dans cette situation, la crise Snowden/NSA, par son rythme, par sa capacité de relance qui semble aussi infinie que les ambitions et les réserves de metadata de la NSA, est devenue l’élément le plus important, à la fois la plus haute dans l’agencement de “crise haute” qui a migré vers les USA, à la fois la plus active, à la fois la plus capable de se transformer selon les opportunités et les nécessités. L’épisode actuel montre que cette crise est d’une telle richesse qu’elle se reproduit elle-même et accouche continuellement de nouveaux aspects d’elle-même devenant de nouvelles crises dans la crise. L’épisode actuel est non seulement “une crise dans la crise”, il est aussi, et surtout, “une crise au-dessus de la crise” ;

Non seulement le “freluquet de 30 ans” menace ce qu’il reste d’équilibre et de puissance de la structure du pouvoir washingtonien, mais il menace désormais ce qu’il reste d’équilibre et de puissance du pouvoir collectif du bloc BAO. Bref, il menace ce qu’il reste d’équilibre et de puissance du Système et agit comme un formidable «lubricating oil» de l’accélération de la séquence-autodestruction dans l’équation surpuissance-autodestruction du Système.

... Mais l’on sait bien, d’ailleurs, que ce n’est même plus le “freluquet”, ni BHO et ses réponses embarrassées au bout du fil, ni la NSA et ses piètres tentatives pour contenir le flot qui l’assaille, ni rien d’autre d’humain enfin. La crise vit d’elle-même, se multiplie elle-même, se répand et s’approfondit d’elle-même. La crise Snowden/NSA, alias la crise d’effondrement du Système qui prend tous les masques qui lui conviennent ; la Crise de la chute, comme un torrent....