Notes sur quelques pavés dans la mare (transatlantique)

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Notes sur quelques pavés dans la mare (transatlantique)

1er juillet 2013 – Quel beau cadeau de vacances d’été (très maussade) pour le bloc BAO, par la grâce semble-t-il d’Edward Snowden en attente d’asile politique à l’aéroport de Moscou. Quelle belle ouverture wagnérienne dans le champ de la communication, pour saluer la prochaine ouverture des négociations USA-UE sur le fabuleux accord de libre-échange transatlantique, le 7 juillet prochain. (Le 7 juillet, dites-vous ? Est-ce bien sûr, maintenant ?)

Nous l’avouons sans ambages ni la moindre honte, nous sommes souvent en retard d’un métro sur la vérité du monde défilant à la vitesse de l’éclair, au cœur de cette fabuleuse crise d’effondrement du Système, ici dans la phase d’accélération surpuissante de sa section “crise-Snowden” qui en remontrerait à tous les blockbusters d’Hollywood ... Commençant à travailler hier en début d’après-midi sur ce sujet de l’UE espionnée par la NSA, nous avions commencé avec notre petit train-train, disons, – tentativement ironique, un peu critique, avec notre dada qui est la Grande Nation déguisée en République-poire... Cela donnait ceci (introduction inédite dans sa première version, dépassée par l’ampleur de la tempête mais tout de même soumise à nos lecteurs comme s’il s’agissait d’un texte à part, pour qu’ils puissent apprécier avec quelle célérité et quelle surpuissance la tempête s’est levée dimanche 30 juin 2013 dans l’après-midi) :

«Peut-être ne pourrait-on trouver mieux, pour définir “notre Europe”, à nous Français, et “notre France” par la même occasion, que la succession avec quelques intervalles de ces deux titres du “Monde” qui sont proposés à ceux qui reçoivent le newsletter-programme du “quotidien de référence”. (Inutile d’ajouter que nous n’avons pas perdu notre temps, pas une seconde voulons-nous dire, à lire ce que le susdit quotidien disait de ce que ces titres annonçaient. Il y a une limite à tout.) Les deux titres sont donc du type de la paille et la poutre, qui semble caractériser la politique post-postgaullienne, ou du gaullisme-poire, de la France au XXIème siècle... D’abord : “PRISM : la NSA espionnait l'Union européenne” (dont la France, par conséquent) ; ensuite, quelques titres plus bas : “Juppé engage l'UMP à mener le ‘combat contre le FN’”... En voilà un, Juppé, l’homme de la politique anti-Assad de la France, qui a drôlement le sens des priorités. Enfin, passons outre et comprenne qui aura du temps à perdre...»

Bon, nous accordions tout de même la priorité à la crise-Snowden, devenue ainsi crise Snowden/PRISM/NSA/UE (ouf !), – mais certes pas au point d’envisager ce maelström... Mais si, le voilà, ce maelström qui est désormais, en vérité, un véritable tsunami, un perfect storm de communication agitant ce que le bloc BAO, section Europe, a de plus cher, qui est sa vertu d’apparence.

Ce week-end, la crise-Snowden a connu une extension exceptionnelle, un nouveau degré de tension qui touche cette fois la vertueuse Europe et, par conséquent, les relations transatlantiques. Il s’agit d’un coin enfoncé au cœur du bloc BAO, un terrible coup de pied dans un bloc BAO qui serait comme une fourmilière désormais prise d’une dans de Saint Guy.

La NSA et la passoire-UE

Procédons chronologiquement : d’abord, l’horreur, ou disons la première horreur dans l’ordre du défilement du temps... Selon des documents parvenus au Spiegel et mis en ligne le 29 juin au soir pour prendre tous leur effet le 30 juin au matin, et provenant bien entendu d’une filière Snowden, il apparaît donc que la NSA espionnait (et espionne, suppose-t-on, car on ne voit pas pour quelle raison Grand Dieu ils cesseraient) l’Europe, les divers services UE, les représentations des États-membres de l’UE, les salles de délibérations diverses, et sans doute aussi l’OTAN, et peut-être bien des toilettes conjointes OTAN-UE... (Quoique, sur ce dernier point, le flou reste de rigueur puisqu’il s’avère que ce serait à partir d’un bâtiment OTAN, – surprise, surprise, – situé en annexe des blocs principaux, et attribué à la NSA, que partaient et partent toujours les écoutes de surveillance ; il y a là une telle ingénuité dans l’organisation qu’on y verrait presque de l’innocence et que ce ne peut être que vrai... Nous-mêmes prêts à y souscrire s’il s’avérait que ces écoutes concernent également dedefensa.org, ses salles de délibération et sa Grande Salle du Conseil.)

Comme toujours, la NSA ne fait ni dans le détail ni dans la dentelle. Quand elle espionne, surveille et écoute, c’est sur la plus grande échelle concevable et avec les moyens les plus puissants possibles. Ainsi le choc n’en est-il que plus violent : l’UE est comme un gruyère, ou comme une passoire, par où la NSA introduit toutes ses stéthoscopes.

L’Amérique attaque... (l’UE)

C’est le Spiegel du 29 juin 2013 qui révèle la chose, qui est une bien grande surprise pour le conformisme-Système, à partir d’un “document-Snowdon”, ou document de “la collection Snowden” (on devrait adopter cette expression dans un sens générique tant il est bien probable que nous allons en être inondé). Le titre choisi par le Spiegel pour présenter ces documents est quasiment sacrilège – «Attacks from America»... Ne serait-il pas nécessaire que Kerry demandât à Merkel d’adresser un blâme au Spiegel pour une telle incongruité provocatrice, qu’un tel titre, écrit dans de tels termes ? (En attendant, on dit que Kerry va passer dare-dare à Bruxelles pour expliquer à toute la volaille européenne combien est grande l’innocence de ces pratiques.)

«Information obtained by SPIEGEL shows that America's National Security Agency (NSA) not only conducted online surveillance of European citizens, but also appears to have specifically targeted buildings housing European Union institutions. The information appears in secret documents obtained by whistleblower Edward Snowden that SPIEGEL has in part seen. A “top secret” 2010 document describes how the secret service attacked the EU's diplomatic representation in Washington. The document suggests that in addition to installing bugs in the building in downtown Washington, DC, the EU representation's computer network was also infiltrated. In this way, the Americans were able to access discussions in EU rooms as well as emails and internal documents on computers. [...]

»The documents SPIEGEL has seen indicate that the EU representation to the United Nations was attacked in a manner similar to the way surveillance was conducted against its offices in Washington. An NSA document dated September 2010 explicitly names the Europeans as a “location target”. The documents also indicate the US intelligence service was responsible for an electronic eavesdropping operation in Brussels. A little over five years ago, EU security experts noticed several telephone calls that were apparently targeting the remote maintenance system in the Justus Lipsius Building where the EU Council of Ministers and the European Council is located. The calls were made to numbers that were very close to the one used for the remote administration of the building's telephone system...»

Le perfect storm se forme

Horreur, suite... Réveillé en sursaut d’un long sommeil d’innocence, le président du Parlement Européen, l’Allemand Martin Schultz, dont on sait que le pays d’origine est en pleine campagne électorale nécessairement vertueuse, est le premier à clamer toute sa fureur devant les révélations du Spiegel et ne fait rien moins que menacer. Le Guardian du 30 juin 2013 témoigne de cette fureur...

(Il faut être juste, même si l’ironie est tentante : bien souvent inutile et bavard, sinon vain, en partie illégitime du fait de l’indifférence des électeurs mais dans le royaume de l’illégitimité qu’est l’Europe institutionnelle où après tout les borgnes sont rois, le PE s’avère être le seul organisme européen officiel à parfois exprimer publiquement des appréciations durement antiaméricanistes jusqu’à l’antiSystème lorsque les activités US sont observées la main dans le sac. Même si la chose n’est pas nécessairement, sinon rarement suivie d’effets, elle est néanmoins dite et elle résonne. Dans cette ère de la communication, cela compte, et il apparaît aussitôt que, cette fois, les diverses autorités européennes vont, devant les révélations du Spiegel et les exigences du PE, au moins paraître réagir, c’est-à-dire afficher quelques réactions... C’est drôle, cela fera d’elles des “réactionnaires”, selon l’insulte favorite de Juan Manuel Barroso, employé-Système en chef de la Commission européenne.)

«The president of the European parliament has called for full clarification from the US over claims it bugged EU offices in America and accessed computer networks. Martin Schulz said there would be a severe impact on relations between the European trade bloc and the US if revelations by German magazine Der Spiegel proved to be true. [...] Schulz said: “I am deeply worried and shocked about the allegations of US authorities spying on EU offices. If the allegations prove to be true, it would be an extremely serious matter which will have a severe impact on EU-US relations.” “On behalf of the European parliament, I demand full clarification and require further information speedily from the US authorities with regard to these allegations.”

»Luxembourg's foreign minister, Jean Asselborn, told Der Spiegel: “If these reports are true, it's disgusting. The United States would be better off monitoring its secret services rather than its allies. We must get a guarantee from the very highest level now that this stops immediately.”»

L’intermède Madsen : l’’UE complice

Ensuite, nous passons au “ah bon” de notre sous-titre (“On apprend entretemps, ah bon, que l’Europe est ‘collabo’ de la NSA”), mais coloré d’une certaine tension dans la voix. Il est assez rare, non il est extrêmement rare de voir un quotidien de la réputation du Guardian, certes libéral-progressiste et redresseur de torts type-Snowden, mais tout de même fleuron de la presse-Système, publier un article centré sur des révélations d’un homme comme Wayne Madsen. Cet ancien de la NSA a d’excellentes informations dans des domaines sensibles, du type exclusif et souvent assez explosif, même s’il fait parfois des hypothèses hasardeuses. Bref, c’est le journaliste et enquêteur aventureux, indépendant, que nous classerions dans une catégorie sérieuse et crédible, et évidemment, complètement antiSystème et haï des autorités-Système jusqu’à avoir été, l’une ou l’autre fois, menacé physiquement.

Quoi qu’il en soit de l’homme, le Guardian publie donc l’essentiel des révélations, ou révélations-confirmations faites par Madsen au PrivacySurgeon.org, et dont nous donnons des extraits importants dans notre rubrique Ouverture libre ce 1er juillet 2013. Le Guardian présente Madsen en ces termes : «Wayne Madsen, a former US navy lieutenant who first worked for the NSA in 1985 and over the next 12 years held several sensitive positions within the agency... [...] In an interview published last night on the PrivacySurgeon.org blog, Madsen, who has been attacked for holding controversial views on espionage issues, said he had decided to speak out after becoming concerned about the "half story" told by EU politicians regarding the extent of the NSA's activities in Europe.»

Nous citons essentiellement, les remarques et commentaires extérieurs qui, dans l’article du Guardian, accompagnent ce que dit Madsen. (On précisera tout de même que ce texte sur et de Madsen d’une certaine façon est brièvement apparue en “une” du Guardian mais a rapidement disparu, y compris des références accompagnant le texte principal du domaine... Madsen n’est pas vraiment la tasse de thé du Guardian, avec le fabuleux Greenwald il a déjà donné.)

«Although the level of co-operation provided by other European countries to the NSA is not on the same scale as that provided by the UK, the [Wadsen’] allegations are potentially embarrassing. [...] The Liberal Democrat MEP Baroness Ludford, a senior member of the European parliament's civil liberties, justice and home affairs committee, said Madsen's allegations confirmed that the entire system for monitoring data interception was a mess, because the EU was unable to intervene in intelligence matters, which remained the exclusive concern of national governments. “The intelligence agencies are exploiting these contradictions and no one is really holding them to account,” Ludford said. “It's terribly undermining to liberal democracy.”

»Madsen's disclosures have prompted calls for European governments to come clean on their arrangements with the NSA. “There needs to be transparency as to whether or not it is legal for the US or any other security service to interrogate private material,” said John Cooper QC, a leading international human rights lawyer. “The problem here is that none of these arrangements has been debated in any democratic arena. I agree with William Hague that sometimes things have to be done in secret, but you don't break the law in secret.” He said the public needed to be made aware of the full scale of the communication-sharing arrangements between European countries and the US, which predate the internet and became of strategic importance during the cold war.

»The covert relationship between the countries was first outlined in a 2001 report by the European parliament, but their explicit connection with the NSA was not publicised until Madsen decided to speak out. The European parliament's report followed revelations that the NSA was conducting a global intelligence-gathering operation, known as Echelon, which appears to have established the framework for European member states to collaborate with the US. “A lot of this information isn't secret, nor is it new,” Madsen said. “It's just that governments have chosen to keep the public in the dark about it. The days when they could get away with a conspiracy of silence are over.”»

Le deuxième pavé dans la mare : Dropmire

Mais laissons cela, car l’on ne parlera plus guère de Madsen. En attendant, le Guardian, qui ne veut pas être en reste, active son propre réseau Snowden. Il n’a pas l’intention de laisser se voler la vedette par le teuton Spiegel, parce que la crise-Snowden il connaît. D’où son propre pavé dans la mare, mis en ligne le 30 juin 2013 dans la soirée (Sunday 30 June 2013 21.28 BST). C’est le pavé nommé Dropmire, qui est donc daté du 30 juin 2013 pour le Guardian.

Dropmire est le nom d’un programme d’espionnage spécifique ainsi mis à jour, concernant 38 ambassades de l’UE, de pays de l’UE et d’autres copains-coquins divers affectueusement écoutés par la NSA & compagnie. On y apprend que la mission de l’UE à l’ONU est nommée Perdido par la NSA, la mission française à l’ONU Blackfoot, l’ambassade de France à Washington Wabash, l’ambassade d’Italie à Washington Bruneau et Hemlock (pourquoi ces deux noms ? Dédales et mystères de la NSA, ou peut-être complications italiennes...).

«US intelligence services are spying on the European Union mission in New York and its embassy in Washington, according to the latest top secret US National Security Agency documents leaked by the whistleblower Edward Snowden. One document lists 38 embassies and missions, describing them as “targets”. It details an extraordinary range of spying methods used against each target, from bugs implanted in electronic communications gear to taps into cables to the collection of transmissions with specialised antennae.

»Along with traditional ideological adversaries and sensitive Middle Eastern countries, the list of targets includes the EU missions and the French, Italian and Greek embassies, as well as a number of other American allies, including Japan, Mexico, South Korea, India and Turkey. The list in the September 2010 document does not mention the UK, Germany or other western European states.

»One of the bugging methods mentioned is codenamed Dropmire, which, according to a 2007 document, is "implanted on the Cryptofax at the EU embassy, DC" – an apparent reference to a bug placed in a commercially available encrypted fax machine used at the mission. The NSA documents note the machine is used to send cables back to foreign affairs ministries in European capitals. The documents suggest the aim of the bugging exercise against the EU embassy in central Washington is to gather inside knowledge of policy disagreements on global issues and other rifts between member states.

»The new revelations come at a time when there is already considerable anger across the EU over earlier evidence provided by Snowden of NSA eavesdropping on America's European allies. Germany's justice minister, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, demanded an explanation from Washington, saying that if confirmed, US behaviour “was reminiscent of the actions of enemies during the cold war”.»

Ciel ! Mes amis sont mes ennemis (et inversement)

Effectivement, comme on le lit dans la dernière phrase citée, ce sont les Allemands, d’où est venu le premier vent de la tempête avec le Spiegel, qui sont les plus virulents. Effectivement, la ministre allemande de la Justice, madame Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, réclamant une explication US, s’exclame : «Si ces informations sont vraies, cette action nous rappelle le comportement de nos adversaires durant la Guerre froide. C’est au-delà de l’imagination de penser que nos amis aux USA considèrent les Européens comme l’ennemi.» C’est que madame Leutheusser-Schnarrenberger manque un tantinet d’imagination...

Pourtant, la campagne électorale devrait lui en donner, de l’imagination. C’est à ce rythme que les Allemands fonctionnent aujourd’hui, et le gouvernement allemand, notoirement le plus servile vis-à-vis des USA depuis un gros demi-siècle, est contraint aujourd’hui à l’imagination, et à la fureur qui va avec. L’Allemagne est notoirement la plus chouchoutée par la NSA (récompense de la servilité), qui l’écoute de toutes ses oreilles. Cette fois, c’est l’Allemagne frappée au cœur, c’est-à-dire frappée dans “son UE”, dont on dit qu’elle est une résurrection light et soft du programme du chancelier Bismarck, pour ne pas parler de l’autre (le chancelier Adolf H.). Disciplinée, l’Allemagne s’exécute et mène la charge antiaméricaniste. (Ce dernier mot, dans de telles circonstances, nous fait frissonner... Véritable déchirement du bloc BAO.)

On trouve partout des comptes-rendus de ces réactions. Dans le Guardian du 1er juillet 2013, certes, et cela fait l’affaire. Lire aussi, pour goûter les agitations mesurées, conformistes, d’une fureur calculée selon l’échelon et la place occupés, finalement assez goûteuses pour le dissident habitué à la nausée des embrassades transatlantiques, de toute la volaille européenne saisie en plein dimanche de farniente, – lire donc le compte-rendu de Bruxelles 2 qui ne réagit jamais tout à fait sans faire un bon rapport de la ligne officielle avec le respect qui va avec (le 30 juin 2013 au soir)... Le commentateur arrive même, entre deux lieux communs pour tenir la boutique, à trouver de quoi se satisfaire de l’Europe dans une envolée du raisonnement qui montre que la vertu, comme c’est bien connu, a, disons sans penser à mal, des “voies impénétrables” comme le Seigneur. (On parle, certes, de la vertu européenne.)

«Si cette nouvelle est confirmée, on peut se dire que, finalement, c’est une bonne nouvelle Malgré tous ses détracteurs, l’Union européenne a encore de l’intérêt, est attractive, représente un pouvoir économique qu’il est intéressant de percer ! Elle vient aussi rappeler que la lutte “anti-terroristes” n’est pas la seule tâche des services de renseignements. Cette révélation – attribuée officiellement au dossier Snowden (cela reste à vérifier) — tombe aussi à point nommé pour rappeler aux Européens que si, avec les Américains, ils sont alliés, souvent ; amis, parfois ; ils ne sont pas animés et gouvernés par un intérêt commun. Le plus souvent, pour ne pas dire systématiquement, Américains et Européens sont plutôt, en concurrence, sur nombre de marchés au niveau mondial comme domestiques. En d’autres termes, ils sont “ennemis”. Et vouloir en savoir plus sur son concurrent devient alors logique...»

Le système de la communication, mode-turbo

Bien... Nous pourrions nous rependre en lamentations sur la lâcheté, la stupidité, la trahison portée en sautoir comme un des beaux-arts de l’humanisme, la faiblesse et la corruption psychologiques de tous ces coquins transatlantiques et du bloc BAO, et notamment les fous de la NSA aussi bien que nos vertueux “Européens”, chefs de bande supranationaux ou soi-disant nationaux pour les pays-membres. Ce serait rabâcher, enfoncer avec une force vigoureuse et bien inutile des portes ouvertes. Ils sont ce qu’ils sont, tous, et il n’y a rien de plus à en tirer que cette servilité pour le Système devenue banalité à force de quotidienneté. Laissons cela (“va jouer avec cette poussière...”, etc.).

Laissons-nous plutôt fasciner par l’extension incontrôlée, l’élargissement comme une marée inarrêtable de cette crise-Snowden affectant tous les domaines. Il faut dire que lorsqu’on a affaire à un monstre comme la NSA qui couvre le Tout de notre époque, qui prétend à Tout jusqu’à la Fin des Temps, un grain de sable type-Snowden, quoi qu’il vaille et quoi qu’il fasse, fait horriblement crisser les engrenages de l’usine à gaz qu’est le Système. Aucune oreille humaine et bien tenue ne peut supporter cet horrible écho sans en avoir les dents et la vertu fort agacées.

Tout ce qui est dit, rapporté, explicité, autant par le Spiegel que par Madsen, que par le Guardian, et que ce soit du Snowden pur jus ou du Snowden seconde main, c’est du type “tout le monde le sait” ou bien encore “tout le monde savait”. Avec Madsen, ce l’est encore plus doublement puisque la plupart des faits qu’il expose peuvent être retrouvés dans tel ou tel rapport, dans l’affaire Echelon bien documentée mais prestement étouffée à l’époque, et ainsi de suite. Qu’importe, la différence est énorme, presque de l’ordre de l’essence, entre savoir et être obligé publiquement de savoir par le bruit de la communication.

Le système de la communication fonctionne à plein régime ; il crée une caisse de résonnance énorme, déclenchant des attitudes “réactionnaires” à-la-Barroso partout, parce qu’on ne peut pas ne pas réagir devant tant de boucan et de tintouin. De là, l’enchaînement horrible et affreusement contraignant des déclarations vertueuses, mains sur le cœur, des exigences d’explication, des affirmations d’autorité, de légitimité et d’indépendance qui doivent être d’autant plus sonores que ces denrées-là (autorité, légitimité et indépendance) sont totalement inexistantes dans “notre-Europe”. Le bruit, l’“écume sonore des jours”, doivent être d’autant plus forts que l’absence de substance est avérée. Il en résulte donc que la crise-Snowden devient européenne, et éventuellement transatlantique. Tiens, nous ne sommes plus complètement assurés qu’un tel battage ne va pas compromettre, d’une façon ou d’une autre, ou bien sévèrement handicaper, les splendides négociations pour un marché commun transatlantique qui s’amorcent... Imaginez qu’un PE survolté, puisque voilà enfin un rôle à sa mesure, exige, à côté de la clause d’“exception culturelle”, une clause d’“intégration d’espionnage” : on ne soumet pas la culture à l’accord de libre-échange, on soumet l’espionnage à un contrôle minutieux qui rejette les règles (ou non-règles) du libre-échange, à l’intérieur de cet accord de libre-échange. (Il paraît, avons-nous entendu d’une oreille distraite, que le productif et tonitruant Daniel Cohn-Bendit, dans ses derniers mois de parlementaire européen, y a songé et réclame une refonte du projet, et donc un report de la négociation, pour y inclure de telles sympathiques clauses... Cela nous donnerait un traité transatlantique anti-Hollywood et anti-NSA : deux des piliers de la civilisation occidentale globalisée ainsi et aussi bellement distingués.)

Comment négocier en s’écoutant d’une oreille distraite

... Ce qui nous conduit à un dernier propos, qui est bien l’énorme chose dans cette énorme chose qu’est la section NSA versus UE de la crise-Snowden ; “énorme chose” qui concerne justement cette affaire des négociations transatlantiques, qui va mettre à rude épreuves les âmes atlantistes de nos “Européens”. Durant toute l’après-midi et la soirée d’hier, tension montante comme on a vu, l’on a de plus en plus évoqué ces négociations transatlantiques, en annonçant de plus en plus haut qu’elles commençaient à être fort menacées par cette pression du monstre NSA... Sera-ce le monstre NSA versus le monstre transatlantique ? Ou bien la NSA négociant avec l’Europe pour le grand marché transatlantique ?

Pour aller au-delà dans le sens de ce qui devrait être la recherche transatlantique de l’arrangement, nous prendrons un avis médian et arrangeant, très “européen”. C’est celui d’un parlementaire d’un pays virtuose de l’arrangement, le Belge Lode Vanoost, interrogé par Russia Today, le 30 juin 2013.

«Lode Vanoost, former deputy speaker of the Belgian parliament, believes that the main purpose of the US surveillance program was “economic spying” on the EU. “At the moment, the EU is negotiating a new free trade agreement with the United States,” the former deputy speaker noted. “Well, [now the US can gather] what their opponent is already discussing internally of strategy. That is one of the possibilities.”

»Vanoost also believes that part of the reason for the spying was due to the decline in US economic strength. “On the economic level, [the US] is losing ground everywhere,” he said. “Look at what the BRIC countries are doing. The EU is having stronger ties with Russia, with Africa, with Latin America. And the US doesn’t seem to get its economic priorities imposed as it used to. So what I see is a big risk for economic spying.” He added that there is “too much at stake” for there to be a total breakdown in US-EU bilateral relations, however, “behind closed doors there will be some very tough words” exchanged between EU and American official.»

Bon vent transatlantique au bloc BAO

Cette pensée-là, – savoir que la NSA espionne l’Europe justement à cause de ces négociations transatlantiques, – est un peu courte même si elle semble logique, parce que la NSA espionne tout le temps, tout le monde et pour tout, donc pour ces négociations, certes, et pour le reste. Il nous paraît bien imprudent, sinon exquisément risible, – mais monsieur Vanoost est “bon Européen” et parlementaire à la fois, – de penser que les USA espionnent “seulement” pour cette négociation, puisqu’ils espionnent depuis 1949-1955 ; imprudent également de croire qu’ils espionnent en cette matière (les négociations transatlantiques), parce qu’ils sont en déclin, ce qui impliquerait qu’ils se jugent en déclin, ce qui est une absurdité complète pour une psychologie américaniste.

On s’attachera plutôt à observer de quelle façon ils se tireront de cette terrible trouvaille de la NSA, aux bons soins d’Edward Snowdon : le bloc BAO qui s’est enfin trouvé un “Ennemi”, et c’est lui-même, et sa bataille finale contre l’Ennemi sera donc lui-même contre lui-même. Cela ne sera pas facile (de s’en tirer) car la vertu d’apparence est une dame terriblement exigeante, surtout en temps d’excitation électorale (voir Merkel-Bismarck). L’hystérie du système de la communication en pleine accélération hier, où nous entendîmes de concert nos éminences Fabius et Taubira nous dire que “si cela est confirmé c’est inacceptable”, ne va pas leur laisser de répit, du moins pout quelques jours. Le PE va peut-être demander l’audition du général Alexander, l’homme de la NSA, et la France accorder sous les auspices de son président-poire le droit d’asile à Snowden (proposition de Jean-Luc Mélanchon).

A Washington, hier, on nous la faisait plutôt discrète. Un “officiel” accompagnant Sa Majesté BHO en pèlerinage dans la cellule de Nelson Mandela, a susurré à peu près qu’il n’y avait pas de commentaire pour l’instant, parce que “nous n’avons pas d’accès à tous les documents secrets, c’est du ressort des services de renseignement”. Ils se renseigneront donc, avant de réagir, auprès de la NSA, ou d’Edward Snowden après tout. A côté de cela, nous sommes bons, du côté des durs washingtoniens, pour un tir de barrage sur le mode de l’hybris américaniste, contre ces “Européens” qui laissent faire tout le sale boulot aux braves G.I. et viennent encore se plaindre quand on s’intéresse à leurs états d’âme.

Perfect storm transatlantique... S’en sortir ne va pas être aisé. Cela va être du sport, une sorte de sport-Système, selon les règles de la surpuissance transformée en autodestruction. Bon vent transatlantique au bloc BAO.


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